19/07/2021

Escroquerie, faux documents et cash

Comment l’ex-agent de Mia Frye et le rédacteur en chef de Politis ont arnaqué des dizaines de sans-papiers

Par Christophe-Cécil Garnier ,
Par Caroline Varon

Azzedine Jamal se présente comme un avocat, ce qu’il n’est pas, à des sans-papiers à qui il propose de monter des dossiers de régularisation contre plusieurs milliers d’euros. Une escroquerie à grande échelle : StreetPress a identifié 55 victimes.

Ayoub (1) vit en France depuis quatre ans. Sur les conseils d’un ami à l’automne 2020, il se rend au bureau d’Azzedine Jamal pour qu’il l’aide à obtenir des papiers. L’homme jette un œil aux fiches de paie d’Ayoub. Le dossier, dit-il, est béton :

« Il m’a dit qu’en six mois maximum, c’était bon, j’aurais un titre de séjour. »

Le jeune cuistot sort du rendez-vous allégé de 4.500 euros (une avance) mais plein d’espoir :

« J’ai parlé avec ma famille en leur disant que le mois d’août j’allais pouvoir venir en Algérie pour être avec eux. »

C’est seulement quatre mois plus tard qu’il comprend qu’il n’aura pas ses papiers et qu’il ne reverra jamais son argent, victime de la combine d’un escroc : Azzedine Jamal.

Depuis deux ans, l’homme se fait passer pour un avocat pour vider les poches de sans-papiers. À partir de témoignages mais aussi des quantités de contrats, fiches de paie, factures ou relevés de comptes, StreetPress a démonté les business de ce charlatan de 37 ans. De Marseille à Paris, en passant par les États-Unis, Azzedine Jamal a multiplié les business pendant des années : producteur, trader, manager de personnalités et enfin faux avocat.

Au cours de cette enquête nous avons formellement identifié 79 victimes de ses magouilles, dont 55 personnes sans-papiers. « Il escroque des gens qui n’ont rien, qui vivent à trois dans un studio. Ce gars-là, il n’a pas de cœur », lâche dépitée une victime. Selon nos estimations, il aurait sur ces trois dernières années, encaissé plus de 200.000 euros grâce à ses manœuvres. Et selon plusieurs sources, il ne s’agirait là que d’une partie de l’affaire : il y aurait bien d’autres victimes.

Azzedine Jamal devrait bientôt être rattrapé par la patrouille. D’après nos informations, quatre personnes – assistées par maître Rajnish Laouini – devraient porter plainte ce lundi 19 juillet auprès du parquet de Bobigny pour usurpation de la qualité d’avocat, escroquerie et travail dissimulé (2).

Une autre victime, Imran (1), a également déposé une plainte en août 2020 pour escroquerie contre Azzedine Jamal, dont les arnaques lui auraient coûté plusieurs dizaines de milliers d’euros. Elle vise également le conjoint du faux avocat, le rédacteur en chef de Politis, magazine de gauche à « l’engagement humaniste, social et écologiste », Gilles Wullus. Notre enquête révèle que le journaliste est largement impliqué dans cette escroquerie aux sans-papiers. Contacté, le journal Politis déclare tout ignorer de cette affaire (3).

L’escroquerie

Une semaine avant la publication de cette enquête, StreetPress a rencontré Azzedine Jamal et son mari dans un café d’une zone industrielle du 93. Pendant un peu plus de deux heures, ils ont tenté d’expliquer leur « activité commerciale ». Azzedine Jamal propose aux sans-papiers de constituer des dossiers de régularisation pour des titres de séjour et d’accompagner ses clients pour les démarches administratives en préfecture. Une prestation qu’il facture entre 5.000 et 9.000 euros selon les dossiers. La moitié est versée à la signature et le reste à la fin. Un tarif prohibitif. Selon nos informations, un vrai avocat facture en général autour de 1.500 euros pour une telle prestation. Le prix est élevé parce que la prestation est express, jure Azzedine Jamal.

StreetPress a pu se procurer le contrat type qu'Azzedine Jamal propose à ses clients. Ici, la prestation est facturée 8.500 euros. Un tarif prohibitif. Selon nos informations, un vrai avocat facture en général autour de 1.500 euros pour une telle prestation. / Crédits : StreetPress

Alignant les verres de San Pellegrino, le couple se débat pour trouver des explications. Ils nient avoir mené une escroquerie, concédant quand même des manquements graves, notamment avoir rédigé des faux documents. Mais toujours pour la bonne cause et pas souvent !

