22/11/2021

« Certains nous ont dit qu’ils n’acceptent pas ma mère, car elle est trop vieille. »

Orly, désert médical à 10 km de Paris

Par Zaid Zouihri

À Orly, le nombre de médecins diminue tandis que la population augmente. Une galère pour les habitants parfois contraints d’attendre des heures aux urgences pour une simple ordonnance.

En septembre, Laure arrive devant le Centre Municipal de Santé de la ville d’Orly (94), le CMS Gisèle Halimi. Une toute nouvelle structure médicale, initiée par la municipalité. Elle a ouvert ses portes le 3 mai 2021. Lors de ce rendez-vous, Laure doit faire le point sur son état de santé et signer une nouvelle ordonnance de trois mois qui lui permet de continuer de prendre ses médicaments. Elle a un gros problème de tension. « Le rendez-vous a été pris il y a trois semaines » explique Laure. Arrivée au secrétariat, elle demande à voir son docteur. « Vous n’avez pas été prévenu ? », reçoit-elle comme réponse :

« Votre docteur est parti. »

Mauvaise nouvelle. « Personne ne m’avait prévenu, il me fallait mon ordonnance, car sans mes cachets, ma tension peut monter jusqu’à 20. » Dans l’urgence, elle demande à rencontrer un autre médecin du centre, mais le seul toubib présent ne prend plus de nouveaux patients, sa liste est déjà saturée. Le secrétariat lui propose un sursis, une nouvelle ordonnance d’un mois. Et ensuite, bonne chance.

Les médecins sont partis

Au centre Gisèle Halimi, ce nouveau centre de santé qui a mutualisé les services des CMS Calmette et Méliès, on ne propose pas de médecine libérale mais publique avec des docteurs employés par la municipalité. Avec une volonté de proposer une médecine accessible à tous. « 609.000 € ont été investis par la ville pour assurer le fonctionnement de ces 1.200 m2 de locaux modernes », avait publié le compte Facebook d’Orly, le jour de l’inauguration du centre.

Sur le papier, c’est beau mais sur Doctolib quand on veut prendre un rendez-vous avec un médecin traitant, le site affiche toujours la même réponse : « Réservation indisponible ». Au téléphone, le secrétariat nous dit que seul un médecin est en service à mi-temps. Tous les autres ont quitté le navire. Selon l’un d’entre eux, c’est le manque de considération et la gestion « désastreuse » de la mairie qui les a poussés à partir.

Avec une offre médicale publique qui fout le camp, reste l’offre de santé libérale. Pour autant, cette dernière est loin de tenir la baraque dans la ville du Val-de-Marne. En 2018, l’agence régionale de santé avait classé Orly zone d’intervention prioritaire# pour son manque d’offres de soins, alors que cette ville est pourtant située à 10 km de Paris, dans un territoire urbanisé. Florence Ait-Salah, conseillère municipale du groupe d’opposition Agir pour Orly, explique :

« À Orly, on était déjà sur un désert médical. Il y a eu beaucoup de médecins dans le libéral qui sont partis à la retraite sans être remplacés. »

Pour le conseiller régional EELV orlysien, Philippe Bouriachi, « on se retrouve dans une ville qui va pratiquement augmenter sa population de moitié, en passant de 24.000 à 35.000 habitants. On va vers la catastrophe, il n’y a rien qui est anticipé ».

La chasse aux toubibs

« Quand on demande un médecin, il nous dit qu’il n’a pas de place », explique José avec colère au téléphone. Le chauffeur-accompagnateur pour personnes à mobilité réduite vit à Orly depuis 12 ans et il constate « qu’avec les années la situation se détériore ». Avec sa femme et ses quatre enfants, ils n’arrivent pas à trouver de nouveau médecin traitant. Pour José, atteint de diabète, la situation est inquiétante. « Quand j’ai de la chance, je vais voir un médecin à l’extérieur de la ville, car ils sont débordés aussi. Pour les enfants, on appelle à droite à gauche et on demande si personne ne peut nous accueillir. » Et le plus souvent, ils atterrissent aux urgences, faute de mieux. « Des fois, je vais à l’hôpital car personne ne peut me faire mes ordonnances pour mon diabète. » Là-bas, il attend jusqu’à 5h pour avoir son bout de papier. Une situation qui dure depuis deux ans.

Le nouveau centre Gisèle Halimi a une volonté de proposer une médecine accessible à tous. Mais sur Doctolib, quand on veut prendre un rendez-vous avec un médecin traitant, le site affiche toujours la même réponse : « Réservation indisponible ». / Crédits : DR

Au Centre Municipal Psycho-Pédagogique (CMPP) d’Orly, un centre public qui offre des soins d’orthophonie et de psychologie, c’est la même histoire. « Il y a quatre ans d’attente pour les nouveaux patients qui souhaitent consulter un orthophoniste. Des enfants ayant des troubles du langage sont dirigés par leur professeur vers un orthophoniste, mais ils n’ont pas de rendez-vous, car une seule orthophoniste est restée au centre », informe le collectif Orly Dit Non Aux Expulsions.

Marie-Antoinette aura aussi fait les frais du manque de docteurs. Début septembre, sa fille Sylvie appelle le secrétariat du centre municipal de santé Gisèle Halimi pour prendre un rendez-vous. Sa mère doit renouveler ses ordonnances et faire son bilan de santé. Au bout du fil, la conversation tourne court. « On m’a dit que le médecin de ma mère était parti. Je lui ai demandé comment on fait pour ma mère, on m’a répondu de me démerder et de trouver un médecin à l’extérieur. » Elle décide de contacter des toubibs libéraux dans la ville. À partir de là commence un véritable parcours du combattant pour Sylvie et sa mère. « Aucun ne voulait prendre ma mère, parce qu’ils sont débordés. » Mais pas uniquement :

« Certains nous ont dit au téléphone qu’ils n’acceptent pas ma mère, car elle est trop vieille. »

Les seniors nécessitent pour les professionnels de santé un suivi attentif qui prend plus de temps, ce qui en fait des patients moins rentables. C’est aussi contre ce genre de discrimination que le centre municipal a été proposé. Aujourd’hui âgée de 94 ans, Marie-Antoinette a développé de nombreux problèmes de santé (l’arythmie, des soucis cardiaques ainsi que des difficultés de mobilité) qui l’obligent à consulter un médecin régulièrement. Seules solutions pour l’Orlysienne, le 15 ou les urgences, explique sa fille :

« En septembre, ma mère a contracté une forte toux, on a été obligées d’aller aux urgences de Villeneuve-Saint-Georges (94) pour qu’elle soit consultée. »

À l’hôpital, on lui demande de voir un pneumologue, Sylvie ramène sa mère chez un spécialiste dans le 91, faute de médecins disponibles à Orly. Là-bas, lorsque Sylvie demande à être traitée par le spécialiste, on lui sort un air qu’elle connaît bien :

« On nous dit qu’il ne voulait pas, car ma mère est trop âgée. »

Du côté de la mairie divers gauche, on assume avoir « été effectivement confronté à plusieurs départs de médecins. Depuis, des recrutements ont été effectués avec l’arrivée de nouveaux praticiens et les recrutements se poursuivent. » Ils devraient arriver courant décembre, promet-on au centre.
Image d’illustration de Daniel Cubas, de Pixabay