18/03/2021

« Quand on tue un homme, il n’y a plus de retour en arrière possible »

À Garges, le rappeur Sansan tourne un clip contre les rixes

Par Fanta Kébé ,
Par Maria Aït Ouariane

Adama Camara a perdu son frère dans une rixe. Il a aussi tenté de se venger. Entouré d’acteurs de terrain investis dans la lutte contre ces violences, il tourne un clip pour sensibiliser les jeunes.

Garges-Sarcelles (95) – Lumière tamisée et projecteurs allumés, le réalisateur au casque sur les oreilles crie: « Ça tourne à l’image ! » Ce dimanche 14 mars, dans la salle Lino Ventura, le public calé dans des fauteuils rouges assiste silencieusement au tournage du clip « Rixe » d’Adama Camara, aka Sansan. Un son qui parle des conséquences des affrontements entre bandes :

« Un homme qu’on tue, c’est toute une famille qu’on tue et détruit ».

En 2011, Adama Camara perd son petit frère Sada lors d’une rixe à la gare de Garges-Sarcelles. Il tente de se venger et tire sur plusieurs hommes qu’il blesse sans les tuer. Adama est condamné à huit ans de placard. À sa sortie de prison, l’artiste fait de sa douleur le combat de sa vie. Aux côtés d’associations, de collectifs de mamans de quartiers, d’acteurs et militants, le père de famille de 32 ans poursuit sa lutte contre cette spirale de violence qui gangrène de nombreux quartiers populaires.

Un rappeur engagé

Chaque mercredi, à la Maison des arts de Garges, c’est séance d’écriture. Les jeunes de la ville viennent écrire leur texte de rap avant de l’enregistrer en studio. Adama et son ami Coco, patron du label Z4corp, animent ces ateliers pédagogiques. « L’accompagnement des jeunes et des familles est le seul moyen de faire cesser les affrontements de rue », soutient Coco. « Il y a deux façons de les appâter : soit avec le sport, soit par la musique. On a choisi le son pour qu’ils puissent mettre des mots sur ce qu’ils ressentent », complète Adama :

« Je leur parle de mon histoire, de mon vécu et de la disparition de mon petit frère il y a dix ans maintenant. Je leur fais comprendre que quand on tue un homme, il n’y a plus de retour en arrière possible. »

La solution vient des quartiers

Retour au clip. Laquica, au piano, fait aussi les chœurs. D’une voix douce, il chante : « Le quartier pleure, trop de mère en pleurs, on voudrait arrêter le temps… » Face à la scène, une trentaine de personnes assistent au tournage. Le texte du morceau raconte la descente aux enfers du rappeur et son désir de vengeance : « Une mère effondrée, un père impuissant qui rapatrie le corps au pays. Tu pleures ton frère à qui on a ôté la vie, même si tu le venges, ça ne le fera pas revenir… »

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Une femme, debout à droite de l’estrade, visiblement émue par les paroles de l’artiste, laisse couler des larmes sur son visage avant de les essuyer discrètement avec un mouchoir. Elle fait partie d’Action réelle, un collectif créé il y a quatre ans, après la mort d’un jeune dans le 19ème arrondissement. Elle s’appelle Isabelle et explique :

« Nous travaillons avec Adama sur le sujet des rixes et nous nous soutenons. Nous sommes présentes aujourd’hui pour nous donner mutuellement de la force. »

Le groupe composé de six femmes intervient dans les collèges pour sensibiliser les élèves sur les guerres inter-quartiers. Il intervient aussi auprès des magistrats chargés de juger ces jeunes pour les aider à appréhender le sujet. L’association est aussi en contact avec des acteurs de la justice pour mineurs tels que les tribunaux pour enfants.

Action Réelle n’est pas la seule structure avec qui travaille avec Adama. Aude – 29 ans –, éducatrice et co-fondatrice de l’association Lèves toi et marches à Garges, s’occupe exclusivement du volet pré-ado et adolescent. Avec l’aide des parents, elle encadre des enfants de 12 à 15 ans en organisant des événements sportifs et culturels. Sa structure est donc souvent confrontée à la question des rixes.

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Face à la multiplication des affrontements entre bandes rivales, l’acteur et ancien éducateur spécialisé Almamy Kanouté s’est aussi investi sur le sujet. « Il faut prioriser la cohésion sociale, les gens doivent se rencontrer physiquement et pas uniquement être connectés via les réseaux sociaux. » Puis il conclut:

« Tant que nous aurons affaire à des hommes et des femmes politiques totalement éloignés des réalités sociales de la vie en cité, le seul moyen sera de nous auto-organiser pour occuper les territoires laissés pour compte. »