Au cours de cet entretien, Azzedine Jamal déclare avoir signé 45 contrats en deux ans pour… Trois régularisations à peine ! Finalement, deux jours plus tard, il annonce par mail 47 clients « en attente » (4) et revendique neuf régularisations. Sauf qu’il est bien incapable de le démontrer : aucun titre de séjour ne figure parmi les documents fournis. Trois sont des récépissés de demande, une preuve que le dossier a été déposé en préfecture mais qui peut toujours être refusé. Au moins deux documents fournis sur les neuf concernent des affaires qui n’ont pas abouti. Et, selon nos informations, l’un de ces récépissés n’a pas été obtenu directement par Azzedine Jamal mais par un avocat qui a travaillé avec lui sur une poignée de dossiers (5).

Selon les deux hommes, si leur petit monde s’écroule aujourd’hui c’est à cause d’une cabale montée contre eux par des apporteurs d’affaires recrutés par le faux avocat (6). Un groupe de jeunes peu scrupuleux selon eux qui les auraient escroqués en prenant de trop grosses commissions. En face, les concernés démentent.

Les petites mains

Yanis (1) et Thomas (1) se connaissent depuis plus de dix ans et ont grandi à Drancy (93). À l’été 2020, leurs deux potes Marouane et Mehdi (1) les informent que le cabinet JS Law où ils bossent cherche des profils comme eux et leur font passer une offre disponible sur Pôle emploi. Dans un café du Blanc-Mesnil, ils rencontrent Azzedine Jamal, le boss de la boîte créée en avril 2020. Costume-cravate, cheveux soignés et tatouage de barbe, ce dernier se présente comme un avocat qui a la possibilité d’aider les immigrés. Leur rôle serait celui d’un apporteur d’affaires : ils doivent trouver des sans-papiers et les amener au cabinet JS afin qu’Azzedine Jamal mène les procédures de régularisations. « Il nous dit qu’il a déjà monté des boîtes similaires aux États-Unis et qu’il exporte son modèle », détaille le premier, un brun aux cheveux attachés.

Azzedine Jamal, le prétendu avocat, recrute via des annonces Pôle emploi des personnes n'ayant aucune connaissance en droit, à des postes de juristes ou d'assistants avocats. / Crédits : StreetPress

Le boulot est en CDI et la rémunération est parfois conséquente. Certains peuvent toucher un Smic renforcé par des commissions liées au nombre de clients amenés mais d’autres affichent des contrats à 3.900 euros brut. Yanis et Thomas rejoignent leurs potes Marouane et Mehdi avec le statut d’assistants avocats ou juristes. Et tant pis si aucun n’a de connaissances en droit. Le faux avocat leur présente son mari, Gilles Wullus, rédacteur en chef de Politis. « On s’est renseigné, on a vu leurs éditos, leurs Unes, ça allait dans le sens de l’immigration. C’était cohérent », estime Yanis, la voix calme. Ils ne sont pas les seuls. Depuis deux ans, au moins neuf apporteurs d’affaires auraient roulé pour Azzedine Jamal. Certains ont été recrutés sur Le Bon Coin, d’autres seraient des livreurs ou des chauffeurs VTC embobinés par le prétendu avocat.

Sur ce contrat de travail que StreetPress a pu se procurer, il est bien précisé que la personne est engagée en qualité de « juriste ». / Crédits : StreetPress

Sur un autre contrat de travail, il est bien précisé que la personne est engagée en qualité d'« assistant avocat ». / Crédits : StreetPress

Azzedine Jamal devient rapidement assez proche des « apafs » comme il les appelle ou de ses victimes. Quitte à rendre quelques services, comme pour Farès (1) qui voulait obtenir un titre de séjour pour son frère et sa cousine : « Il a fait passer mes parents chez son docteur pour faire des analyses. Il a tout payé, même les médicaments à la pharmacie », détaille ce dernier, qui le considérait « comme un ami » :

« C’est pour ça que je lui ai donné ma confiance. Il m’a bien entubé. C’est ça qui fait mal surtout. Je n’arrive pas à l’accepter. »

