Alvaro Mena a commencé par tweeter des punchlines. Cinq ans plus tard, son compte Raplume est devenu l’un des plus influents du milieu et vend des post sponsos aux labels.
Il s’est tatoué un cœur sur les côtes, accompagné de la phrase « Devenir quelqu’un pour exister ». Une référence à PNL qu’Alvaro Mena affectionne particulièrement. « La famille et la réussite, c’est important pour moi », clarifie-t-il. Son visage poupon tranche avec sa maturité. À seulement 22 ans, le jeune homme est à la tête d’un des comptes Twitter rap les plus influents : Raplume, 520k de followers. Il y publie les actus du milieu. « Raplume a pris une énorme ampleur », commente Hamad, le boss de Booska-P qui a vu les pages du type se multiplier :
« De tous les comptes Twitter, Raplume est le plus chaud. Le plus crédible aussi. De loin. »
« Alvaro a su créer une communauté fidèle et authentique », ajoute Oumar Samaké, producteur de Dinos et Dosseh, entre autres. « C’est son côté prescripteur qui est le plus intéressant », juge Hype Hagrah, chargé de communication pour le label AWA. Selon ces professionnels, Raplume a contribué à l’émergence d’artistes comme Alpha Wann, Dinos ou Luv Resval. Une surprise pour l’autodidacte Alvaro, qui discute aujourd’hui business avec la plupart des labels de rap français :
« Je faisais ça par passion. À la base, je partageais simplement des punchlines de rap dans ma chambre… »
Premier
« Kultur, RapFrActu, Midi.Minuit… » Assis à la terrasse d’un café du quartier latin, Alvaro Mena énumère ses concurrents. La liste est longue. « Plus on est nombreux pour parler de notre culture, mieux c’est », sourit-il. Pourtant, tous ces comptes Twitter ont pris le même créneau : l’actualité rap. Sortie albums, nouvelle pochette, nouveau clip, annonce de collaborations, citations extraites d’interviews… la plus petite info peut faire l’objet d’un tweet. « C’est la course à qui va poster en premier », commente Hamad de Booska-P, qui a dû se mettre au diapason. « On avait le réflexe de faire l’article, mais on perdait en réactivité. On s’est adapté aux nouvelles consommations. » Page d’actu amateur ou média ? Difficile de qualifier ces comptes. Hype Hagrah commente :
« Ces comptes sont beaucoup moins rigoureux que les médias. Il relaie les infos que les gens ont envie de voir. »
Une vidéo d’ISK vient d’ailleurs de sortir. Alvaro tente de continuer la discussion tout en sortant l’info. Lui essaie de se renseigner auprès des labels ou des managers des artistes avant de publier. Pour être sûr, mais aussi pour ne froisser personne. « Je ne suis pas là pour faire du tort. Par exemple, si on n’aime pas, on préfère ne pas partager plutôt que de critiquer. » Le jeune homme est le fer de lance de cette nouvelle génération de passionnés. « Toutes ces pages sont créées par des mecs très jeunes », contextualise Rayan, qui a cofondé l’une d’entre elles, Midi.Minuit. Lui est dans la musique depuis déjà quelques années avec son label Bylka Prod, qui a notamment produit le Marseillais YL. Il a vu arriver tous ces comptes de rookies :
« Alvaro est un nouvel auditeur de rap. Et c’est bien ! Il découvre le rap avec des gens, comme lui, qui sont arrivés au rap récemment. »
Buté
Alvaro Ména cite encore PNL. Il sourit, gêné, quand on lui fait remarquer. « Dans mes sons les plus écoutés, il n’y a que ça. Je les saigne. » Il raconte être un garçon casanier, à l’aise à écouter de la musique chez lui. « J’aime bien la muscu, mais le rap est ma seule passion. » Il y est arrivé en 2016 via un prof’ de français de son lycée. « Je retrouvais mes cours, les figures de style, tout ça. J’étais matrixé par Nekfeu. » Il aime les « lyricistes. » D’où Raplume. Et commence par partager des punchlines et des phrases inspirantes, tendance mélancoliques, sur le compte Twitter. Sans le dire à personne. « Je ne me suis pas dit que je créais quelque chose. J’avais peur que les gens trouvent ça pété… »
Autour de lui, son frère écoute plutôt de la techno, sa mère du rock. Il grandit à Montpellier dans une famille d’immigrés espagnols. Tous l’ont soutenu quand ils l’ont vu se lancer à plein temps dans son projet après son bachelor en commerce :
« Ils sont à fond derrière Raplume. Mes parents ne sont pas diplômés, ils sont fiers de voir que ça marche. »
Petit à petit, la jauge d’abonnés a augmenté. Alvaro a élargi sa ligne éditoriale à d’autres scènes rap, au fur et à mesure qu’il les découvrait. Le passionné s’est aussi entouré d’une équipe – un noyau dur de six personnes et des pigistes. Il a lancé un site et un Instagram éponymes. Il commente :
« Je ne suis pas du tout une Bible du rap, j’aime apprendre cette culture chaque jour. Mais je me suis entouré de mini-Mehdi Maïzi pour construire Raplume. »
En 2020, son équipe et lui sortent même une compilation, Le chant des Oiseaux, qui réunit Jok’air, Usky, Le Club ou Leith. Un empreinte mélancolique et une direction artistique imaginées par Alvaro, après le décès de son grand-père. « Raplume a réussi assez tôt à produire un projet de musique, contrairement à OKLM qui n’a jamais rien sortie. In fine, il a mis certains gros médias en face de leur échec », commente Hype Hagrah.
