Au bord des terrains de huitième ou neuvième division, parfois dans des villages d’à peine 600 habitants, des fanas de l’équipe de foot locale montent des collectifs de supporters. Au programme : chants, fumis et tifos.
À chaque victoire, les Red Debil’s ont une habitude. Ce groupe de supporters du club de foot de Crotenay (39) scande une chanson : la chasse à l’ours. Sauf qu’une fois, un homme accoutré en ursidé s’est infiltré sur le terrain. « C’était lunaire, l’arbitre avait écrit dans son rapport : “Envahissement de terrain par un homme déguisé en ours”, c’est débile ! », se souvient amusé Aloïs, le président des Red Debil’s, au téléphone. Dans la dixième division où ils évoluent, ces supporters se revendiquent être des « ultras des champs » :
« Ça nous correspond bien, c’est vraiment la campagne. La première grande ville, Besançon, est à une heure et demie de route. Nos animations, on les monte avec des tracteurs. »
L’idée de monter les Red Debil’s est venue un soir après un entraînement, après plusieurs matches où ils allaient soutenir leur équipe en dixième division, comme beaucoup de ces groupes ultras amateurs. « Ça nous faisait marrer de craquer des torches au bord du stade et inventer des chants », rembobine Aloïs. Ils ont de l’expérience : cet agriculteur du Jura et d’autres membres des RD17 font également partie des Magic Fans, un groupe ultra de Saint-Étienne, à 230 kilomètres de Crotenay.
Les Red Debil's se sont créés en 2017 et soutiennent le club de l'US Crotenay Combe d'Ain, dans le Jura. / Crédits : Yoann Thionnet / Red Debil's
À cinq dans la voiture
Au bord des terrains amateurs, ils sont parfois moins d’une dizaine derrière les rambardes. Soutenus par un kop à 200 personnes lors des matches de Coupe quand ils se sont lancés en octobre 2021, les Ultras Sioul connaissent désormais des dimanches « plus calmes » en Bretagne, selon leur cofondateur Max. Ça ne les empêche pas d’essayer d’être « présents chaque week-end » pour soutenir leur équipe : Perros-Louannec (22). « Là, on va jouer à deux heures de route dans le Finistère Sud. On ne sera peut-être qu’une poignée mais c’est ce que je préfère : aller voir les stades au fin fond de la Bretagne à cinq dans la voiture », planifie le trentenaire, paysagiste à son compte.
À 140km au sud, du côté de Cruguel (56), 600 habitants, un groupe de supporters s’est formé à la même période : Les Krugell 1970. Ici aussi, on se donne à fond pour le club amateur. « Comme le spectacle n’est pas toujours sur le terrain, on s’est dit que ce serait bien de le mettre dans les tribunes pour que les gens aient autre chose à voir », lance Tanguy, 23 ans, qui gère les réseaux sociaux du groupe. Même si le nombre est parfois un obstacle pour le capo Clément (celui qui lance les chants avec le mégaphone) – « les gens ne vont pas toujours venir avec nous si on n’est pas beaucoup » –, cette barrière saute pour les « gros événements », comme les derbies ou les matches de Coupe. Des moments où ils peuvent faire de la pédagogie sur la culture ultra.
Lorsqu'ils se sont lancés pour les matches de Coupe de France en octobre 2021, les Ultras Sioul ont rassemblé près de 200 personnes dans le kop. / Crédits : Ultras Sioul
Chez les Krugell 1970, on se donne à fond pour le club amateur breton. Parmi les membres, certains sont également cartés chez les Magic Fans de Saint-Etienne. / Crédits : Krugell 1970
Car, dans le monde amateur, tout le monde n’a pas l’habitude d’un tel supportérisme. « Les gens sont un peu surpris de nous voir arriver avec le tambour ou les fumigènes », pose Léo de la Brigade Canche, située à Étaples (62). Pour éviter de passer pour des « énergumènes », Max et ses potes ont trouvé la parade : associer le mot sioul au label ultra, qui veut dire « calme » en breton. Et ils tiennent à montrer l’exemple à domicile ou en déplacement : « On ramasse nos torches, on ne laisse jamais le bazar. »
Au sein des Ultras Grille Blanche de Gretz-Tournan (77), créé en 2018, Loic (1) confie que certaines équipes adverses sont déjà venues les voir avec envie. « Ils nous disaient que c’était hyper lourd ! Que les joueurs devaient être heureux de nous avoir », affirme celui qui est également un ultra du PSG. « 99% des gens trouvent ça génial car ils n’ont jamais vu ça », sourit Clément des Krugell 1970, qui a vu des jeunes lancer leur groupe après le passage des supporters.