Le faux avocat

Yanis, Thomas, Marouane et Mehdi font jouer leurs relations pour trouver des candidats. Ils vont chercher le cousin, le voisin du 1er étage. Ils proposent leurs services au travailleur bangladais d’un restaurant ou aux habitants d’un foyer malien… Les « clients » sont Tunisiens, Sri Lankais, Algériens, Marocains ou Sénégalais. La vingtaine ou les quarante ans bien tapés, ils habitent au fin fond de l’Essonne ou au bout de la Seine-Saint-Denis. La majorité travaille en France depuis des années et a de vraies chances d’obtenir une régularisation. Azzedine Jamal harcèle ses apafs « tous les matins » pour avoir des sans-papiers, témoigne Marouane. À ses côtés, Thomas opine :

« Il nous mettait la pression tout le temps : “Ramenez des clients. Il n’y a personne là, le cabinet va mourir”. »

Azzedine Jamal les reçoit parfois dans le bureau installé dans son domicile du 93, dans des bureaux qu’il loue de la Tour Montparnasse ou dans ceux des tours jumelles Mercuriales à Bagnolet (93). Il se fait appeler « maître Jamal » et se présente comme un baveux. Face à StreetPress, Azzedine Jamal assure d’abord qu’il n’a jamais usurpé le métier d’avocat. Il se rétracte quand nous lui annonçons que plusieurs enregistrements le prouvent : ce serait alors ses apporteurs d’affaires qui l’auraient présenté comme un avocat auprès des clients. « Parfois, je ne les ai pas désavoués, c’est vrai. Mais je l’ai fait souvent », tente-t-il. Un mensonge, selon nos informations. Et quand on lui demande s’il a conscience que c’est tout de même illégal, l’escroc jure :

« Tout à fait, mais ce n’est arrivé que très peu de fois. »

S’il n’est pas avocat, pourquoi a-t-il embauché en qualité d’assistants avocats ses apporteurs d’affaires, comme le montre les contrats que StreetPress a en sa possession ? Selon Azzedine Jamal, ce seraient des faux qu’il a créés et « qui ont permis à certaines personnes qui me l’ont demandé d’avoir des appartements », lâche-t-il naturellement. Questionné sur cette nouvelle entorse à la loi, Gilles Wullus conclut :

« Vous trouverez des choses illégales, bien sûr. »

Dans cet échange SMS, Azzedine Jamal se présente comme étant un « avocat américain ». / Crédits : StreetPress

Des tonnes d’espèces

Le faux baveux demande aux sans-papiers d’apporter tous leurs documents originaux : passeport, fiches de paie, contrat de travail, justificatifs de domicile… Ainsi qu’une tonne d’espèces pour les acomptes. « Quand on lui amenait des gens qui voulaient payer par chèque ou virement, il nous tapait sur les doigts », se rappelle Yanis. L’arnaqueur met les formes. Il fait signer des contrats et envoie des reçus avec la TVA. « Ça semblait sérieux », regrette Ayoub. L’escroc rassure ses proies avec un argument massue : si la préfecture refuse la régularisation, il rembourse l’avance !

Le faux avocat demande aux sans-papiers d’apporter tous leurs documents originaux : passeport, fiches de paie… Ainsi qu’une tonne d’espèces pour les acomptes. / Crédits : Caroline Varon

Les avocats se racontent parfois comment des collègues surfacturent leurs tarifs pour des dossiers de régularisation à la préfecture. Mais jamais aucun n’a entendu parler d’une telle industrialisation de l’arnaque. Surtout qu’Azzedine Jamal ne paie pas toujours ses collaborateurs. À Marseille, où il a eu un cabinet, une comptable et un apporteur d’affaires n’ont jamais été rémunérés. Un avocat local ne l’a pas plus été pour certains dossiers gérés à la place du faux baveux. À Paris, une juriste fraîchement diplômée et embauchée en juillet 2020 pour s’occuper des dossiers est également en litige pour des salaires impayés. Elle n’a pas souhaité répondre à StreetPress. Quant aux quatre apporteurs d’affaires, ils auraient touché moins de 4.000 euros chacun contre la dizaine de milliers d’euros promise pour quatre mois de travail, contrairement aux dires de leur ex-boss. Mehdi y croyait pourtant. Il s’était fait des cartes de visite avec la mention « juriste » :

« Je n’ai voulu escroquer personne, j’ai même ramené mon père à ce faux avocat. Pour moi c’était la justice. On s’est pris une bonne claque. »

Dans cet échange de mail, Azzedine Jamal écrit : « Je m'engage à vous rembourser en cas de refus formel et sans appel, de la procédure. » Une façon de rassurer les victimes. / Crédits : StreetPress

