À Saint-Jacques, quartier populaire de Perpignan, c’est le RN Louis Aliot qui est arrivé en tête aux dernières municipales, notamment grâce aux votes de la communauté gitane. Mais un peu plus d’un an après, l’amour s’est éteint…
Perpignan (66) – L’ambiance est tendue dans la salle, ce 10 novembre au soir. Depuis le mois d’octobre, l’édile Rassemblement National Louis Aliot a commencé une tournée de réunions dans tous les quartiers de la cité catalane, et c’est le tour de Saint-Jacques. Lino Gimenez, dit « Nounours », membre éminent de la communauté gitane, donne de la voix et s’adresse directement à Louis Aliot :
« Au deuxième tour, vous êtes venu me chercher ! Et vous nous avez bien trahis ! »
Le maire lui fait face, répond en le tutoyant : « Tu peux dire ce que tu veux, mais maintenant les gens connaissent la réalité du quartier ! »
En campagne en 2020, Louis Aliot – qui tentait sa chance pour la troisième fois – avait fait les yeux doux à la communauté gitane du quartier. Il se montrait souvent dans les cafés, les rues, avec les « chefs », promettant monts et merveilles : la fin des destructions abusives d’immeubles et du trafic de drogue, le retour de la propreté, des emplois pour les jeunes… Résultat, il obtient 55% des voix du quartier. Un habitant se souvient :
« Quand Aliot a été élu, les gitans sont descendus dans les rues, il y avait les klaxons et tout ! »
Clientélisme à l’ancienne
Dans le coin, le clientélisme existe depuis plusieurs décennies. En échange de quelques avantages offerts aux leaders locaux, les élus achètent la paix sociale. De quoi faire grincer des dents : « Les “patriarches” prennent les sous et ils s’occupent de personne », raconte Tony (1), un gitan d’une vingtaine d’années. « IIs donnent du travail qu’à leurs enfants, après aux gens qu’ils connaissent, et en tout dernier aux autres. »
« Sur quasiment tout le département, pas seulement à Perpignan, les gens vont voter en fonction des réseaux clientélistes », analyse Philippe Poisse, militant de gauche et observateur de la vie politique.
Lors de la dernière campagne municipale, c’est le candidat LREM, Romain Grau, qui est épinglé pour des soupçons « d’achat de votes. » Il aurait invité, pour plusieurs milliers d’euros, une centaine de personnalités de la communauté gitane à tailler la bavette au resto. Pas suffisant pour gagner : il se place en quatrième position et se retire pour faire barrage à Aliot qui sortira tout de même vainqueur.
Mais dans le quartier, l’idylle avec l’élu RN ne tiendra qu’un peu plus d’un an. « Le désamour entre la communauté gitane et la Ville » titre l’Indépendant. « Louis Aliot nous avait promis qu’il ne ferait rien sans nous en parler, mais il agit comme le faisait Jean-Marc Pujol (l’ancien maire) », disait un membre de la communauté gitane le 4 septembre, lors d’une réunion de quartier, cité par le journal local. Il poursuit :
« Concernant le volet social, dont on nous répète que ce sont des éléments centraux du NPNRU (Nouveau Programme National de Rénovation Urbaine), il n’y a rien. Le chantier prioritaire est qu’il faut regagner la confiance des habitants. […] On demande davantage de sécurité plutôt que d’être pris pour cible par la police »
En campagne en 2020, Louis Aliot avait fait les yeux doux à la communauté gitane du quartier. / Crédits : Aurélie Garnier
Tout le monde déteste la police municipale
Il est un peu plus de 21h, ce 17 novembre, sur la place Cassanyes. Une partie des jeunes locaux tentent de se réchauffer sur la terrasse d’un café. Un « Arrah » sonore retentit. Il n’affole que les quelques dealers du coin de la rue. Une voiture de la police municipale, gyrophare allumé, fait son apparition sur la place.
Dans le quartier, ce n’est pas de la Bac dont il faut se méfier comme ailleurs : « Eux ça fait des années qu’ils sont là, ils savent comment ça se passe, ils sont polis » témoigne un jeune, mais de la police municipale. « Et c’est pire depuis que Louis Aliot est maire » souffle Kamel Belkebir, habitant du quartier et un des meneurs du collectif d’habitants.
Le maire RN en est très fier et la bichonne. Depuis son arrivée à la mairie en 2020, il a placé à sa tête Philippe Rouch, qui a passé presque 30 ans en région parisienne dans la Nationale. Une trentaine d’agents supplémentaires sont recrutés, des nouveaux commissariats sont ouverts, une brigade de VTT est créée et les équipements – avec notamment des flash-balls – sont renforcés.
