On revient sur les enquêtes de l’année. Quelles conséquences concrètes ont eu nos révélations ? On fait aussi le bilan des docus et des projets de ces 12 derniers mois, avant de partir en vacances.
1. Des infos, de l’impact
Le 19 juillet, après plusieurs mois d’enquête, nous révélions l’escroquerie de plusieurs dizaines de sans-papiers par un faux avocat, Azzedine Jamal, et son époux, le rédacteur en chef de Politis Gilles Wullus. Moins de 24 heures après, l’hebdo annonçait sa mise en retrait. Dans la semaine, l’info de StreetPress est reprise par l’AFP et une vingtaine de titres de presse.
Cet article de Christophe-Cécil Garnier vient conclure une année riche en révélations. Avant de partir en vacances (comme chaque année, StreetPress se met en pause au mois d’août) la rédaction s’est replongée dans ses dossiers pour mesurer l’impact des affaires révélées cette année.
Balance ton boss – Premier gros dossier en octobre 2020. StreetPress et Mediapart publiaient plusieurs enquêtes mettant en lumière les méthodes de management de McDonald’s : sexisme, grossophobie, harcèlement et même viol… Les faits rapportés par Quentin Muller et Khedidja Zerouali sont terribles. Dans la foulée, la multinationale du burger ouvre des négociations avec le collectif de défense des salariés McDroits. Ils obtiennent quelques avancées, notamment la fin des jupes obligatoires. Depuis, les négociations semblent patiner, mais des discussions sont encore en cours.
Affaire de management, mais au sommet de l’État cette fois. En juin, Clara Monnoyeur épinglait les méthodes de la cheffe du bureau du cabinet du ministre de l’Agriculture. Cris, humiliations, larmes, burn-out, pensées suicidaires… Le tableau dépeint est angoissant. Après la sortie de l’article, le CHSCT s’est réuni et une enquête a été confiée au Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER).
#MeToo – En 2020 et 2021, la parole des femmes agressées sexuellement a, un peu plus qu’avant, été entendue. StreetPress a accompagné ce mouvement par son travail d’enquête. Ainsi, en octobre dernier, Inès Belgacem publiait les témoignages circonstanciés de huit femmes qui accusaient le rappeur Rétro X de viol ou d’attouchements sexuels. Des révélations qui secouent son label, Because Musique. Des salariés montent au créneau pour demander la rupture du contrat qui lie l’entreprise à l’artiste. Le PDG, Emmanuel de Buretel, propose de lancer une « réflexion autour des comportements sexistes dans le monde la musique » et la mise en place d’une série de tables rondes. Dans la boîte, la parole se libère et plusieurs dizaines de témoignages sont présentés à la direction. Cette dernière charge une avocate de mener une enquête interne. À l’issue de cette procédure, un directeur général adjoint du label est licencié pour faute grave, révèle Mediapart. Un autre salarié a reçu un avertissement.
Le 1er octobre 2020, nous avons publié les témoignages circonstanciés de huit femmes qui accusaient le rappeur Rétro X de viol ou d’attouchements sexuels. / Crédits : StreetPress / Caroline Varon
C’est l’article le plus lu de l’année (plus 700.000 vues). Il a été repris par plus de 100 médias différents. En septembre dernier, Inès Belgacem et Lola Levent recueillaient le témoignage d’une femme agressée sexuellement par le rappeur Roméo Elvis. La marque Lacoste a, par la suite, décidé de mettre fin à sa collaboration avec l’artiste.*
Clara Monnoyeur a quant à elle recueilli la parole d’étudiantes des beaux-arts qui dénoncent le sexisme et les harcèlements trop courants dans ces structures. Dans la foulée, l’école d’Art d’Amiens confie à un cabinet spécialisé, l’IAPR, une enquête sur le sujet. Un professeur, accusé par une étudiante de harcèlement et agression sexuelle a, par ailleurs, porté plainte en diffamation contre StreetPress.
Les milieux progressistes ne sont pas épargnés par les questions de harcèlement sexuel. En témoignent les deux enquêtes de Marc Faysse sur la culture du viol à l’œuvre au sein de l’ONG de lutte contre le VIH, Aides. En publiant, dans un premier temps, les témoignages de 15 salariés, puis plusieurs rapports internes, StreetPress a mis un coup de pied dans la fourmilière. L’association qui regroupe 450 salariés et plus de 2.000 bénévoles a initié un ambitieux programme de formation interne.