Un travail douteux

Lui et les autres apporteurs d’affaires ont commencé à douter du statut d’avocat d’Azzedine Jamal quand ils ont vu qu’il ne refusait aucun dossier. « Au début, ça ne nous paraissait pas bizarre car on ne connaissait pas le milieu. Mais après, on s’est dit : “Tout le monde va vraiment avoir ses papiers ?” », rembobine Mehdi. Surtout que les délais s’allongent. « Il y avait toujours un truc. Là, c’est le Covid. Là, les préfectures tournent au ralenti. Au bout d’un moment, ça ne passait plus », renchérit Thomas, remonté.

Pour se justifier, le trentenaire est prêt à tout. Il certifie à plusieurs victimes qu’il a « acheté des rendez-vous » en préfecture, qui sont normalement gratuits. Pour cela, il a utilisé un site pour réserver des créneaux à 40 euros. Mais ce genre de service est bancal : il ne donne pas de date et est loin de garantir un rendez-vous à 100 pour cent car certaines officines revendent les horaires à plusieurs personnes. Il semblerait que l’escroc se soit fait prendre à son propre jeu : alors qu’il a acheté onze créneaux fin mars, au moins neuf n’ont jamais donné de rendez-vous.

Ayoub, lui, a bien reçu un courrier de la sous-préfecture du Val d’Oise, à Argenteuil. Mais pour lui indiquer que son dossier était incomplet :

« Il manquait des pièces d’identité, des fiches de paie. Alors que ce n’est pas possible. Moi, quand je l’ai rempli, il y avait tout. »

D’après des avocats en droit des étrangers, les délais pour avoir un rendez-vous à Argenteuil sont normalement « d’un mois et demi à peu près ». L’une des baveuses est consternée face au courrier d’Ayoub : « C’est hallucinant, le passeport et les justificatifs de domicile sont les deux premiers documents exigés. Le dossier est manifestement incomplet, il n’a pas fait son boulot. »

Les actions d’Azzedine sont parfois bien loin de la solidarité qu'il prétend mener. Il n'hésite par exemple pas à menacer certains de ses clients. / Crédits : Caroline Varon

Des menaces

Azzedine Jamal et Gilles Wullus l’assurent : ce travail de régularisation serait une œuvre sociale. La situation catastrophique des sans-papiers en France les « dégoûte », affirme le rédacteur en chef de Politis. Azzedine Jamal assure que sa mère elle-même a été en situation irrégulière à son arrivée en France. « Le fait qu’on fasse tout pour empêcher ces gens-là d’avoir leurs droits, c’est insupportable. Quand il [Azzedine Jamal] a eu cette idée-là, je ne lui ai pas dit non. Même s’il n’est pas juriste », continue Gilles Wullus. Mais quand on les relance sur l’escroquerie, le journaliste donne son avis sur les sans-papiers croisés par son mari :

« Beaucoup gagnent très bien leur vie. Ce n’est pas le pauvre sans-papiers du coin qui vient payer 5.000 euros pour ses papiers. »

La plupart des clients que nous avons contactés ont pourtant dû emprunter les avances auprès de proches pour les titres de séjours qu’ils n’ont jamais eu. « T’imagines, tu paies quelqu’un pour faire tes papiers. À la fin, tu n’en as pas et tu dois repayer les gens. C’est ça qui fait mal », souffle Ayoub. Cela fait huit mois qu’il attend et qu’il n’a pas remboursé ses créanciers. L’homme de 27 ans travaille dans la restauration mais n’a touché aucune paie depuis l’automne « à cause du Covid ». « Et je n’ai pas les aides », complète-t-il.

Les actions d’Azzedine sont souvent bien loin de la solidarité qu’il prétend mener. Bassem (1) est en France depuis cinq ans. Ce Marocain a payé une avance de 5.500 euros. En mars, il l’interroge par SMS sur la lenteur de son dossier, alors que son frère a déjà eu un rendez-vous en préfecture en quelques mois sans avocat. L’escroc devient agressif :

« Vous allez me parler autrement, sinon je saisis les instances et personne n’aura jamais rien, est-ce que c’est clair ? Si vous me parlez encore une fois, c’est directement retour au pays. »

« Je n’ai jamais fait ça », répond Azzedine Jamal, avant de se rétracter encore : « Peut-être sous la colère. C’est possible. » Le faux avocat aurait réitéré ces menaces à d’autres sans-papiers qui souhaitaient récupérer leurs dossiers. « Il disait qu’il connaissait des gens à la police. Qu’il allait nous ficher S », détaille Farès.

