Mi-février, la préfecture de Mayotte a rasé des habitations informelles. Un élu a profité de l’occasion pour détruire illégalement des dizaines d’autres cases. Près de 200 personnes sont à la rue alors que l’île est confinée.
Elle a le sourire de ceux qui cachent leur peine derrière un croissant de lune. Lina (1) vient tout juste de fêter ses 19 ans. La jeune française tremble encore à l’évocation des tractopelles qui, le 16 février dernier en pleine saison des pluies, ont rasé sa maison. Sur le terrain dont elle est propriétaire ne reste que quelques débris et beaucoup de boue.
Ce jour-là, nous sommes au lendemain d’une opération de destruction d’habitats informels opérée par la préfecture de Mayotte. La loi Elan, votée en 2018, permet aux préfets de Guyane et de Mayotte de raser les logements insalubres, même durant la trêve cyclonique, le pendant tropical de la trêve hivernale. Et même durant le confinement de la population, décrété le 5 février pour faire face à une deuxième vague de Covid-19. La pandémie a frappé le territoire avec une force sans pareil dans les autres départements : à cette date 10 pourcents de la population était contaminée simultanément !
Le 16 février, les bangas – des cases en tôle – de 33 familles ont été rasés dans l'illégalité. / Crédits : Grégoire Mérot
Tout un quartier de Dzoumogné, dans la commune de Bandraboua au nord de Mayotte, a été détruite. À ces destructions prévues se sont ajoutées d'autres illégales. / Crédits : Grégoire Mérot
Le lundi 15 février, tout un quartier de Dzoumogné, dans la commune de Bandraboua située au nord de Mayotte, est annihilé par les bulldozers. Les familles avaient été prévenues et certaines d’entre elles – pas toutes – ont pu bénéficier d’une solution de relogement. Sur le terrain, les bangas (des cases en tôle) avaient été marquées à la bombe pour guider les machines de la société Colas chargée par la préfecture de broyer les habitations. Une journée suffit à tout raser. Les deux jours suivants doivent permettre de nettoyer le terrain.
33 bangas détruits en dehors du périmètre
Seulement voilà. Le lendemain matin, « deux policiers municipaux sont venus nous dire de partir, qu’ils allaient détruire notre maison », se souvient Lina. Le grand banga construit par son père et habité par six personnes n’est pourtant pas marqué. Et pour cause, il ne figure pas dans le périmètre de destruction prévu. « On leur a expliqué qu’on avait tous nos papiers, qu’on était propriétaires, qu’ils ne pouvaient pas faire ça… Mais ils n’ont rien voulu savoir. Ils nous ont dit : “Le préfet a dit que vous deviez partir” », raconte la jeune femme. Rien n’y fait. Quelques heures plus tard, les bulldozers défoncent la clôture en tôle, puis la maison faite du même matériau. « Les policiers nous ont fait reculer, on ne pouvait rien faire. Ça m’a fait tellement mal, j’avais peur, j’étais en colère », lâche faiblement Lina, recroquevillée sur un morceau de bois. Une colère partagée par de nombreux voisins. Car c’est tout un quartier qui est rasé ce jour-là. Alors que la saison des pluies bat son plein, c’est 33 familles et une cinquantaine d’enfants qui se retrouvent sans toit. Une vidéo, prise ce matin-là, les montre, spectateurs forcés de la scène de fracas.
Les images témoignent aussi d’une opération totalement désorganisée. Aucun périmètre de sécurité n’est établi. Policiers municipaux, habitants et tractopelles circulent sous le regard des employés de Colas mais aussi de gendarmes. Sans que ceux-ci n’interviennent pour mettre un terme à cette opération évidemment illégale. « Notre mission n’est pas de guider les machines pour leur indiquer quelle case elles doivent détruire ou non mais de sécuriser le lieu. Nos hommes sont à l’écart, pour former un périmètre de sécurité et éviter que des personnes n’y pénètrent », assure un officier, dans une version bien éloignée de ce que montre la vidéo.