En janvier et en mars, nous avons mis un coup de pied dans la fourmilière sur la culture du viol à l’œuvre au sein de l’ONG de lutte contre le VIH, Aides. / Crédits : StreetPress / Aurélie Garnier
Tout le monde aime la police – Depuis plusieurs années StreetPress s’est fait une spécialité de pointer les dérives de la police. L’année passée avait été marquée par nos articles sur les groupes Facebook où des milliers de policiers s’échangent des messages racistes (on est retourné y faire un tour… le groupe vit bien ! ) et le système de maltraitance raciste au tribunal de Paris. Contacté, le parquet nous confirme que l’enquête est toujours en cours. Affaire à suivre, donc.
Cette année, Christophe Cécil-Garnier a documenté cinq violences policières supplémentaires impliquant les forces de l’ordre d’Argenteuil (ce qui fait un total de 44 pour la jolie commune du Val-d’Oise). Aux dernières nouvelles, « l’enquête déontologique » globale déclenchée par cette série d’articles est encore en cours.
Plusieurs de nos enquêtes ont aussi démontré des violences très graves commises au sein du commissariat du 19ème arrondissement. En novembre dernier, un premier article de Mathieu Molard et Christophe-Cécil Garnier rapportait des scènes de torture. Au mois d’avril, nous révélions (en même temps que nos confrères du Média) le viol de Tommy par des policiers de ce même commissariat. Pour ces deux dossiers, des enquêtes sont également en cours.
Cette année StreetPress a aussi publié les échanges sexistes et racistes entre des fonctionnaires du 8ème arrondissement. Une enquête a, ici aussi, été ouverte après nos révélations. Elle est toujours en cours. Conversations toujours : en juin, Fanta Kébé publiait un rapport de police qui retraçait une conversation entre plusieurs gardiens de la paix. L’un d’eux aurait notamment déclaré « Hitler n’a pas fini le travail ». Une affaire pour laquelle la police des polices (l’IGPN) n’a toujours pas rendu ses conclusions. Le récit du passage à tabac d’un père et de son fils par des policiers du Kremlin-Bicêtre n’aura lui, malheureusement pas de suite administrative ou judiciaire, tout comme les violences commises contre un artiste du 10ème arrondissement.
Cette année, Paris a obtenu l’autorisation de se doter d’une police municipale. Dans les couloirs de la mairie, on prépare activement sa mise en place. Les élus veulent un corps paritaire, formé au civisme et au respect. Bref, une force publique exemplaire dont le « référent déontologue » devait être… Un cadre sanctionné par le passé pour avoir affiché une image islamophobe. Les questions de StreetPress, qui s’est procuré un document le démontrant, ont finalement changé la donne : l’équipe d’Anne Hidalgo explique demander immédiatement son remplacement.
L’Assemblée nationale a voulu se pencher sur les problèmes de la police et pour ça crée une commission d’enquête parlementaire dirigée par le député LREM Jean-Marc Fauvergue… un ancien flic ! Comme le révélaient des articles de StreetPress et Libé, l’ancien patron du Raid a retiré de la liste des invités tous ceux qui pourraient critiquer son ancienne maison. Mais après la publication de l’enquête de Nathalie Gathié, la plupart des exclus ont finalement reçu un carton d’invitation.
Élus, préfecture, voyageurs… – À Pierrefitte, un adjoint au maire socialiste loue à une mère et six enfants un logement insalubre, révèle un article de Christophe-Cécil Garnier et Maria Aït Ouariane. Des révélations qui ont fait réagir la classe politique locale. La famille s’est finalement vue proposer une solution de relogement par la préfecture.
En avril, nous avons raconté comme un adjoint au maire socialiste de Pierrefitte louait un logement insalubre à une mère et six enfants. La famille s’est finalement vue proposer une solution de relogement par la préfecture. / Crédits : StreetPress
Yasser est né et a grandi à Mayotte. Il est Français. Pourtant, la police l’a expulsé vers les Comores. Après la publication de l’article de Yoram Melloul sur StreetPress, la préfecture a payé le billet de retour.
