27/01/2022

Le jeune malien passionné de lancer de poids est enfermé en Cra

Le club d’athlétisme de Nancy se bat pour empêcher l’expulsion de l’un des siens

Par Christophe-Cécil Garnier

Quand elle a appris qu’Oumar était placé en centre de rétention, Axelle a fondu en larmes. Il faut dire que le Malien de 20 ans, est une figure aimée dans ce club d’athlétisme de Nancy où il lance le poids et entraîne les jeunes.

Préfecture de Nancy (54), rue Sainte-Catherine – « Oumar, avec nous ! Oumar, des papiers ! » L’assemblée chauffe sa voix. Pratique quand il caille. Ce mercredi 26 janvier, près de 200 personnes se sont rassemblées pour plaider la cause d’Oumar Dembélé. Le jeune malien de 20 ans arrivé en France en 2018 est menacé d’expulsion car sans-papier. Il y a des membres d’associations humanitaires locales, d’autres exilés ainsi que des athlètes de tous les âges. Car Oumar est un lanceur de poids de talent. Ce sport, il l’a découvert au sein du Nancy Athlétisme Métropole (NAM), le club qu’il a rejoint dès son arrivée dans l’Hexagone. C’est l’asso qui a organisé l’événement du jour, stupéfaite de son placement dans un centre de rétention (Cra).

Dans la large avenue, plusieurs jeunes distribuent des tracts pour alerter les passants sur la situation, titrés : « Aidons Oumar à rester chez lui, chez nous ! » Un QR Code renvoie vers une pétition de soutien, déjà signée près de 32.000 fois en une semaine. De quoi attirer l’attention de la presse locale et d’Olivier Jacquin, le sénateur PS du coin. « On ne s’attendait pas du tout à avoir autant de signatures », félicite Axelle, la secrétaire générale du NAM de 22 ans, qui a lancé la mobilisation virtuelle. « Oumar est un membre emblématique du club, un très bon athlète », s’exclame-t-elle au micro devant l’assemblée.

Près de 200 personnes se sont mobilisées ce mercredi 26 janvier pour soutenir Oumar Dembélé. / Crédits : Christophe-Cécil Garnier

Un soleil

Axelle connaît le sportif malien depuis qu’il est arrivé au club il y a trois ans. À l’époque, Oumar est hébergé dans un centre de l’Armée du Salut, qui propose aux jeunes de faire du sport. « Oumar a commencé et il n’a jamais arrêté », racontent Jean et Dominique, bénévoles de l’association Un toit pour les migrants, très proches du vingtenaire, avec qui ils ont fêté Noël et dont ils ont une photo de 30 centimètres accrochée au cou. « Il a une passion pour l’athlé : il fait de la course, du 100 mètres, du lancer de javelot… Mais c’est surtout le lancer de poids où il se donne à fond », détaille Jean. Oumar est notamment arrivé sixième de sa catégorie aux championnats de France 2021 et s’entraîne quatre jours par semaine depuis septembre.

Depuis trois ans, Oumar fait du lancer de poids au sein du Nancy Athlétisme Métropole. / Crédits : NAM

Au sein du club, on loue sa personnalité souriante et chaleureuse. « C’est un soleil, il est tout le temps pétillant. Il a un parcours parfait et il est tout le temps là pour aider. Sans jamais rien demander », renchérit Fred, le directeur technique du NAM à la veste Quechua. Ému, ce dernier raconte qu’il y a un an et demi, l’entraîneur d’Oumar est venu le voir. « Il m’a demandé si le club pouvait lui payer des chaussures spécifiques pour le lancer de poids », narre le presque quinqua. Demande acceptée, Fred se pointe avec les godasses toutes neuves quelques jours plus tard :

« Quand je lui ai donné, il a fondu en larmes, il m’a dit que personne ne lui avait jamais fait de cadeaux. Il m’a fait un câlin, c’était super émouvant pour lui comme pour moi. »

Un entraîneur

Les discours s’enchaînent pour Oumar, chacun y va de sa petite histoire. En plus d’être un athlète du club, Oumar y entraîne bénévolement des enfants. « Il intervient auprès de plein de jeunes qui sont là aujourd’hui », glisse Axelle, qui a posé un jour de congé pour être au rassemblement. « C’est vraiment un bon entraîneur, il ne lâche jamais rien. Il ne mérite pas ça », souffle Juliette, coachée par Oumar.

