Les heures sup’ ne sont pas payées, le matériel de sécurité non plus, et en cas d’accident, ils ne touchent rien. Alors quand en plus leur employeur a refusé de leur filer les documents nécessaires à leur régularisation, ils se sont mis en grève.
Bagui (1) est un travailleur sans-papiers. Depuis près de cinq ans, il bosse avec l’agence RSI Intérim. Dès son arrivée en France en 2016 à 25 ans, ses amis l’aiguillent vers cette entreprise, connue dans le milieu du BTP pour ne pas être trop regardante sur les titres de séjour. Au départ, tout fonctionne pour lui : à peine deux jours après la première prise de contact avec la boite, on lui propose une mission à Nanterre (92). Il est employé sous un alias. L’identité d’un ami rencontré dans le foyer où il vit qui a des papiers. Une simple photo de la carte de séjour de son collègue envoyée par WhatsApp a suffi à son employeur. Deux semaines après sa première mission, on lui trouve un nouveau poste à Corbeil-Essonnes (91) pour deux ans, où il travaille sur un chantier pour l’entreprise ECM en tant que manœuvre. Il a la casquette de l’homme à tout faire. « Je connaissais déjà le travail puisque je travaillais dans le bâtiment au pays ». À la fin de sa mission, il est envoyé à Bobigny (93), toujours sous une fausse identité.
Mais après avoir travaillé plusieurs années avec l’agence d’intérim, il souhaite voir sa situation administrative évoluer. Pour cela, il contacte son employeur par téléphone en novembre 2020 pour demander les documents qui lui permettront d’être régularisé. Une promesse d’embauche écrite à remettre à la préfecture et une attestation de concordance d’identité, obligatoire pour ceux qui travaillent avec un alias, car elle permet de mettre au dossier les fiches de paie qui ne sont pas à son nom.
Au téléphone, son employeur botte en touche. Il lui dit : « Continue ton travail, on verra ça après ». Une phrase qui reviendra à plusieurs reprises sans jamais donner de suite. Il décide, avec plusieurs dizaines d’autres travailleurs sans papiers employés par RSI Intérim, de se mettre en grève.
Première mobilisation
La mobilisation commence le vendredi 22 octobre. Plus de 150 travailleurs sans papiers manifestent dans les locaux de RSI à Paris. Une soixantaine investissent le bâtiment. Ils réclament ces fameux documents qui favorisent la régularisation et que l’agence refuse de donner. « Au bout de quatre heures, on a été évacué par la police qui était venue avec des effectifs importants » explique Christian, responsable du collectif des travailleurs sans papiers de Vitry qui les soutient dans leur lutte.
L’action coup-de-poing, n’a pas été vaine. La direction du groupe Belvedia recrutement, qui possède RSI Intérim, entame les négociations le jour même. « On a eu la directrice au téléphone qui nous a demandés ce qu’on voulait. On a répondu : “les Cerfa et les attestations de concordance d’identité.” On lui a envoyé la liste des 78 grévistes selon sa demande » raconte Christian. Une semaine plus tard, il reçoit un message de la part de Belvedia. Le groupe veut bien fournir 27 attestations de concordance d’identité, pas plus. « Déjà la proposition ne concerne pas l’ensemble de la liste et plus cela ne donne pas accès à la carte de séjour », explique Christian. Car les documents de concordance d’identité ne valent rien sans la promesse d’embauche. Pour les grévistes, c’est la douche froide. Depuis ce jour, « rien ne se passe » lâche Christian. Alors la lutte continue.
Des documents qui ne viendront jamais
Le mardi 9 novembre en fin d’après-midi, deux travailleurs en grève frappent un tambour pour mettre un peu d’ambiance. La veille, 78 salariés sans papiers de RSI, ont planté le piquet de grève devant les locaux de la boîte d’intérim située à Gennevilliers (92). Certains ont reçu des appels de leur employeur. « Mon conseiller RSI m’a appelé le 25 octobre pour me demander pourquoi je n’allais plus au chantier. J’ai dit que je ne travaillerais plus tant que je n’aurais pas mes papiers pour la régularisation. Il m’a dit “tu n’es pas intelligent” », raconte Bagui en riant.
« Il faut demander à BFM de venir » dit un passant à un groupe de cinq travailleurs. Bagui répond hilare :
« Ils ne vont pas se déplacer pour des sans-papiers. »
Le Malien de 30 ans n’est pas le plus grand de l’assemblée, mais c’est sûrement celui qui parle le plus fort. Il n’hésite pas à donner de sa personne pour amuser la galerie. À côté de lui, il y a Demba, plus réservé. Il est capuché et a les mains enfoncées dans les poches de sa veste, paré pour affronter les températures fraîches de la fin de journée :
« On restera jour et nuit, même dans le froid et la neige. »
Après pas loin de deux ans de loyaux services auprès de RSI, lui aussi a demandé à son employeur les fameux documents qui favorisent la régularisation. Au téléphone, on lui dit d’attendre. Les documents ne viendront jamais. Pourtant RSI savait qu’il bossait sous un faux nom, assure Demba : « Un jour, la personne dont j’empruntais le nom m’a dit qu’il ne voulait plus que je travaille sous son identité. J’ai appelé mon conseiller à RSI, il m’a dit : “soit tu fais une fausse pièce d’identité, soit tu ne travailles plus avec nous.“ »
Contre 350 euros, il obtient finalement un faux titre de séjour. « Sur le chantier, je suis italien », lâche-t-il avec un sourire timide.
« Ils nous traitent comme des esclaves »
Pour Demba, avoir la carte de séjour c’est aussi la garantie d’un traitement équitable au travail. Car beaucoup de travailleurs en situation irrégulière se sentent exploités. Avant la grève, Demba travaillait sur un chantier dans les Yvelines. 9 heures par jour, il exerce plusieurs tâches : coffrage, traçage, boisier… « On fait tout ce que le chef ne peut pas demander aux salariés avec papiers » peut-on lire sur un tract que deux grévistes donnent aux passants.
Comme il est sans-papiers, il est aussi sans droits et l’employeur ne se prive pas pour en profiter. Aucune aide n’est fournie par la boîte pour le transport, et même pour le matériel de sécurité. « J’ai acheté moi-même mes gants et mes lunettes de protection », avance Demba.
Pareil pour la couverture sociale. Un salarié intérimaire peut percevoir une indemnité journalière en cas d’accident de travail. Pas chez RSI assure Demba :
« Si tu as un accident, RSI ne te donne rien ».
C’est ce qui est arrivé récemment à Moussa. En juillet dernier, le Malien longiligne de 40 ans au regard dur, était sur un chantier. Il tombe d’un escabeau qui n’est pas stabilisé et se luxe le genou. Pendant quatre jours, il ne travaille pas, la douleur est trop forte. Il finira malgré tout par retourner au chantier. Il a toujours mal, mais il n’a pas le choix : « Si tu ne te pointes pas au chantier, tu n’as plus de salaire. »
Il y a aussi les heures non payées. « Chaque semaine mon chef d’équipe pointe pour moi plus de 39h [son nombre d’heures], mais RSI ne veut pas me payer mes heures sup’ », assène Bagui. Sur le tract, on lit :
« Quand on râle trop, l’agence d’intérim nous sanctionne en nous laissant sans travail une ou deux semaines. »
Demba soupire :
« Ils nous traitent comme des esclaves. »
Ce mardi 8 novembre, des conseillers RSI sont passés les voir. Ils leur ont promis les documents réclamés. « Mais nous on ne les croit plus » lâche Demba.
L’agence RSI Intérim n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations
(1) Le prénom a été modifié
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