Depuis son arrivée à la mairie, Aliot a placé à la tête de la police municipale Philippe Rouch, qui a passé presque 30 ans en région parisienne dans la Nationale. Une trentaine d’agents supplémentaires sont recrutés, des nouveaux commissariats sont ouverts, une brigade de VTT est créée et les équipements – avec notamment des flash-balls – sont renforcés. / Crédits : Aurélie Garnier
« Aliot, en bon maire d’extrême droite, a été élu sur deux choses, la sécurité et la propreté. Il veut faire comme à Béziers », glisse un observateur de la vie politique locale.
Selon les habitants de Saint-Jacques, les insultes des municipaux, parfois à caractère raciste, sont quotidiennes ou presque. Pourtant, le fait de voir plus d’effectif était plutôt bien accueilli au début : « Les gens ont besoin de sécurité, c’est sûr, mais ils ne voient que de la répression », raconte Kamel Belkebir.
Vidéo à l’appui, Brahim (1) raconte comment en septembre, ils ont embarqué un jeune devant sa maman parce qu’il n’avait pas sa ceinture sur une place de stationnement.
Le même mois, c’est un gamin de 8 ans qui a été emmené au commissariat. Le minot jouait sur la place avec une réplique à bille d’un fusil à pompe quand un équipage a déboulé et l’a embarqué manu-militari. « C’est vrai que de loin tu peux croire que c’est un vrai, surtout quand tu habites dans un quartier comme ça », raconte Tony (1), qui voit souvent l’enfant jouer avec ses potes dans le coin. « Mais dès que tu vois que c’est un pistolet à bille, tu lui fais une leçon au petit, tu lui dis que ce n’est pas des choses qui se font et tu parles à ses parents. Mais tu ne l’embarques pas. Quelle image il va avoir de la police en grandissant ? » Dans l’Indépendant, le grand-père du petit, qui avait pu l’accompagner au comico, exprimait sa rage et son incompréhension : « [Le lendemain], le petit ne voulait même plus aller jouer au ballon dehors, j’ai pleuré de rage. Les petits, tu ne les touches pas ! De toujours, les enfants chez nous ont joué dans la rue avec des pistolets en plastique. On demande que la police ne se trompe pas de cible. »
Dans le même journal, Philippe Rouch, le directeur de la Police Municipale ne regrettait en rien cette arrestation. Il s’en félicitait presque : « Nous sommes juste plus présents qu’auparavant. Ces gens sont manipulés par des personnes que l’on dérange, avec des incitations à l’émeute. On est serein. Tout est filmé et nous avons des enregistrements audio que nous remettrons à la justice. Certains essayent de liguer les habitants contre nous, mais nous faisons notre travail et on va continuer à appuyer. »
Des histoires comme celle-ci, il y en a à la pelle. Tahar (1), qui répare la selle de son scooter avec du scotch devant la pharmacie de la place Cassanyes, montre une photo sur son téléphone de sa porte défoncée, selon lui, par la police municipale :
« Ils sont rentrés chez moi et on prit tout l’argent que j’avais économisé depuis que je suis arrivé en France. »
« T’as plein de nouveaux qui sont arrivés, des mecs baraqués et tatoués qui ressemblent à des anciens militaires », s’énerve Kadir, trentenaire à la doudoune rouge. Il renchérit : « Ils jouent les cow-boys, ils viennent, ils éteignent les caméras, ils te chauffent et bim dès que tu réponds, ils rallument les caméras. Forcément après ils vont dire qu’on est des violents. » Kamel appuie :
« Je l’appelle la milice d’Aliot. »
Destructions en série
Saint-Jacques a la particularité d’être un quartier pauvre et populaire mais à deux pas à peine du centre-ville. Dans les ruelles avec ses petits immeubles pour certains vieux de deux cents ans, vivent 5.000 âmes. Essentiellement des membres des communautés gitanes et maghrébines. Mais l’avenir de ces quelques rues est plus qu’incertain. Depuis quelques années, les majorités successives préfèrent détruire les bâtiments insalubres plutôt que de les rénover, provoquant la colère des habitants. Philippe Poisse estime à environ 80 destructions d’immeuble dans le quartier depuis 2015. Dans la plupart des cas, il n’y a pas eu de reconstruction derrière, obligeant les habitants à se loger ailleurs, ou s’entasser dans des logements trop petits pour rester dans l’endroit qui les a vu grandir.