Les groupes de supporters actifs dans le monde amateur interrogés par StreetPress. / Crédits : DR
Certains abandonnent
Sur les réseaux sociaux, la page Instagram Ultras amateurs met ces groupes en valeur, quel que soit leur nombre. « Je sais ce que c’est de galérer quand tu fais partie d’un petit groupe ultra », confie Thomas (1), son animateur. Ce supporter de 24 ans, qui est en alternance dans la communication visuelle essaie de donner « le maximum de force » aux fans via ses publications :
« Quand tu te retrouves parfois à deux à l’extérieur ou à trois à domicile, ça peut créer de la frustration et de la démotivation. »
Car dans ces petites divisions, certains groupes sont éphémères. Moins d’une dizaine de matches et puis s’en vont, à l’image des Pirates Boys Gisors. Interrogé sur ce mouvement, le FC Gisors explique que le soutien de ces supporters est « très occasionnel » :
« Il n’y a pas de structure, ce sont les joueurs seniors qui ont inventé ce nom pour soutenir nos U18 en Gambardella. Nous ne souhaitons pas communiquer sur ce sujet. »
À l’inverse, des groupes comme les Red Debil’s du Jura se sont pérennisés depuis cinq ans. Ils peuvent être une quinzaine pour un match de dixième division un samedi soir et une cinquantaine à encourager leur équipe lors des matches de Coupe. « Ça a pris une grande ampleur, plein de gens se sont greffés au projet », s’émerveille Aloïs, le président des RD17.
Comme la plupart des groupes amateurs, les Red Debil's (RD17) vont à l'extérieur soutenir leur équipe. Cette saison, ils étaient 25 lors d'un déplacement en minibus par exemple. / Crédits : Red Debil's 17
Des tifos de pros
Les Jurassiens se sont notamment fait connaître via leurs tifos, ces grandes animations faites de dessins et de craquages de fumigènes que l’on voit surtout dans les stades de Ligue 1, tant ils nécessitent des moyens humains et financiers. Les Red Debil’s en ont pourtant fait une spécialité et essaient d’en créer quatre chaque année. Pour leur deuxième anniversaire, ils ont même aligné plusieurs bâches longues d’une trentaine de mètres au total. Une quarantaine de membres ont travaillé dessus, enquillant 700 heures de travail bénévole. « On y passe notre temps », concède Aloïs. Dans son exploitation agricole, il travaille deux week-ends sur trois en hiver. Pas facile pour s’organiser. Et avec les cinq ans du groupe, le 2 juillet prochain, le supporter de 25 ans va devoir jongler avec les périodes de foin.
Les Red Debil's sont les pros du tifos dans le milieu amateur. / Crédits : Red Debil's
« On est des ultras des champs. Nos animations, on les monte avec des tracteurs. » / Crédits : Red Debil's
Une charge qu’a pu tester Max. Le cofondateur des Ultras Sioul a fait, seul, un tifo en 3D lors d’un match de Coupe :
« J’ai dû mettre une semaine, le temps de graffer, découper… J’étais tout seul dans mon garage. »
Le paysagiste trentenaire est bien entouré : sa femme a dégoté une machine à broyer à son travail « pour faire des papelitos » (sortes de gros confettis, surtout lancés dans les stades sud-américains) et son fils l’a aidé à faire des drapeaux : « Toute la famille était au diapason ! »
Les Red Debil's avaient préparé 1500m2 de tifos pour leurs deux ans. En reprenant les paroles de la chanson « Le Rital » à leur sauce : « Je suis RD et je le reste. Et dans le verbe, et dans le geste. » / Crédits : Red Debil's
Les RD préparent activement leur cinquième anniversaire, qu'ils fêteront à coup de tifos le 2 juillet prochain. / Crédits : Red Debil's
Un soutien au club
Et pour les fumigènes, le Breton n’a pas à aller chercher bien loin : « On vit au bord de la mer, ça se trouve vite ». Au niveau amateur, les supporters sont particulièrement friands de ces torches craquées en bord de terrain. Chaque stock des Red Debil’s leur coûte environ 1.500 euros. Pour se financer, le groupe organise des événements comme un souper dansant et un tournoi de pétanque. Côté Brigade Canche à Étaples, chacun met la main à la poche. « Avant chaque match, on donne 20 euros et ça permet d’acheter du matos », expose Léo.
