Après avoir fui la guerre en Ukraine, des centaines d’étudiants originaires du Maghreb ou d’Afrique de l’Ouest sont arrivés en France. Mais la grande majorité d’entre eux est désormais invitée par le gouvernement à rentrer dans leur pays d’origine.
Il est 18 heures sur la place du Panthéon ce jeudi 14 avril et les touristes et étudiants parisiens se croisent. Comme les luttes. Alors que la Sorbonne, juste en face, est occupée depuis la veille par des étudiants qui dénoncent le résultat du premier tour de l’élection présidentielle, ils sont plusieurs centaines de personnes sur le parvis réunies à l’appel des organisations des facs parisiennes. Ils réclament l’inscription dans les universités des étudiants étrangers ayant fui la guerre en Ukraine. Léo, militant du Poing Levé Paris 8, dénonce au micro :
« L’État français est en train d’organiser un tri raciste des étudiants réfugiés qui arrivent d’Ukraine. »
Au Panthéon, ce 14 avril, Léo, militant du Poing Levé Paris 8, dénonce devant Oussama un « tri raciste » organisé par l'État auprès des étudiants réfugiés d'Ukraine. / Crédits : Quentin Girardon
La circulaire française excluante
Le 4 mars dernier, l’Union européenne a décidé d’accorder une protection internationale immédiate à toutes les personnes fuyant la guerre en Ukraine, pour leur permettre de séjourner en Europe, d’y travailler ou d’y continuer ses études. Sauf que dans une circulaire du 22 mars, le gouvernement français a décidé d’exclure de la protection « les ressortissants de pays tiers qui sont en mesure de regagner leur pays d’origine dans des conditions sûres et durables ». Une disposition qui concerne en grande majorité les étudiants étrangers, pour la plupart originaires du Maghreb et d’Afrique de l’Ouest. Aladin, étudiant algérien, enrage :
« Les Ukrainiens ont le droit à 400 euros par mois et ils peuvent rester six mois. Nous, on nous a juste donné un mois et ensuite on doit partir, rentrer dans notre pays et tout recommencer à zéro. »
À l’université Paris 8, ils sont environ 200 étudiants concernés. Algériens, Maliens, Camerounais ou Congolais. Tous ont fui les bombardements. « Les soldats ukrainiens ne nous laissaient pas monter dans les trains parce qu’on était noirs. Alors on a prit un taxi », se rappelle Ousmane, un étudiant malien. Ils ont marché plusieurs heures pour atteindre la frontière polonaise. Là-bas, comme les ressortissants ukrainiens étaient prioritaires, ils ont dû patienter des jours, debout dans la longue file, avant d’entrer en Pologne. Puis de choisir la France. « Je parle déjà l’arabe, l’anglais, le français, le russe et l’ukrainien. Je ne peux pas encore apprendre l’allemand ou l’espagnol. Si je suis venu en France, c’est parce que je parle français », insiste Oussama. Aujourd’hui, ils ne réclament qu’une chose : continuer leurs études dans une université française.
Voici le parcours de quatre de ces étudiants rencontrés sur le parvis du Panthéon.
Alors que l’Union européenne avait décidé l'inverse, le gouvernement français a décidé d’exclure de sa protection « les ressortissants de pays tiers qui sont en mesure de regagner leur pays d’origine dans des conditions sûres et durables », dans une circulaire le 22 mars. / Crédits : Quentin Girardon
Ousmane, 26 ans, étudiant malien en informatique
« Tout a basculé d’un coup. On a tout perdu, on doit tout reprendre à zéro », raconte Ousmane. Il a des écouteurs greffés aux oreilles et un grand sourire, il est optimiste mais son moral est « cassé ». La préfecture lui a donné l’autorisation de rester sur le territoire jusqu’au 24 avril prochain, ensuite il devra partir :
« Imagine le parcours qu’on a eu et on nous refuse encore ici. »
Le parcours d’Ousmane a commencé au Mali. Titulaire d’une licence en marketing digital, il ne trouve ni boulot, ni stage. Il choisit alors l’Ukraine « car ils accordent des visas facilement ». Sa famille débourse 4.500 euros et il débarque à Kharkiv, tout près de la frontière russe. Avant de commencer leur cursus, tous les étudiants étrangers doivent d’abord passer en classes préparatoires pour apprendre l’ukrainien. « Les premiers mois, l’adaptation était dure, j’ai cru que je n’allais jamais y arriver ». Il obtient sa prépa, entame sa spécialité en informatique mais dans la nuit du 24 février, les premiers chars russes passent la frontière. « À trois heures du matin, on s’est réveillé en sursaut. Boom boom boom, chaque minute, c’était incessant. »