Parfois, Azzedine Jamal va jusqu'à menacer ses clients. / Crédits : StreetPress

Une arnaque à Marseille

Azzedine Jamal n’en est pas à son coup d’essai. L’escroc a usé des mêmes techniques à Marseille du printemps à l’automne 2019 pour son premier cabinet spécialisé selon ses dires dans « l’immigration, les infractions pénales et les assurances » : J&N. Antoine (1), un véritable avocat, a été sollicité pour mener quelques dossiers, sans savoir que c’était une arnaque. Mais le comportement d’Azzedine Jamal l’a vite bloqué :

« Il m’appelait alors qu’il était avec des gens. Il me demandait un point juridique, j’expliquais le truc et il raccrochait direct. Je ne savais pas ce qu’il disait avant ou après. En gros, j’étais sa caution avocat. J’ai fini par dire stop. »

L’escroc signe un maximum de contrats avant de plier bagage à la fin de l’été. « Il est parti alors que beaucoup de personnes avaient des dossiers en attente », glisse la comptable recrutée pour gérer les dossiers pendant un mois et demi. Deux ans après, certains n’ont toujours pas récupéré leur passeport. Une personne en situation de handicap attend encore ses documents médicaux qu’il avait transmis au charlatan dans le cadre d’une procédure judiciaire à Marseille en 2019. « Tout est bloqué, on ne peut rien faire », désespère un de ses amis. « Je n’ai pas de solutions. Je ne peux pas aller voir la police », se désole Ahnaf (1) en anglais, arnaqué à Paris. Face à ces accusations, Azzedine Jamal nie à nouveau : il aurait rendu tous les documents à ses clients marseillais (7). Pourtant, après l’entretien, Gilles Wullus fait machine arrière et confie par mail avoir retrouvé « des originaux dans onze dossiers ». Selon nos informations, d’autres dossiers sont encore à Marseille.

Le rôle de Gilles Wullus

Dans ce café de zone industrielle où StreetPress confronte le couple aux éléments collectés, Gilles Wullus se décompose au fil de l’entretien. Le journaliste semble découvrir au fur et à mesure les méthodes de son mari. Parfois aussi, il semble dans le déni. Ils sont pourtant mariés et en affaires depuis longtemps : entre 2012 et 2018, ils ont eu quatre compagnies en commun aux États-Unis, où le journaliste était manager ou gérant – l’une d’elle porte même son nom : Wullus LLC.

Son statut social et ses engagements politiques ont aussi servi de caution morale à son mari, le faux avocat Azzedine Jamal. Les collaborateurs du cabinet sont impressionnés quand ils entendent le red’ chef parler de Christiane Taubira ou qu’ils le voient en discussion sur Zoom avec des personnalités politiques de premier plan. Passé par l’AFP, Libération ou Têtu – où il a été directeur de la rédaction – le journaliste a un carnet d’adresses bien rempli que son conjoint n’hésite pas à mettre en avant, selon les apporteurs d’affaires. « Il dit qu’il connaît Jack Lang ou François Bayrou. » À StreetPress, Azzedine Jamal promet qu’il n’a jamais utilisé les contacts de son époux car « moi-même je les ai ».

Gilles Wullus est aussi partie prenante des cabinets. Le rédac' en chef est gérant de J&N depuis octobre 2019 et avoue faire du conseil à son mari. / Crédits : Caroline Varon

Mais Gilles Wullus est aussi partie prenante des cabinets. Le rédacteur en chef est gérant de J&N depuis octobre 2019 et avoue faire du conseil à son mari. « Nous formons un couple. Je lui parle de mon boulot et il me parle du sien », pose-t-il simplement. S’il « ne connaissait pas le contenu des dossiers », jure son conjoint, Gilles Wullus lui dit « comment sortir de la merde quand j’ai une merde ». Au cours de notre entretien, Gilles Wullus insiste longuement sur l’état de santé d’Azzedine Jamal. Il montre une vidéo d’une de ses crises non-épileptiques psychogènes (Cnep). Il serait également épileptique et aurait des épisodes maniaco-dépressifs suite à un accident de la route en 2010. Dès octobre 2020, ses crises sont de plus en plus nombreuses alors que les apporteurs d’affaires commencent à relever tous les manquements administratifs et financiers de JS Law. Alors qu’il se met en arrêt maladie pendant trois mois à partir de janvier, Gilles Wullus calme le jeu. « Il nous a dit que le cabinet allait trouver des solutions », explique Marouane. Il envoie des messages à Mehdi pour le ramener à la table des négociations. Face à leurs questions, le rédac chef les rassure. « Je sais qu’il [Azzedine Jamal] a fait plein de conneries », leur dit-il en mars, au bord des larmes, lors d’une réunion à son domicile sans son mari. « Si on a mis aussi longtemps à agir, c’est à cause de lui », surenchérit Yanis.

