Robots et logiciels hors de prix, groupes privés et ultra select sur Discord, tout est bon pour avoir les bonnes infos et trouver en premier des baskets bankables. Mais est-ce rentable ?
Sur le bureau Ikea de Samuel, difficile de s’y retrouver entre les câbles dépareillés et les devoirs de Terminale à moitié finis. L’adolescent passe une main dans ses cheveux noirs ébouriffés et, d’un geste de tête, il désigne les quatre boîtes en carton rouge à sa gauche. « Ça, ce sont des Jordan 1 Mid. » Les paires de Nike montantes pour femmes sont extrêmement prisées. Difficile de les trouver chez les équipementiers classiques. « Elles sont à 80 euros et je les revends 110 sur Vinted. » Le jeune homme de 18 ans est un reseller. Il chasse les baskets rares et les revend sur Vinted ou sur les marketplaces intégrés aux plateformes Discord :
« Chaque paire là, c’est environ 30 euros de plus-value. Ça me fait 100 euros de bénéfice en tout. »
Encouragé par ses amis, Samuel a commencé son petit business il y a un mois. Il a déjà gagné 200 euros. Avec les bons outils et les bonnes infos, ce chiffre peut monter jusqu’à 5.000 euros par mois pour des revendeurs confirmés. « Certains de mes membres se font un salaire de cadre sup’ », assure Andrew, un lycéen de 18 ans à la tête d’une communauté de revendeurs sur Discord. « Sur notre groupe, le partage d’infos est très bien organisé, et on se connaît presque tous. » Un petit milieu au business juteux, qui tente de plus en plus de jeunes resellers.
Samuel, 18 ans, est un reseller. Il chasse les baskets rares et les revend sur Vinted ou sur les marketplaces intégrés aux plateformes Discord. / Crédits : Emilie Rappeneau
Concilier passion et argent
Samuel gagne habituellement son argent de poche en gardant les chats de ses voisins pendant les vacances pour, au maximum, 150 euros par mois en été. Avec, il s’offre ses planches de skate. Cette année, un de ses meilleurs amis est devenu reseller. Le lycéen, tenté, a décidé de mettre sa première carte bancaire au profit du sneaker game pour financer sa nouvelle passion pour la muscu.
Ces jeunes revendeurs entrent dans le business par appât du gain, mais aussi « par passion », assurent Andrew, GK et Nathan. Tous ont entre 18 et 20 ans et sont fascinés par la démocratisation de la sneaker aux Etats-Unis. Ils racontent leur intérêt pour les paires rares, comme les Nike Travis Scott au motif tartan et denim. Ils ont commencé à revendre pour financer leur propre paire. Sur Discord, ils ont même lancé « Supply », un des cook groupes (leur petit nom) français les plus en vogue avec « Notify ». Les membres reçoivent des informations exclusives sur les nouvelles sorties. Et comme tout travail mérite salaire, l’entrée coûte 10 euros par mois. « Les anciens du milieu sneakers pensent qu’on veut juste se faire de l’argent. Mais je n’ai jamais vu quelqu’un qui achetait sans porter », justifie GK, qui possède une trentaine de paires.
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De la spéculation à faible risque
« Les cook group sont essentiels pour cop », explique Samuel. Cop ? Comprendre : chopper. « Mais il faut avoir de la chance pour y rentrer », poursuit-il. Le lycéen a adhéré à LBF Cook et paye son forfait mensuel. Mais ça n’a pas été une mince affaire ! Les cook groupes sont connus pour leur nombre de places limitées. Tout le milieu repose sur la rareté et l’exclusivité. Andrew s’y conforme, en ne dépassant pas la barre des 300 membres sur Supply. « J’essaie de garder un aspect communautaire et familial », justifie-t-il. Pour s’assurer d’attirer les membres les plus motivés parmi les 2.200 sur sa liste d’attente, Andrew organise des « restocks originaux », où il faut répondre à des énigmes pour profiter du précieux sésame. Fin 2020, il partage par exemple des indices d’une chasse au trésor dans la story Instagram du compte de Supply :
« On a caché des QR codes dans Paris, qu’il fallait scanner pour avoir accès au Discord. »
L’engouement est tel qu’un ami de Samuel a payé 300 euros pour une clé d’accès à Supply, vendue aux enchères par un gagnant du dernier restock. Une dépense qu’il ne regretterait pas au vu des gains potentiels. « C’est de la spéculation, mais sans risque de perte d’argent », assure Samuel. Selon lui, il est toujours possible de se faire cinq ou dix euros. Ou, au pire, de revendre la paire au prix d’origine.
Les baskets fuchsia, c'est un style et ça se vend bien. / Crédits : Instagram
Une guerre d’infos et de technologie
« La spéculation de sneakers, c’est une guerre d’infos. Ceux qui en ont le plus gagnent le plus d’argent », commentent Nathan et GK, les bras droits d’Andrew. Leur cook group Supply s’est notamment détaché du lot par ses analyses de marché astucieuses. Par exemple, les trois sneakerheads ont remarqué que la Jordan Mid Chicago, 115 euros à l’achat, anciennement considérée comme « une paire de clown », commençaient à être portées par des influenceuses. Andrew, en fin spéculateur, a conseillé à ses membres d’investir. Banco ! Leurs paires se sont vendues à « 300 euros, facile ».
Facile. / Crédits : Instagram
Pour être premier sur les achats, les revendeurs vont plus loin en investissant dans des robots appelés monitors, qui surveillent les shock drops ou drops surprises. Lorsque des baskets prisées ou en éditions limitées sortent sur les sites de sneakers Européens, ils sont immédiatement avertis par leurs monitors. Ces logiciels peuvent coûter quelques centaines d’euros par mois, mais des tutoriels en ligne permettent de les coder. Néanmoins, sur certains sites comme Footlocker, « il est impossible de cop manuellement », c’est-à-dire grâce aux logiciels, regrette Samuel. D’autres bots, encore plus performants, peuvent pallier au problème. Mais ils se vendent en édition limitée et peuvent coûter jusqu’à plusieurs milliers d’euros.
Prêts à tout pour les sneakers
Avec les confinements, l’achat en magasin a laissé place au shopping en ligne et a permis l’explosion des cook groups. Mais il reste le moyen le plus simple et archaïque pour se procurer la dernière paire en vogue : se pointer en premier devant les magasins de sneakers. Samuel a tenté l’expérience. Et là encore, il a été informé des sorties via son cook group. « Avec le couvre-feu, des gens campaient dans leurs voitures dès minuit devant les magasins de sneakers de la rue Rivoli. À 4h du matin, on était déjà 50 », se souvient-il :
« Et puis il y a des mecs qui payent des têtes (des gars musclés), qui, pour 50 euros chacun, campent à leur place…. »
De quoi décourager même les plus motivés. Samuel, lui, est rentré les mains vides….
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