Dans les ruelles avec ses petits immeubles, pour certains vieux de deux cents ans, vivent 5.000 âmes. / Crédits : Aurélie Garnier
« Ils veulent faire partir les habitants pauvres, vendre les parcelles à des promoteurs qui s’en foutent de la misère ici mais qui y voient un bon investissement », s’énerve Kamel Belkebir, une cigarette à la bouche. Le soleil tape ce jeudi midi sur la cité catalane et le brun fait le tour du propriétaire, amer :
« Là il y avait un îlot de plusieurs bâtiments, détruit. Au bout de la rue aussi. »
Le presque quarantenaire souriant a grandi et vit toujours à Saint-Jacques, « un quartier incroyable. » Commercial dans la fibre optique dans le civil, il se bat pour que les habitants soient enfin respectés et tenus au courant des projets dans le quartier.
Longtemps, l’îlot Puig a fait office de résistant. Quand la mairie annonce son intention de détruire les bâtiments sur la place, en 2018, les habitants se mobilisent, bloquent le chantier et font plier la municipalité.
Sauf que surprise, le vendredi 3 décembre dernier, Kamel apprend que la mairie d’Aliot reprend la destruction. « Elle devait commencer le lundi d’après », souffle-t-il au téléphone. Tout le week-end, il enchaîne les coups de fil aux élus, aux habitants, pour s’organiser et faire reculer les bulldozers. Encore une fois avec succès : la destruction est repoussée jusqu’à nouvel ordre. Pour lui et les autres habitants, la décision est incompréhensible et vient corroborer le mépris de la municipalité pour les habitants. Kamel explique :
« La veille où on a appris cette décision, on avait une réunion avec des gens de la mairie pour parler de l’urbanisme dans le quartier. Ils nous ont rien dit sur cet îlot alors qu’évidemment la décision était déjà prise. Rien ne se fait normalement ici. »
Il poursuit : « Ils ont compris qu’il valait mieux tout stopper avant que les choses prennent une autre ampleur, que ça tourne mal avec les habitants. »
« On se sent vraiment mis à l’écart, on n’a aucune information de la part de la mairie. Ils détruisent des bâtiments, comme Betriu récemment, sans qu’on sache ce qu’ils vont faire à la place. » L’immeuble Betriu, surnommé le 4B, place Cassanyes, a vu les bulldozers débarquer en septembre dernier. En quelques semaines, il n’en restait plus rien. La municipalité a invoqué le trafic de drogue pour accélérer le processus de démolition d’un immeuble pourtant en bon état et vieux d’une trentaine d’année : « Mais ça ne sert à rien, le trafic a continué dans les rues autour », raconte Kadir.
Tout pour l’université, rien pour les habitants
Le principal point de crispation pour les locaux, c’est la nouvelle antenne de l’université de Perpignan. Inaugurée en 2018 dans le quartier, elle ne cesse depuis de grappiller les bâtisses autour. « Pour ce bâtiment, qui est destiné à l’université, ils ont réussi à garder la façade d’origine », pointe Kamel en montrant un chantier. « Elle est belle en même temps. Mais pourquoi, quand c’est chez nous, ils disent que le bâtiment est insalubre et qu’il n’y a pas d’autres solutions que détruire ? »
« La construction de l’université ici ne répond en rien aux problèmes sociaux-économiques des habitants de Saint-Jacques », poursuit Philippe Poisse. Le militant politique de gauche a dirigé un temps l’ASPAHR, une association qui milite pour la préservation du patrimoine dans la région :
« Pour eux, c’est le symbole de la gentrification. Les étudiants ne viennent pas dans le quartier, ne les fréquentent pas, ne dépensent pas dans les commerces du coin, alors qu’il y aurait des choses à faire. »
Tony (1), la vingtaine, traîne avec ses potes au coin d’une rue dans le centre du quartier. Survêtement Lacoste et casquette sur la tête il confirme : « Quand on sort de chez nous on est mal vu. Les étudiants restent enfermés à l’intérieur. Un moment, il y avait la police municipale tous les jours devant, le matin, et le soir. Ils nous regardaient en mode : “Qu’est ce vous faites là ?” Mais je suis chez moi ! »
Récemment, des agressions envers des étudiants ont fait durcir le ton de l’université, qui réclame plus de sécurité. Pour Antonio (1), un autre jeune du coin, s’ils avaient inclus les habitants du quartier dans le projet, notamment à des postes de sécurité, les choses se passeraient différemment : « Ils connaissent les gens d’ici, ils pourraient calmer les choses beaucoup plus facilement. »
L’université pompe une grande partie des financements alloués au quartier. Sur une enveloppe de 25 millions d’euros prévue pour la période 2015 / 2025, dans le budget équipement pour le Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain (NPNRU), destinée à rénover le quartier Saint-Jacques, « 80 à 85% ont été aspirés par l’université » avance Philippe Poisse. Il poursuit :
« Tous les autres projets ne peuvent plus être réalisés, il n’y a plus d’argent. »
Des jeunes en colère
« S’il faut descendre à 400 à la mairie, on le fera ! C’est le ras-le-bol là. » Devant le café de la place Cassanyes, les esprits commencent à s’agiter. Dans quelques minutes, une réunion est prévue avec le responsable de l’annexe de la mairie dans le quartier. On peaufine les arguments, les besoins du quartier. « Moi je vais dire qu’il faut une association dans le quartier, un club de foot, pour que les jeunes voient un peu autre chose », dit Kadir, engoncé dans sa doudoune.