À la rentrée, le Malien menacé d’expulsion a fait les démarches pour passer son Bafa. « Il voulait développer ses techniques d’encadrement avec les plus jeunes », précise Dominique, emmitouflée dans un épais manteau marron. Pour l’aider dans sa situation, le NAM lui a fait une promesse d’embauche pour un contrat à temps partiel en tant qu’entraîneur. « On en a besoin au sein du club », appuie par téléphone le président Thierry Gigout. Pour Axelle, alors que les équipes sportives françaises manquent d’encadrants, « comment expliquer aux enfants qu’il entraîne cette décision de le mettre en rétention ? »

Au sein du NAM, Oumar entraîne bénévolement des jeunes. / Crédits : Christophe-Cécil Garnier

« C’est vraiment un bon entraîneur, il ne lâche jamais rien. Il ne mérite pas ça. » / Crédits : Christophe-Cécil Garnier

Le carnet d’adresses

Chez le NAM, la nouvelle est tombée le lendemain de son placement en Cra, le 14 janvier. « J’étais en stage au Portugal, j’ai commencé à pleurer. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose », se souvient Axelle, avant de penser à la pétition. Le NAM a également sorti le carnet d’adresses. Le président Gigout a envoyé un courrier au juge de l’affaire pour demander une tolérance de six mois pour Oumar Dembélé, le temps que sa situation se régularise.

Quant à Axelle Picard, elle a contacté Patrick Montel. Le journaliste et ancien présentateur de France TV s’est fendu d’une vidéo de quelques minutes pour appeler au soutien. Le journaliste avait déjà croisé la route d’Oumar, lors du dernier meeting Stanislas de Nancy en juillet 2021 et lui avait dédicacé son livre. « C’est une histoire où il fallait s’engager, ce n’est pas seulement pour la dimension sportive », déclare Patrick Montel quand StreetPress l’appelle.

Refus de régularisation

Oumar est orphelin. Sa mère est morte lors de sa naissance et son père est décédé jeune. « Il a été élevé par sa grand-mère et à sa mort, il a quitté le Mali à 16 ans », détaille Noël Laporte. Ce bénévole de l’association Un toit pour les migrants efface la buée sur ses lunettes carrées avant de revenir sur le parcours d’Oumar. Après avoir été pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE), il a fait sa demande de titre de séjour à ses 18 ans, en juin 2020, aidé par Dominique et Jean. Le dossier a été refusé six mois plus tard. « Tout s’est précipité depuis un an », explique Noël Laporte, qui était pourtant « sûr que ça irait pour Oumar » :

« Il a des titres départementaux, que des bons résultats à l’école… Mais la préfecture a indiqué que les résultats sportifs ne sont pas suffisants pour prouver une bonne intégration en France. »

L’administration a couplé son refus avec une Obligation de quitter le territoire français (OQTF). Le vingtenaire malien a fait passer son dossier devant le tribunal administratif qui a aussi refusé de lui donner un titre de séjour. Il a fait un recours devant la Cour administrative d’appel – qui n’est pas suspensif. Le sportif ne laisse pas la situation l’abattre. En plus du lancer de poids, il a obtenu un CAP Monteur Installations sanitaires en 2021 et a commencé un Bac pro.

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Enfermé

Mais en décembre 2021, la préfecture passe la seconde. Après avoir été assigné à résidence, Oumar est emmené au Cra de Metz le 14 janvier, six jours avant que la durée d’exécution de son OQTF ne prenne fin. Son coach réussit à le visiter dès le samedi pour lui apporter du linge et des affaires de toilettes, précise Dominique :

« Mais depuis une semaine et demie, on n’a rien pu lui amener, on n’a pas pu le voir. »

Son entraîneur a tout de même réussi à lui faire parvenir un vieux téléphone, qui ne permet ni photo, ni vidéo, avec la bénédiction de l’administration. « On arrive à l’avoir souvent, ça le rassure et ça nous rassure », confie Dominique. Entretemps, Oumar a refusé un PCR car il a entendu dans les couloirs du Cra que « le test, c’est pour prendre l’avion ». De quoi passer en comparution immédiate pour « entrave à son expulsion ». La justice lui colle deux mois de prison avec sursis et le prévient : au prochain refus, c’est la prison ferme. Il y a quelques jours, il a appris par des agents de la police aux frontières que le prochain avion pour Bamako est le 28 janvier prochain. « Il m’a dit qu’il refuserait à nouveau le PCR, il préfère aller en prison que de retourner dans son pays en guerre », se soucie Noël Laporte.

Depuis le 14 janvier, Oumar Dembélé est en centre de rétention à Metz. Une pétition de soutien a recueilli en une semaine 32.000 signatures. / Crédits : Christophe-Cécil Garnier

Face à la mobilisation, le sous-préfet de Nancy a accepté de recevoir une délégation de quatre personnes mais n’a pas bougé sur le fond du dossier. Le jeune homme est toujours enfermé et menacé d’expulsion. « On va tenter de trouver des solutions », assure le vice-président du club. Avant ça, Dominique a lu devant l’assemblée un SMS envoyé par Oumar. Il y remercie tout le monde au club pour leur mobilisation :

« Ça restera dans mon cœur et dans ma tête. »