Le journaliste aurait pourtant pu mettre fin à toute cette arnaque. Depuis septembre 2017 et la décision d’un juge des tutelles, Gilles Wullus est le curateur renforcé d’Azzedine Jamal, en raison des problèmes de santé de ce dernier. Un curateur doit assister un « majeur incapable » et veiller à ses intérêts. Mais la curatelle renforcée est encore plus contraignante, le journaliste est censé « l’assister et le contrôler dans la gestion de ses biens et de sa personne » et doit recevoir tous ses revenus jusqu’en 2022. Le faux avocat n’a pas pu créer ses cabinets et son business sans être assisté de son curateur. Selon ce statut, Azzedine Jamal ne devrait d’ailleurs pas être gérant du cabinet JS, ce qu’il est depuis janvier 2021. Face à StreetPress, Gilles Wullus assure qu’il « vient de l’apprendre ». Ce n’est pourtant pas la première fois qu’Azzedine Jamal déroge à la règle : il avait déjà été gérant dans deux entreprises de production vidéo et de restauration en 2018 et 2019.

Depuis septembre 2017 et la décision d’un juge des tutelles, Gilles Wullus est le curateur renforcé d’Azzedine Jamal. / Crédits : StreetPress

L’enfer d’Imran

Imran a été l’associé d’Azzedine Jamal à cette période. Il a fini par quitter l’aventure après avoir vécu mille galères aux côtés de l’escroc pendant un an et demi, de janvier 2018 à l’été 2019. Une fois, Imran a trouvé son nom et sa tête aux cheveux bruns rasés – mais avec Jamal comme prénom – sur une fausse carte de séjour. Elle était brandie dans un SMS par Azzedine Jamal pour prouver sa bonne foi auprès de sans-papiers. Interrogé sur le sujet, ce dernier nie. Au moins une autre personne aurait vu son identité usurpée de la sorte, selon nos informations.

Imran, lui, a rencontré Azzedine Jamal via une offre de modèle sur Pôle Emploi, alors qu’il enchaînait les intérims. Le (futur) faux avocat se présente alors comme manager d’artiste. Il revendique avoir été le chargé de communication de Saïd Taghmaoui, l’acteur de la Haine, entre 2004 et 2010. Et le manager de la danseuse Mia Frye depuis 2014, selon ses réseaux sociaux. Contacté, le premier n’a pas répondu. Du côté de l’ancienne jurée de Popstars, on commence par nier avant de concéder l’avoir embauché comme agent jusqu’en 2016 en plus d’être webmestre. Mais les relations se seraient interrompues en 2018 (8).

À cette période, Imran est SDF et squatte les canapés de potes ou les banquettes arrières de voitures. Au bout de quelques mois, Azzedine Jamal lui propose de l’accueillir à son domicile et de monter plusieurs entreprises avec lui. Mais Imran aurait trouvé des courriers qui portent son nom dans les corbeilles de la maison. Et de fil en aiguille, il aurait découvert des crédits à la consommation contractés sous son identité chez ING, American Express, Darty, Cofidis… (9). Tout cela pour des milliers d’euros. Ils auraient été réalisés grâce à des fausses fiches de paie créées par Azzedine Jamal. Cette utilisation frauduleuse a valu à Azzedine Jamal et sa société Black Baron Code un signalement de l’entreprise fiche-paie.net en mai 2019 à la répression des fraudes (DGCCRF) et au procureur de la République, d’après des mails que StreetPress a récupéré :

« Nous constatons de sérieuses irrégularités quant à l’utilisation de votre compte client. Ce dernier est dans tous les cas suspendu pour impayé. Nous sommes contraints de signaler aux entreprises concernées l’usurpation de leur identité. »