Près de 400 membres répartis sur le territoire français qui s’entraînent à la baston et au maniement des armes. C’est ce que révèle notre enquête dans l’arrière-cuisine du groupuscule d’extrême droite Vengeance Patriote. Après la publication de l’enquête de Naima Coloma sur StreetPress, le club de tir où s’entraînaient ces militants d’extrême droite a fait le ménage.
Toutes ces enquêtes sont en accès libre. Ce choix du gratuit, nous l’avons fait parce que nous tentons de faire une information populaire. Ce travail d’investigation prend du temps. Ce temps, c’est vous qui nous l’offrez en nous soutenant financièrement. En nous donnant 1 euro, 3 euros ou 10 euros que ça soit en une fois ou chaque mois, vous devenez les garants de notre indépendance et surtout, vous nous permettez d’exister. C’est par ici que ça se passe.
2. Des opés spéciales
En janvier dernier, Léa Gasquet apprenait que les voyageurs intoxiqués par l’incendie de l’usine Lubrizol étaient en plus menacés d’expulsion. La métropole de Rouen, à l’origine de la procédure, a d’abord nié. Dans la foulée, StreetPress publiait les documents démontrant qu’ils avaient bien l’intention d’expulser ces familles. L’agglo a finalement rendu les armes et retiré la procédure (celle là-même dont elle niait encore l’existence la veille).
Cette enquête fut le point de départ d’un travail au long cours mené par Léa Gasquet. Stigmatisées partout ou presque, les communautés dites des « gens du voyage » sont parmi les plus discriminées. En France, pas un seul département ne dispose du nombre d’aires d’accueil imposé par la loi pour loger les voyageurs. Et celles existantes sont bien souvent indignes. Grâce à votre soutien financier StreetPress a pu consacrer un grand dossier au sujet. Avec un mini-docu vidéo qui retrace le combat de Vanessa pour obtenir le relogement des habitants de l’aire d’accueil voisine de l’usine de Lubrizol (Léa Gasquet & Thomas Porlon).
Mais pourquoi ne partent-ils pas ? Parce que le département manque cruellement d’aires d’accueil. Léa Gasquet s’est plongée dans le schéma départemental, le document qui définit l’implantation des différents terrains pour les voyageurs. Comme partout ailleurs, les pouvoirs publics ne respectent pas la loi, mais en plus ils trafiquent les chiffres pour tenter de le dissimuler. Un article accompagné des illustrations de Caroline Varon. Léa est aussi partie dans le nord pour documenter (avec le photographe Yann Castanier) le combat des femmes de l’aire d’accueil pour les gens du voyage de Hellemmes-Ronchin. Depuis 2013, elles se battent contre l’usine de béton et la concasserie de gravats qui les empoisonnent. Ce dossier a été largement inspiré par le travail de documentation de William Acker, dont vous pouvez retrouver l’entretien ici. Nous avons été suivis dans ce projet par les médias indépendants locaux Rue89Strasbourg, Rue89Lyon et Marsactu.
Autre projet. StreetPress s’est associé au média d’investigation espagnol El Salto et au quotidien italien La Repubblica pour le projet « On the run from the past ». Son objectif : enquêter sur ces sud-américains installés en Europe et accusés d’avoir commis des crimes contre l’Humanité pendant les dictatures militaires. En septembre nous avons publié une longue enquête en deux parties de Robin D’Angelo et Lucas Chedeville qui retraçait la cavale en France de l’ancien des escadrons de la mort, Mario Sandoval (ici et là).
Nous avons aussi publié certaines des enquêtes de nos partenaires (ici).
Dernier projet : StreetPress s’est associé à neuf autres médias européens pour mettre en avant et en vidéo des thématiques qui intéressent les jeunes. Chacune des vidéos de ce projet est traduite en plusieurs langues et relayée dans les différents pays. C’est dans ce cadre-là que nous avons raconté comment des jeunes de deux cités du 94 ont réussi à mettre fin aux guerres entre leurs quartiers.
3. Un docu événement
Cette année, StreetPress a également monté sa société de production pour proposer à d’autres diffuseurs nos histoires. En mai dernier est sortie sur FranceTv Slash notre première série documentaire Rixes, réalisée par Matthieu Bidan. Un travail apprécié par la presse (Le Monde, Télérama, France 5, France Inter,…) mais surtout un vrai succès d’audience. Ainsi, le premier épisode également diffusé sur StreetPress a aujourd’hui dépassé le million de vues.