Kadir, Mohammed et Kamel sont amis d’enfance. Avec le sourire, ils se rappellent des sorties organisées par les associations et la mairie, dans les Pyrénées pas très loin, à Disneyland, ou les après-matchs de foot, dans le petit local de la rue Michel Carola. Ils lorgnent sur ce local pour y installer une future association qui permettrait aux jeunes de se retrouver plutôt que de traîner dehors, pourquoi pas d’y organiser des cours de soutien scolaire.
Depuis plusieurs années, les associations ont déserté le quartier. « Manque de subventions » souffle Kamel. Il continue :
« Bon après je ne vais pas dire que c’est que de la faute de la mairie, on subit aussi les politiques de l’État depuis des années »
Dans la grande salle de réunion du bâtiment sans âme, le fonctionnaire Jérôme Salhi fait face à la petite dizaine d’habitants présents. D’emblée, il prévient qu’il n’est pas politisé, que personne ne lui a demandé de « rejoindre le RN » et qu’il n’est qu’un « technicien qui veut faire avancer les choses ».
À Perpignan, depuis plusieurs années, les associations ont déserté le quartier de Saint-Jacques. / Crédits : Aurélie Garnier
Kadir, Mohammed et Kamel sont présents. Tout comme Nasdas, influenceur local qui fait des millions de vues sur Snapchat.
Devant le fonctionnaire, Nasdas – Nasser de son vrai nom – raconte qu’il a été contacté par la préfecture pour l’associer à des projets dans le quartier : « Mais moi c’est ma terreur de dépendre de quelqu’un. Je veux montrer qu’on peut s’en sortir par nous-mêmes. Mais avec un local, une association, et avec la notoriété que j’ai, je peux ramener énormément de bénévoles. Même des profs de facs ! »
La discussion tourne très vite sur les emplois pour les jeunes du quartier. Tous disent ne jamais être mis au courant lorsque des sessions de recrutement sont lancées. « Mais j’ai fait un atelier il y a quelques semaines avec plusieurs employeurs, 70 jeunes sont venus ! » se justifie le fonctionnaire. « Des gens de Saint-Jacques ? », lui demande-t-on. « Quelques-uns oui », répond le petit homme.
« Mais mettez-moi au courant quand il y a des événements comme ça ! » dit Nasdas. « Je fais un snap et c’est 700 jeunes que vous aurez, pas 70 ! »
Kadir raconte comment il a tenté de postuler pour un poste de médiateur dans le quartier, sans succès :
« Moi, je suis un grand d’ici, je connais tout le monde. Je peux et je veux travailler pour mon quartier. On m’a dit que ce n’était pas possible parce que j’avais un casier, alors que ça ne doit pas poser de problème pour ces boulots. Résultat on voit des gens qui ne sont même pas d’ici prendre ces postes, et ils ne servent à rien ! »
« Ce n’est pas une menace ou un avertissement, mais une information que je donne, si les choses n’avancent pas, les jeunes derrière sont prêts à faire du dégât. On veut éviter ça c’est pourquoi on est là », dit un commerçant du coin.
Pragmatique, Kamel pose les choses et demande à fixer des rendez-vous fréquents avec le fonctionnaire.
Il tente de rester optimiste :
« Il faut que les choses avancent. Pas trop lentement, pas trop vite, et en bonne intelligence. C’est dans l’intérêt de tout le monde. »
(1) Les prénoms ont été changés
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