Dans le quartier HLM de Boyenval à Beaumont-sur-Oise (95), les locataires dénoncent « l’inaction » du bailleur CDC Habitat face à l’insalubrité des logements. Froid, humidité et moisissures leur pourrissent la vie. La présence d’amiante inquiète.
Évelyne ouvre la porte de sa résidence HLM. L’odeur de l’humidité ambiante prend au nez. Dans la cuisine de son appartement, c’est pire. Des cloques et de la peinture décrépit se répandent sur le mur jauni à quelques endroits. « Ça n’existait pas avant que j’arrive. Ça s’est dégradé très rapidement », soupire la retraitée de 68 ans, arrivée dans son logement le 24 juillet dernier. Les problèmes de fuites et d’humidité ont aussi contaminé le sellier, où des traces marron s’ajoutent aux cloques et à la peinture effritée. Un plombier a récemment fait le tour de plusieurs appartements, dont celui d’Évelyne :
« Il m’a dit : “Ce n’est pas chez vous, c’est chez tout le monde”. »
Chaque été, la manifestation en mémoire d’Adama Traoré se finit devant les immeubles du quartier de Boyenval à Beaumont-sur-Oise (95), lieu de vie de la famille du défunt. De l’extérieur, les bâtiments tout blanc font bonne figure. Mais la peinture cache l’insalubrité de nombreux appartements. Les problèmes de chauffage en font partie. Évelyne doit mettre trois paires de chaussettes l’hiver à cause de ses problèmes circulatoires. Dans son salon, elle montre un radiateur sur lequel les objets s’entassent. « Même à fond, il n’a jamais vraiment chauffé. Soi-disant les appartements sont à 19 degrés, mais quand les gens mesures eux-mêmes, on descend souvent à 15. On ne demande pas le grand luxe, mais on ne veut pas tomber malade non plus. » Pour compenser, elle utilise deux chauffages d’appoint, à ses frais. « On a déjà vu des cinq ou dix degrés », ajoute Xavier Renou, élu LFI d’opposition à la mairie de Beaumont et fondateur du collectif Les Désobéissants.
De l'extérieur, les immeubles du quartier de Boyenval à Beaumont-sur-Oise font bonne figure. Mais la peinture cache l’insalubrité de nombreux appartements. / Crédits : Maxime Asseo
De l’autre côté du quartier, Marianne (1) a les mêmes problèmes. Le gardien a bloqué l’aération au-dessus de la fenêtre de son salon, qui ferme déjà mal. « Les gens ont froid, donc ils bouchent les aérations et on les accuse d’être responsables de l’humidité », déplore l’élu. La retraitée de 66 ans se souvient des mois d’octobre à janvier dernier, où tout le monde était frigorifié à cause d’une fuite de canalisation, en plus du chauffage défaillant. Interpellé par les habitants, le maire de la ville Jean-Michel Aparicio avait demandé à CDC Habitat, le bailleur social, de remédier au problème. Les appartements étaient remontés à 21 degrés. « Mais ça n’a pas duré longtemps », se souvient Évelyne.
L'appartement d'Évelyne est insalubre et a des problèmes de chauffage. / Crédits : Maxime Asseo
Depuis que la société HLM Efidis, propriétaire des logements du quartier, a fusionné avec la société Osica pour devenir CDC Habitat il y a trois ans, « on n’a jamais eu aussi froid l’hiver », ajoute de son côté Marianne au pied de son immeuble où elle réside depuis 20 ans. Même les travaux d’isolation et de rénovation des façades d’il y a trois ans « n’ont rien changé ». Pour les habitants, ils ont simplement caché la vétusté sans vraiment résoudre les difficultés. CDC Habitat reconnaît qu’une réhabilitation ne peut pas traiter l’intégralité des problématiques, « mais les investissements très lourds prouvent que ce quartier nous tient à cœur et qu’on entretient notre patrimoine de manière très régulière », assure Muriel Thomas, directrice interdépartementale chez CDC Habitat. Le bailleur est la filiale immobilière publique de la Caisse des dépôts et consignations qui gère plus de 500.000 logements en France. Selon elle, les travaux de réhabilitation ont permis une réduction des charges par l’amélioration de l’isolation et du chauffage. Les étanchéités sont refaites et les appartements sinistrés par des infiltrations ont été réhabilités :
« On a même proposé un relogement si des personnes ne souhaitent pas attendre des réparations. »
De l’amiante dans les appartements
Voilà pour la version officielle, mais pour Xavier Renou et une partie des locataires, ce n’est pas suffisant. Les problèmes persistent et le bailleur social reste « inactif ». « Avant, on avait un interlocuteur et des réunions tous les mois. Dès qu’on avait un problème, on trouvait des solutions. Depuis que c’est CDC, plus rien. Vous attendez 45 minutes au téléphone et c’est souvent difficile d’avoir un interlocuteur », s’indigne Marianne.