Après avoir créé des fausses fiches de paie, d'Azzedine Jamal a fait l'objet d'un signalement à la répression des fraudes (DGCCRF) et au procureur de la République. / Crédits : StreetPress

Mais de son côté, Imran est la cible des entreprises créancières. « J’ai tout de suite essayé de les contacter mais ce n’était que par téléphone où ils me demandaient l’identifiant. Comme l’emprunt n’avait pas été pris par mon téléphone ou mon mail, j’étais piégé », détaille Imran, qui a depuis compris la manœuvre :

« L’hébergement, ce n’était pas pour m’aider mais pour être gérant et domicilier l’entreprise chez lui. C’est bien ficelé. »

Des milliers d’euros de dettes

En face, Azzedine Jamal le baratine. « Il m’a dit que lorsqu’on monte une entreprise, on s’endette. C’est normal. » En réalité, Gilles Wullus et Azzedine Jamal croulent sous les courriers de contentieux. L’Urssaf, Orange, Cofidis, BNP Paribas, Bouygues Telecom ou Nespresso… Tous demandent au couple des milliers d’euros. Imran finit par fuir le couple à l’été 2019, lorsqu’Azzedine Jamal établit le cabinet J&N à Marseille. Avant de les recontacter pour se faire rembourser les milliers d’euros de dettes qu’ils auraient contracté en son nom. « Gilles m’a dit que je devais faire un dossier de surendettement pour qu’ils aient le temps de me régler. Je croyais que c’était enfin fini », pose l’auto-entrepreneur. Mais ce serait une nouvelle combine :

« Ça signifie que je reconnais avoir fait ces crédits aux yeux des créanciers et de la Banque de France. Je m’accuse pour leurs conneries. »

Face à ces accusations, Gilles Wullus et Azzedine Jamal nient. « Les bras m’en tombent. J’ai passé des heures à l’aider. On avait eu une procédure de surendettement, je savais ce que c’était. Je lui ai dit que là ça allait le protéger », explique le journaliste. Ce dernier explique n’avoir pas su les griefs d’Imran envers son conjoint car le couple battait de l’aile à l’époque : « On ne se parlait presque pas ». De son côté, Imran chiffre le total des arnaques qu’il aurait subies à 50.000 euros (10). Le vingtenaire a porté plainte pour escroquerie en août 2020. Interdit bancaire jusqu’en 2023, il a un jugement de contentieux avec ING Direct en septembre : « C’est dur de faire sa vie en découvrant chaque jour des nouveaux problèmes. »

Le couple croule sous les courriers de contentieux. / Crédits : StreetPress

Comme Imran, de nombreuses victimes espèrent un remboursement des sommes encaissées par Azzedine Jamal. Ce dernier explique qu’il compte « finir la démarche » vis-à-vis des clients et qu’il ne signe plus de nouveaux contrats depuis décembre. Ce qui est faux, selon nos informations. Il cherche d’ailleurs toujours des relais. Le petit frère d’un des amis de Thomas se serait vu proposer un nouveau deal : « 5.000 euros le titre de séjour et 1.000 pour l’apporteur d’affaires » :

« Il m’a demandé si je le connaissais. Je lui ai dit de bien fuir. »

Certaines victimes rongent leurs freins. « Je me retiens d’aller le tabasser », confie l’une d’elle. Un autre homme à Marseille nous a expliqué pendant quinze minutes comment il comptait « arracher ses deux oreilles » à Azzedine Jamal. Mais les personnes escroquées par Azzedine Jamal attendent surtout une réponse de la justice, maintenant qu’une plainte a été déposée par les quatre apporteurs d’affaires.

(1) Le prénom a été changé.

(2) Les plaignants sont les quatre apporteurs d’affaires : Yanis, Thomas, Mehdi et Marouane.

(3) « Politis ne souhaite faire aucun commentaire sur une affaire concernant la vie privée d’un de ses salariés et dont il ignore tout. »

(4) Les clients ne sont pas tous en situation irrégulière. Certains sont des personnes vivant à l’étranger qui ont sollicité le cabinet pour des demandes de visas de travail.