Oussama, 25 ans, étudiant algérien en biologie
Pour financer son doctorat en Ukraine, Oussama a vendu sa voiture. Il a débarqué en novembre 2021. Pas à Kiev, comme la grande majorité des étudiants algériens, mais à Kryvyi Rih, au sud du pays. « La ville du président Zelensky », dit fièrement le vingtenaire. « Les trois premiers jours après l’invasion, les Ukrainiens nous disaient que ça n’allait pas durer mais on s’est retrouvés encerclés par l’armée russe, on n’avait plus le choix, il fallait partir ». Malgré les ponts détruits et les soldats ukrainiens qui tentent de les enrôler pour combattre, Oussama et ses amis finissent par atteindre la frontière polonaise. « Là-bas, il y avait deux files : une pour les Ukrainiens, prioritaires, et l’autre pour les étrangers. On a attendu deux jours et deux nuits dans la queue, à manger et dormir à même le sol », nous raconte-t-il. Puis Oussama traverse la Pologne, l’Allemagne et la Belgique avant de poser ses valises en France. « La devise de la France, c’est liberté, égalité, fraternité. Je veux le voir, je veux l’égalité avec les Ukrainiens car on a vécu la même chose. »
Pour financer son doctorat en Ukraine, Oussama a vendu sa voiture. Il a traversé la Pologne, l’Allemagne et la Belgique avant de poser ses valises en France. / Crédits : Quentin Girardon
Samra, 27 ans, étudiante algérienne en microbiologie appliquée
« En Algérie, il n’y a qu’une ou deux places pour faire un doctorat dans mon domaine, la microbiologie appliquée ». C’est pour cette raison que Samra, voile rose sur la tête, a quitté l’Est algérien pour Kiev en juin 2021. « C’est la première fois que j’entendais des bombardements, j’avais tellement peur. Ce n’est pas mon pays mais j’avais mal pour les Ukrainiens », confie-t-elle. Samra raconte le même parcours que de nombreux étudiants croisés place du Panthéon ce jour-là. Les longues heures de marche de Lviv jusqu’à la frontière, la Pologne, l’Allemagne puis la France. « En arrivant, je suis allée m’inscrire à Paris 8 mais j’ai été refusée. Maintenant, je vais peut-être tenter Marseille. »
Si Samra cite la cité phocéenne, c’est qu’elle a vu une info comme quoi l’université d’Aix-Marseille accueillerait tous les étudiants réfugiés. En réalité, la fac contactée par StreetPress a inscrit 30 étudiants qui avaient déjà fait leur demande, pour marquer son désaccord avec la circulaire. Elle n’entend pas ouvrir ses portes à d’autres élèves pour l’instant. Samra est elle prête « à changer de filière ou à refaire un Master s’il le faut. » Pour l’instant, elle peut rester en France jusqu’au 3 mai prochain. « Si j’étais venue depuis l’Algérie, je comprendrais qu’on m’expulse, je l’accepterais. Mais je suis venue d’Ukraine, avec tous les autres réfugiés. C’est une injustice »
Aladin, 28 ans, étudiant algérien en microélectronique
Aladin dégaine son portable et montre des vidéos des premiers combats entre les armées russe et ukrainienne, tournées depuis la fenêtre de sa chambre. Puis une autre d’un immeuble aux fenêtres explosées :
« C’est mon bâtiment, il a été bombardé. Après mon départ, il s’est même écroulé. »
Aladin a mis deux semaines avant de pouvoir quitter l'Ukraine. Il ne demande qu'à pouvoir terminer ses études en France. Au lieu de ça, il risque de recevoir une OQTF dans quelques jours. / Crédits : Quentin Girardon
Contrairement aux autres étudiants qui ont atteint la Pologne en quelques jours, lui a mis deux semaines avant de pouvoir quitter l’Ukraine. « J’ai vu des gens morts, j’ai vu des chars russes, des gens qui pleuraient devant leur maison détruite ». Sous la célèbre inscription : « Aux grands hommes la patrie reconnaissante », gravée sur la façade du monument, Aladin est l’un des seuls étudiants étrangers concernés à braver sa peur de l’expulsion pour prendre le micro et s’adresser à la foule : « On ne demande qu’une chose : c’est pouvoir terminer nos études. C’est tout. On n’est pas là pour se balader et faire les touristes. » Sa situation est encore plus urgente. Dans quelques jours, il recevra probablement une OQTF, une Obligation de quitter le territoire français. Il conclut :
« On n’a peut-être pas les yeux verts, on n’est peut-être pas blancs comme les Ukrainiens mais on a fui la même chose, on est tous des êtres humains. »
Texte et vidéo de Thomas Porlon, vidéo et montage de Thibault Lauras, photos de Quentin Girardon.
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