Canne à la main, elle ouvre la porte de son appartement et se dirige directement vers sa cuisine pour montrer le mur. Des trous de peintures laissent apparaître des plaques de métal. Il s’agirait d’amiante d’après la retraitée. Des experts seraient venus pour faire un diagnostic. « Il y en a dans tous les appartements. Quand la peinture s’effrite ou s’écaille, elle est apparente », assure Marianne devant le regard ébahi de Xavier Renou. « Ah bah ça, je ne savais pas. Là, c’est sérieux », lâche-t-il. La municipalité non plus ne semble pas au courant de cette problématique.
Dans l’appartement, la peinture recouvrirait de l’amiante à trois endroits différents. « Chez la voisine, il n’y en a qu’un, mais c’est dans la chambre des enfants. » On retrouve de l’amiante sur de nombreuses façades des bâtiments construits dans les années 70. Le bailleur social en a conscience, mais assure « qu’il y a eu un recouvrement ». En revanche, Murielle Thomas n’avait pas connaissance de la présence d’amiante dans les appartements. « Si on a la preuve, on fera appel au prestataire nécessaire. » De son côté, la retraitée espère un désamiantage le plus rapidement possible. « Ce n’est pas le moment de tomber encore plus malade », confie-t-elle tout en avouant être atteinte d’un cancer.
Dans le logement de Marianne, le gardien a bloqué l’aération au-dessus de la fenêtre de son salon pour ne plus avoir froid. Elle a des problèmes d'humidité. Selon elle, la peinture qui s’effrite sur ses murs laisserait apparaître des plaques d'amiante. / Crédits : Maxime Asseo
Des charges indues
En face du bâtiment de la retraitée, au milieu du quartier, une dizaine de petites maisons HLM sont collées les unes aux autres. Construites depuis sept ans, elles n’échappent pas aux problèmes constatés dans les appartements. Yohann, 27 ans, y vit depuis leur construction et voit la sienne se dégrader à vue d’œil. « Le sol, c’est un lino de merde. On sent qu’il est penché. Même le bois craque en moins de deux », s’agace ce père d’une enfant de trois ans, tombée plusieurs fois malade à cause des problèmes de chauffage. « Plein de fois, on est allé chez le médecin parce qu’elle était enrhumée, avait mal à la gorge ou faisait une angine. Dans sa chambre, on avait 16/17 degrés alors que le chauffage était à fond. » Depuis quatre ans, le métallurgiste chauffe sa maison avec un poêle à gaz. « On a aussi la télé, la PlayStation et le four », ironise-t-il.
Dans sa maison, Yohann a lui aussi des problèmes de chauffage, d'humidité, et de moisissures. Dans le parking souterrain, les déchets s’accumulent, et l'humidité se répand. / Crédits : Maxime Asseo
Il continue pourtant de payer des charges qu’il juge exorbitantes : 240 € pour le chauffage, le parking et l’entretien. Devant sa maison, Yohann montre la végétation jamais entretenue, les traces verdâtres sur les murs, avant de dévoiler le parking souterrain où les déchets s’accumulent et les flaques d’eau rappellent d’anciennes inondations. Les câbles dénudés, le portail cassé et les caméras de vidéosurveillance vandalisées contredisent l’écriteau « parking sécurisé ». « On se demande à quoi servent certaines charges », proteste Yohann. « On paie des gardiens, mais ce sont souvent les locataires qui font le ménage », poursuit de son côté Marianne dont la facture d’électricité est passée de 32 à 79 € les quatre derniers mois, sans motif précis. Face aux problématiques des charges, « nous allons fournir des éléments de réponse précis », promet Muriel Thomas qui reconnaît certaines faiblesses dans la communication.