(5) Malgré son taux de régularisation pratiquement nul, Azzedine Jamal soutient qu’il y a « un vrai travail » et est offusqué qu’on le qualifie d’escroc. Pour le prouver, il a transféré à StreetPress 21 accusés de réception envoyés à diverses préfectures. Cependant, cela ne prouve pas que les dossiers étaient complets. Pour Gilles Wullus et Azzedine Jamal ces faibles chiffres sont dus à l’arrivée du Covid d’abord en mars 2020 et ses crises à répétition fin 2020. Les deux événements ont eu pour effet d’allonger les délais pour les clients et « d’enrayer » la situation. « Il est devenu très malade à partir de décembre et incapable de travailler correctement. Il l’est encore gravement », indique Gilles Wullus.

(6) Azzedine Jamal a contacté le procureur de la République de Seine-Saint-Denis pour porter plainte pour abus de confiance le 4 juillet contre Yanis, Thomas, Marouane et Mehdi. Il a également saisi le bâtonnier du Val-de-Marne contre Me Laouini qu’il accuse de démarchage envers ses clients.

(7) Azzedine Jamal explique avoir quitté Marseille car c’est « une ville assez violente ». « Quand le dossier avait une semaine de retard, des gens se présentaient chez moi avec des Kalashnikov », raconte-t-il. Il estime également avoir remboursé tous ses clients phocéens. Pourtant, de nombreux témoignages infirment cette version.

(8) Azzedine Jamal et Gilles Wullus ont fourni à StreetPress un contrat qui atteste de cette relation professionnelle. Mais il continue de se présenter comme son agent sur ses réseaux sociaux. L’entourage de Mia Frye a indiqué qu’ils allaient lui envoyer une mise en demeure pour retirer ces informations.
Edit le 21/07/21 : L’avocat de Mia Frye, maître Pierre Lautier, a fait parvenir à StreetPress la lettre de mise en demeure envoyée à Azzedine Jamal le 20 juillet. L’artiste demande à Azzedine Jamal d’arrêter de se revendiquer comme son agent actuel sur les réseaux sociaux. S’il ne retire pas ces mentions sous sept jours, l’avocat a précisé que sa cliente porterait plainte.

(9) Interrogé sur le sujet, Azzedine Jamal affirme qu’il n’a jamais « contracté quoi que ce soit ». Son numéro de téléphone apparaît pourtant sur certains documents.

(10) Il s’agit de l’ensemble des dettes contractées suite aux prêts. Imran aurait également prêté 8.000 euros à Azzedine Jamal qu’il ne lui aurait jamais rendu. Face à ces accusations, le couple répond qu’Imran a été logé et nourri pendant un an et demi. Azzedine Jamal a également certifié qu’il pouvait « prouver par relevés bancaires » un total de virements à Imran de 9.000 euros entre novembre 2018 et novembre 2019, sans nous envoyer cette preuve. Quant aux 8.000 euros, Azzedine Jamal nous a expliqué qu’ils étaient sur une plateforme de trading controversée nommée eToro.

Nous publions le droit de réponse de Gilles Wullus :

Les faits dénoncés dans l’article rédigé sous la plume de M. Christophe-Cécil Garnier et publié sur le site de StreetPress le 19 juillet dernier sont intolérables. Il va sans dire que je les condamne sans réserve tant ils sont contraires à mes convictions. Je démens néanmoins fermement les accusations portées à mon encontre : je n’ai jamais participé, directement ou indirectement, à une quelconque infraction qui serait en lien avec l’activité de M. Azzedine Jamal. Nos liens ne me permettent pas de me placer en accusateur à propos d’agissements portés très récemment à ma connaissance et dont j’ignore, encore aujourd’hui, la teneur exacte. Ces mêmes liens ne peuvent pas non plus constituer une présomption de culpabilité à mon encontre. En ma qualité de curateur (et non de tuteur) de M. Azzedine Jamal dont l’état de santé est préoccupant, je ne dispose d’aucun pouvoir pour interférer dans ses activités. J’ai néanmoins alerté le juge des tutelles – seule autorité compétente – pour qu’il puisse prendre les mesures appropriées. Je précise par ailleurs que mon emploi de rédacteur en chef de Politis constitue mon unique source de revenus. Je n’ai jamais bénéficié des sommes évoquées dans l’article dont j’ignorais totalement l’ampleur. Elles sont sans commune mesure avec mon niveau de vie. Je tiens enfin à exprimer ma compassion envers toutes les victimes étrangères en situation de vulnérabilité. C’est avec un profond respect pour elles que je me tiens à la disposition de la justice pour contribuer, à mon niveau, à la manifestation de la vérité.