À seulement 23 ans, Alvaro Mena est à la tête d’un des comptes Twitter rap les plus influents : Raplume. / Crédits : @/Kidhao_
Business
« Toutes ces petites pages font du bien au rap. À défaut des médias généralistes qui ne nous donnent pas l’heure. » Oumar Samaké est le premier à prendre au sérieux Alvaro en lui donnant une interview de Dosseh, un de ses artistes, lors d’un concert à Montpellier en 2019. Il explique avoir vu du potentiel chez Alvaro, qu’il décrit comme déterminé et passionné. Et l’histoire lui a donné raison : Raplume peut aujourd’hui jouer un rôle dans le succès d’un artiste. « Dinos, Freeze, Alpha Wann, ont été propulsés par ces fans qui tiennent ces pages », juge Oumar Samaké. Hype Hagrah abonde :
« Un mec inconnu au bataillon comme Tedax Max, avec quelques milliers d’abonnés sur Instagram, vient de faire un Colors [une des chaînes de musique internationales les plus regardées de YouTube]. Je mets ma main à couper que Raplume y est pour quelque chose. »
Alors pour développer sa structure, Alvaro fait payer le service aux labels. Il propose des pack communications, avec des partages sur ces différents réseaux – 521k d’abonnés sur Twitter, 125k sur Instagram, 91k Tiktok. Un modèle économique pratiqué par la plupart des pages et médias rap. Hype Hagrah sait que le deal peut être bénéfique pour ses artistes du label AWA – chez Sony Music – comme Luv Resval, qui a beaucoup plu à la communauté Raplume. « La cible ce n’est pas trop le rap de rue. Ou il faut qu’il y ait un petit emballage hype. »
À LIRE AUSSI : Streaming, disque d’or et contrats : enquête sur l’argent du rap
Personnalité
Difficile de savoir combien dégage la petite entreprise Raplume. « Je peux rémunérer les gens avec qui je travaille à la mission. Pour le moment, je ne me paie pas, je réinvestis tout », commente simplement Alvaro. Son gros projet du moment est sa chaîne YouTube, où il développe différents formats et tente de construire une nouvelle communauté. Il a également cofondé une boîte de marketing digital, UNDRSCOR, spécialisée dans le ciblage des consommateurs. Il a déjà travaillé sur les pré-ventes des projets Stamina de Dinos et JVLIVS II de SCH. « Il a une maturité et une intelligence folle pour son âge. Il est déterminé à réussir et à se créer son économie, tout en étant super positif. Il pousse les petits médias, il ne cherche ni le conflit ni le clash », insiste Rayan de Midi.Minuit.
Pourtant, sa fougue lui a parfois joué des tours sur Twitter. Comme le jour où Raplume a tweeté l’info d’un feat improbable entre Naps et Freeze Corleone. Un poisson d’avril que ce dernier n’a pas apprécié. « Fuck Raplume tous les jours », a notamment répondu Freeze Corleone. Et Twitter de se saisir du bad buzz. « Il n’était pas bien ! », commente Oumar Samaké, devenu un ami, qui lui conseille de laisser passer : « Quand t’as des critiques, c’est que le succès arrive ».
« Je m’emballe parfois », rigole Alvaro en reprenant une gorgée de jus de pomme :
« C’est vrai que tu ne verras jamais un Hamad de Booska-P partager 20 tweets d’affilés sur Naps. Mais j’ai adoré son projet… »
Le boss du média rap numéro un abonde : « Il est devenu Alvaro de Raplume et il va devoir gérer son image. Il est en train de passer du statut de twittos à boss de média ». Dans sa bio Twitter, Alvaro a justement stipulé « Je ne suis pas journaliste » :
« C’est vrai ! Je crois que je suis “auto-entrepreneur”, mais je trouve ça nul comme terme. Ça ne sonne que business. Il n’y a pas le côté passion. »
Crédits photos : @/Kidhao
A lire aussi