Il y a un an, Samir était victime de coups et d’insultes racistes par des policiers après un vol. L’affaire et les propos avaient provoqué un tollé. Après avoir purgé sa peine, Samir a été placé dans un centre de rétention et risque d’être expulsé.
C’était il y a pratiquement un an. Dans la nuit du 25 au 26 avril 2020, un homme se jette dans la Seine du côté de L’Île-Saint-Denis (93). Cet Égyptien de 29 ans est poursuivi par la police. Une fois repêché, les agents lui lancent plusieurs insultes racistes :
« – Un bicot comme ça, ça nage pas ! »
« – Haha ça coule ! T’aurais dû lui accrocher un boulet au pied ! »
Il est ensuite amené dans un fourgon de police où des bruits sourds – similaires à des coups – se font entendre. La scène est filmée par un témoin. La vidéo est postée par les journalistes Taha Bouhafs et Nadir Dendoune sur Twitter et Facebook. Elle provoque un tollé, les deux policiers qui sont entendus dans la séquence sont suspendus sur demande du préfet. Une enquête est ouverte par le parquet de Nanterre et est confiée à l’IGPN. Sauf que près d’un an plus tard, c’est la victime – Samir – qui se retrouve devant la justice.
GLAÇANT
— Taha Bouhafs (@T_Bouhafs) April 26, 2020
À L’ile-Saint-Denis très tôt ce matin(1h43), lors d’une interpellation des policiers repêchent un homme qui s’est jeté dans la Seine pour leur fuir, je vous laisse découvrir la suite : pic.twitter.com/vcqepo7NNZ
Un placement en rétention juste après la détention
Il fait frais dans la petite salle d’audience aux murs jaunes. Samir est le premier des six retenus à passer. Ils viennent tous du centre de rétention administrative (Cra) du Mesnil-Amelot (77), qui borde l’annexe judiciaire et l’aéroport de Roissy, où une émeute a éclaté en janvier suite aux conditions de rétention indignes. Samir est dans le Cra depuis le 6 avril dernier.
streetpress</a> est au Mesnil Amelot pour une audience un peu particulière<br><br> Le JLD doit décider ou non de l'expulsion de Samir, qui avait failli se noyer il y a presque un an à l'Ile Saint Denis. Les policiers avaient déclaré : «Un bicot comme ça, ça sait pas nager» <a href="https://t.co/8x2sOpNMyV">pic.twitter.com/8x2sOpNMyV</a></p>— Christophe-C Garnier (
ChrisCGarnier) April 9, 2021
Auparavant, il était en maison d’arrêt depuis quatre mois. Il a été condamné par le tribunal correctionnel de Nanterre pour vol et vol aggravé suite à son arrestation. L’Égyptien de 29 ans a été relaxé du deuxième fait par la Cour d’appel de Paris, faisant passer sa peine de 14 à six mois. « Il allait sortir de la maison d’arrêt avec son aménagement de peine et le préfet des Hauts-de-Seine a été directement prévenu », explique son avocate, maître Rachel Klaric. Le haut fonctionnaire du 92 a demandé son placement dans le Cra. Le séjour de Samir dans le centre du Mesnil-Amelot peut être prolongé à 28 jours si le préfet le demande pour organiser son expulsion. Ça n’a pas manqué. « Il peut demander 90 jours au total », souligne maître Rachel Klaric. Samir est menacé d’expulsion en raison d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) que lui a délivrée la préfecture à la fin de sa garde à vue de l’année dernière. Celui qui est en France depuis 2011 est sans titre de séjour même si une procédure de régularisation « est en cours », souligne son avocate.
« On est donc là pour contester son placement en rétention de base et juger de la prolongation de sa rétention. C’est une audience deux en un », précise Rachel Klaric, collaboratrice de l’avocat Arié Alimi.
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Des violences policières
Samir est amené devant le juge des libertés et de la détention par trois agents de la police aux frontières. Une traductrice est à ses côtés et lui chuchote les phrases du magistrat.