D’autres films sont en préparation. Avec notamment Inès Belgacem qui est en train de charbonner sur un projet.
4. Des procès
Avec nos enquêtes, on ne se fait pas que des copains… En février, Clara Monnoyeur publiait une enquête sur le harcèlement et les agressions sexuelles aux Beaux-Arts. Comme évoqué plus tôt, un professeur, accusé par une étudiante de harcèlement et agression sexuelle a porté plainte en diffamation contre StreetPress.
Après une enquête sur le harcèlement et les agressions sexuelles aux Beaux-Arts, un professeur a porté plainte en diffamation contre StreetPress. / Crédits : StreetPress
En octobre, StreetPress publiait la retranscription d’un enregistrement plus que compromettant pour le maire d’Alfortville, ex-député et toujours porte-parole du PS. Sur la bande, on l’entendait proposer l’effacement des dettes du club de foot local contre un soutien politique. Accusé de clientélisme, l’élu socialiste a porté plainte contre StreetPress. N’hésitez donc pas à repartager régulièrement cet article.
Dans plusieurs vidéos le Raptor Dissident, a assuré qu’il avait porté plainte contre nous. Le youtubeur d’extrême droite à succès n’a visiblement pas apprécié qu’on démontre son implication dans la création du groupuscule néo-nazi Vengeance Patriote. On attend la lettre recommandée.
Même si on a une super avocate pas trop chère (Valentine Rebérioux), tout ça va nous coûter des sous. Une raison de plus de nous faire un don !
5. C’était sur StreetPress avant d’être ailleurs
StreetPress est un média qui mène des enquêtes et raconte des histoires inédites… souvent reprises ailleurs. Voici une petite liste des sujets que vous avez pu lire chez nous avant de les retrouver ailleurs (en plus de tous ceux évoqués jusque-là).
La très chère école privée fondée par Audrey Pulvar. / Famine, star du black métal et militant néonazi. / Les catho-réac de SOS Mamans payent des femmes pour qu’elles renoncent à avorter. / Un policier harcèle-t-il des responsables de supporters bordelais ? / Après un débat sur l’esclavage, un surveillant de collège est accusé de radicalisation et licencié. / Pour faire des économies, Carrefour remplace une partie de ses CDD par des jeunes en contrat pro. / Estelle RedPill, la TikTokeuse préférée de la fachosphère. / Samir, traité de « bicot » par des policiers, aujourd’hui menacé d’expulsion. / Dans tous les commissariats de France, on utilise la reconnaissance faciale. / Le policier lanceur d’alerte Benmohamed menacé de sanctions pour avoir témoigné à l’Assemblée nationale. / Le commissaire filmé en train de matraquer un manifestant traîne d’autres casseroles. / Un gendarme fonce en voiture dans une foule de Gilets jaunes, le parquet requiert une amende. / Bientôt dans presque tous les commissariats, un logiciel pour fouiller dans vos portables. / Jugé pour avoir traité de violeur le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. / Loi Sécurité globale : Le petit cadeau du député retraité de la police aux retraités de la police. / Racisme et apologie des violences policières sur TN Rabiot, le groupe Facebook qui regroupe des milliers de fonctionnaires. / Comment Carrefour contourne l’interdiction de vendre des produits non-essentiels. / À Hénin-Beaumont, la Société Générale impose à une cliente de retirer son voile. / À Calais, un Érythréen gravement blessé au visage par un tir de LBD40 / 8 associations d’aide aux migrants de Calais attaquent en justice la préfecture / Ce que les gaz lacrymogènes font à nos utérus. / Le préfet de Paris a bien ordonné l’arrestation préventive de Gilets jaunes.- / À Paris, Amazon embauche des gros-bras méchants pour protéger une publicité illégale. / Maffesoli : le sociologue médiatique est aussi un grand ami de l’extrême droite et de Matzneff. / Sur Snapchat, les comptes « ficha » diffusent des nudes de mineures sans leur consentement.
Tout ceci est le fruit d’un travail d’équipe. Bravo et merci à tous, que vous soyez staffés, pigistes ou que vous œuvrez dans l’ombre pour faire fonctionner le site, faire vivre le média ou vous assurer que chacun soit payé en temps et en heure. Nous avions fait le même bilan l’année dernière. Il est à retrouver ici. Rendez-vous à la rentrée.