Dans le parking souterrain de Yohann, les flaques d’eau rappellent d’anciennes inondations. / Crédits : Maxime Asseo
Ce n’est pas la première fois que CDC est pointé du doigt. StreetPress a raconté dans un article de 2019 qu’aux Mureaux (78), le bailleur social aurait fait payer des charges pour des services non rendus. « Les loyers sont fixes et réglementés. Certains bailleurs sociaux font donc leur bénéfice en inventant des charges qui n’existent pas. C’est pour ça qu’elles varient tout le temps », en déduit Xavier Renou. Il analyse :
« Comme les problèmes d’insalubrité, on constate ça partout en France. »
« Tout le monde se renvoie la balle et rien n’est fait »
L’élu a pris l’habitude de rassembler les doléances des habitants de Boyenval et de publier des photos sur les réseaux sociaux. Quand il n’envoie pas de courrier signé par une cinquantaine d’habitants à CDC Habitat, il tente de peser auprès de la mairie. « Elle a plus de poids pour interpeller les bailleurs sociaux et faire bouger les lignes, mais elle ne fait pas grand-chose non plus », regrette-t-il. Sans nier les problématiques, la municipalité assure qu’elle joue un rôle d’intermédiaire et affirme avoir des échanges très réguliers avec le bailleur social. Les deux acteurs veulent continuer d’améliorer les choses, mais ce temps d’échange administratif est clairement trop long pour un habitant. « Surtout quand son logement est dans un mauvais état », avoue la municipalité qui « n’a pas d’autres solutions ».
Au rez-de-chaussée d’un bâtiment, un homme atteint de troubles psychiatrique vit seul dans l’insalubrité et la saleté la plus extrême. / Crédits : Maxime Asseo
En attendant, Xavier Renou souhaite montrer l’exemple le plus flagrant de « l’inaction du bailleur social et de la mairie dans le quartier ». Un couple atteint de troubles psychiatriques vivait au rez-de-chaussée d’un bâtiment. « Ils hurlaient la nuit, ne se lavaient plus. Les pompiers ont été alertés et la femme, maigre comme un clou, a été hospitalisée. » Depuis, l’homme vit seul dans l’insalubrité et la saleté la plus extrême. L’appartement englobe toutes les problématiques possibles : compteurs et prises électriques d’une autre époque, poussière, moisissure, papier peint gondolé, odeur pestilentielle. « Le bailleur ne devrait jamais accepter que des gens dans un état comme celui-là vivent là-dedans », se désole Xavier Renou au milieu de l’appartement. La mairie, le bailleur social et les curatrices ont, selon lui, chacun leur part de responsabilité, « mais tous se renvoient la balle et rien n’est fait ». En attendant, « on laisse le monsieur parce qu’il touche une aide sociale et paye le loyer. Sinon CDC habitat l’aurait viré depuis longtemps. »
L’appartement englobe toutes les problématiques possibles : compteurs et prises électriques d’une autre époque, poussière, moisissure, papier peint gondolé, odeur pestilentielle. / Crédits : Maxime Asseo
Des habitants du quartier aimeraient le quitter, mais contraints par de faibles revenus ou de petites retraites comme Évelyne, ils ne peuvent pas se le permettre. Marianne elle, n’attend que ça. Avec ses deux frères, elle fait construire une maison en Vendée. D’autres, ont déjà fui les maisonnettes. Yohann va bientôt faire de même. Il veut acheter une maison d’ici à la fin de l’année :
« Dès qu’on trouve ce qui nous intéresse, on saute sur l’occasion. Ce n’est plus possible de vivre ici. »
(1) Le prénom a été changé
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