Son avocate rembobine les faits. « Je pense que tout le monde a entendu parler de son interpellation », commence-t-elle. La baveuse rappelle les propos « assez problématiques » que le vingtenaire a subis. « Il a été victime de violences volontaires et a été roué de coups lorsqu’il a été sorti de l’eau par les policiers, puis à nouveau quand il était devant leur véhicule et à l’intérieur », explique-t-elle dans la salle d’audience. Derrière elle, le député Eric Coquerel et son collaborateur David Guiraud écoutent patiemment. L’élu explique sa présence car l’affaire « s’est déroulée dans ma circonscription ». « J’en ai été choqué, comme beaucoup », souffle-t-il avant de s’interroger :
« J’ai du mal à comprendre pourquoi une personne victime de racisme et de coups se retrouve dans un Cra avec le danger d’être expulsée ? »
Suite à l’affaire, les deux policiers entendus dans la vidéo ont été suspendus pendant huit mois, une mesure conservatoire qui ne correspond pas à une sanction, avant d’être réintégrés à leur commissariat en décembre 2020. Fin décembre, un des deux policiers – Pierre C. – a été expulsé trois jours par l’administration. La faible sanction a été critiquée par des avocats comme Arié Alimi ou Yassine Bouzrou. « La situation est paradoxale. On devrait plus être au procès de ces policiers qu’ici », lâche le député Éric Coquerel.
Celui de l’agent Pierre C. sera le 1er juillet 2021. Alors que Samir avait porté plainte pour les violences des fonctionnaires, seule l’insulte raciste a été retenue, comme l’a révélé Libération début mars.
La décision
Retour à l’audience. Maître Klaric continue sa plaidoirie. Elle rappelle que l’OQTF de Samir a fait l’objet d’un recours devant le tribunal administratif. Si elle n’a pas été abrogée, la justice a annulé son interdiction de revenir sur le territoire français. Les avocats de Samir ont également saisi la Cour administrative d’appel de Paris début décembre pour annuler l’OQTF. L’instruction, qui doit déterminer si l’OQTF est légale et valable, a été clôturée le 5 mars 2021. « Depuis, on attend », déplore maître Rachel Klaric.
La baveuse estime également que la requête du placement en rétention de son client est « peu motivée ». « Normalement, retenir quelqu’un dans un Cra est l’exception. On fait ça s’il n’y a vraiment aucune autre possibilité », rappelle-t-elle à StreetPress. Il y a d’autres solutions comme « le laisser en liberté avec son OQTF » ou alors « l’assigner à résidence avec un pointage quotidien ». Devant le juge des libertés et de la détention, elle demande pourquoi cette dernière solution n’a pas été choisie. Alors que la préfecture estime que l’absence de documents d’identité de Samir est un danger et nécessite une prolongation de sa rétention, maître Klaric répond que le vingtenaire a une attestation d’identité. L’Égyptien loge en plus chez des membres de sa famille, dans le 93. L’avocate cite sa procédure de régularisation et ses désormais dix années en France : « Ce sont des garanties suffisantes ». La dureté de cette procédure et le procès prochain du policier qui a insulté Samir est « une coïncidence » qui « pose question ».
Après un peu plus d’une dizaine de minutes d’audience – « c’est toujours très rapide », note Rachel Klaric –, le juge annonce qu’une décision sera prise lors de la prochaine suspension d’audience. En attendant, les autres dossiers sont examinés. Près de cinq heures plus tard, le couperet tombe : le juge a prolongé la rétention administrative de Samir pour 28 jours.
Désormais, soit l’État obtient un laissez-passer de l’Egypte et Samir est expulsé par vol commercial, soit il n’en obtient pas et le préfet devra demander une prolongation de sa rétention avant le 6 mai prochain.
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Photo d’illustration du Cra du Mesnil-Amelot datant de 2017, par Yann Castanier.