Dans les autres groupes, les supporters sont aidés par les clubs, comme Gretz-Tournan avec les Ultras Grille Blanche : « Ils nous accordent un budget pour le matériel qu’on fait comme les bâches mais aussi pour la pyrotechnie. Alors que c’est strictement interdit ! », observe Loïc. Normal pour cet « enfant du club », qui joue à Gretz-Tournan depuis l’âge de six ans et a même été gardien de l’équipe première jusqu’à ce qu’il se casse le genou il y a quelques années. À Cruguel, il y a la « commission animations » qui subventionne les supporters comme Tanguy et Clément. « Depuis qu’on s’est lancé, ils nous aident. On leur dit qu’on va faire telle animation, et son coût est intégré dans leur budget », souligne le premier.
Le club de Gretz-Tournan accorde un budget pour le matériel des Ultras Grille Blanche, comme les bâches. « Je ne pense pas qu'ils fassent ça dans tous les clubs amateurs », confie Loic. / Crédits : UGB
Chaque stock de fumigènes coûte environ 1.500 euros aux RD.Pour se financer, le groupe organise des événements comme un souper dansant et un tournoi de pétanque. / Crédits : Yoann Thionnet / Red Debil's
Les équipes amateurs voient d’un très bon œil ce soutien. « Ça leur plaît qu’il y ait un groupe de supporters. Niveau communication, ils se disent que ça va être profitable », assure Max des Ultras Sioul, qui sont même conviés aux réunions du club de Perros-Louannec. Dans le Jura, Aloïs abonde : « On amène du monde au stade. La direction n’est pas bête. En cinq ans, l’affichage publicitaire s’est développé tout autour du terrain. » Le président des Red Debil’s se félicite :
« On peut dire qu’on a placé Crotenay sur une carte ! »
L’amende de la FFF
Seul souci : les institutions, elles, ne sont pas toujours favorables aux supporters amateurs. Lors d’un match de Coupe de France entre Étaples et Quévilly mi-novembre, la Brigade Canche a craqué « pas loin de 40 à 50 » fumigènes pour galvaniser les joueurs, « qui n’ont pas gêné la rencontre », précise Léo. Un spectacle réussi et salué par le milieu du supportérisme. Mais, début décembre, la Fédération française de football a infligé une amende de 5.000 euros à l’AS Étaples pour la pyrotechnie. Une application bête et méchante du barème dédié aux clubs de Ligue 1 mais qui correspond aux deux tiers de sa dotation liée au match, essentielle pour le budget des clubs amateurs. Léo a appris la nouvelle à 23h quand il était en train de manger :
« J’ai eu l’appétit coupé sur le coup. On a vraiment été en colère… On s’est donné beaucoup de mal pendant une semaine, on a travaillé pendant des heures, tout ça pour avoir le sentiment de gâcher la fête. »
Le vingtenaire de la Brigade Canche a été rassuré par le président de son club. « Il nous a bien défendus, pour eux l’amende était démesurée », se rappelle Léo. Les joueurs ont également fait un effort et ont refusé leurs primes de matches pendant quelques rencontres afin de compenser le manque à gagner. Mais la décision de la FFF lui reste encore en travers de la gorge :
« On dit toujours qu’il faut mettre en valeur le monde amateur. Je pense qu’il y a d’autres façons de le faire que mettre une amende de 5.000 euros. »
Malgré ça, le mouvement « se démocratise » selon Aloïs des RD : « De plus en plus de groupes supportent des équipes en National ou dans les ligues régionales. On voit vraiment une évolution. » Si ça se trouve, il y a même déjà un groupe en train de chanter à côté de chez vous.
As Etaples (R2) / QRM (13/11/2021)
— Ultras Made in France (@UltrasMadeinFR) November 14, 2021
« Brigade Canche Étaples »
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(1) Le prénom a été changé.