« Aucune destruction n’a été faite sans l’accord de la préfecture. Le sous-préfet est même venu sur place le troisième jour », assure de son côté Soudjaye Daoud, l’adjoint au maire en charge de la sécurité. Alors que, selon Lina et l’ensemble des habitants interrogés, ce serait bien l’élu qui se jour là se présente comme le chef de la police municipale, qui serait à l’initiative de l’opération. Dans une défense risible, l’adjoint au maire rétorque que « s’il y a eu d’autres destructions, ce sont les habitants eux-mêmes qui les ont faîtes ». Du côté de la préfecture, on ne s’autorise que quelques commentaires par texto. « Sur la base des témoignages des plaignants, vous allez vite comprendre », écrit le sous-préfet Jérôme Millet, pointant de fait la responsabilité de la mairie, ou tout du moins de l’adjoint. Mais ce dernier persiste et signe.
« Tellement de gens ont dormi dehors... C’est triste, on n’en pouvait plus de se coucher par terre. » / Crédits : Grégoire Mérot
« On n’en pouvait plus de dormir par terre »
À l’entendre, ce sont donc les habitants eux-mêmes qui auraient procédé à la démolition, se plaçant ainsi volontairement à la merci de la pluie et de la boue collante qu’elle laisse partout. « Tellement de gens ont dormi dehors… C’est triste, on n’en pouvait plus de se coucher par terre », se rappelle Lina. 13 jours à dormir dehors sous la pluie. « Personne n’est venu nous voir pour nous aider », poursuit-elle, amer. Une association disposant de quelques places d’hébergement d’urgence a tout de même, une semaine plus tard, dépêché une équipe pour loger une trentaine d’enfants en lien avec l’Aide sociale à l’enfance.
Finalement son père s’est endetté de plus de 2.000 euros afin de remettre un toit au-dessus de la tête de la famille. Une somme colossale pour ce foyer aux revenus très modestes. Toute la famille vit en temps normal des petits boulots du patriarche. Mais depuis le confinement, l’homme est au chômage.
Le père de Lina s’est endetté de plus de 2.000 euros afin de remettre un toit au-dessus de la tête de la famille. Une somme colossale. / Crédits : Grégoire Mérot
Deux semaines après l’opération, ce quartier d’habitude animé par les rires et les cris des bambins est hagard. Beaucoup d’entre eux ne sont pas encore revenus. Seuls résonnent les bruits de marteau sur la tôle. Partout. Après le chaos, l’heure est à la reconstruction où seule une maison de parpaings a résisté aux mâchoires d’acier. On commence par les clôtures, puis les toits, avant d’enlever la boue et de fixer de frêles murs. Les plus pauvres récupèrent les bouts de ferraille éventrés pour tenter de reconstituer un toit, créant des patchworks de tôle froissée et sale.
Deux semaines après l’opération, l’heure est à la reconstruction. Les plus pauvres récupèrent des bouts de ferraille éventrés pour tenter de reconstituer un toit. / Crédits : Grégoire Mérot
La reconstruction et le combat
Accompagnée d’un ancien professeur, Lina a décidé de porter plainte. « Je suis en colère contre ces gens sans cœur. Nous dégager comme ça, c’est inhumain », rappelle-t-elle, tandis que son père s’affaire à remettre la case sur pied. « Je me force à trouver le courage de faire ça pour que l’on soit remboursé, que ça ne recommence plus mais, d’un autre côté, j’ai peur des représailles », poursuit-elle à voix basse.
Lina a décidé de porter plainte contre cette destruction illégale mais elle a peur des représailles. / Crédits : Grégoire Mérot
Car pour elle, comme pour nombre d’habitants, l’opération illustre un climat de haine contre les Comoriens de Mayotte. « Même si je suis Française, pour lui [l’adjoint à la sécurité] comme pour beaucoup de Mahorais, je suis d’abord une Anjouannaise [d’Anjouan, l’île comorienne la plus proche de Mayotte]. Ils nous détestent, ils veulent qu’on parte à tout prix », se désole Lina. « Tous les jours, on entend qu’il faut que l’on rentre chez nous, mais là c’est encore plus fort ». Entre deux coups de marteau, son père qui tend l’oreille, acquiesce. « Depuis que je suis ici [une vingtaine d’années], je n’ai jamais vu ça », assure-t-il avant de reprendre son œuvre.
« Tous les jours, on entend qu’il faut que l’on rentre chez nous, mais là c’est encore plus fort. » / Crédits : Grégoire Mérot
(1) Le prénom a été modifié
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