Au procès des attentats de 2015, les défaillances des services français émergent. Six mois avant le drame, pas moins de cinq services de sécurité savaient que Claude Hermant vendait des armes. Pourquoi ne l'ont-ils pas arrêté à temps ?
Tribunal de Paris – L’audience devait reprendre à 9h30, mais le trafiquant d’armes est coincé dans les bouchons, indique le président. 10h30, Claude Hermant débarque enfin. Il est accompagné de Christophe Dubroeucq, son ancien bras droit qui l’a balancé aux services de renseignements. Pas de rancune entre les deux hommes semble-t-il, puisque les Lillois ont fait du covoiturage. Ce jeudi 1er octobre, ils sont convoqués au procès des attentats de janvier 2015, en qualité de simples témoins. Ils ont pourtant importé en France les armes employées par Amedy Coulibaly pour perpétuer l’attentat de l’Hyper Cacher. Pour son deal d’armes – les huit de Coulibaly mais aussi des centaines d’autres – Claude Hermant a pris sept ans à Lille en 2017, puis huit en appel à Douai en 2019. Et quatre pour Christophe Dubroeucq. Mais plusieurs intermédiaires séparent les deux gros bras du terroriste, c’est pourquoi ils ne sont pas dans le box des accusés. La filière est complexe et, plus de cinq ans après le drame, les rôles des uns et des autres ne sont pas encore très clairs.
Une vente d’armes avec l’aval policier ?
Le témoignage de Claude Hermant va secouer la salle. « Il y avait possibilité d’arrêter ces attentats », lance le quinqua aux larges épaules. « Les services étaient dessus. Je ne comprends pas comment ces attentats ont pu arriver. »
Au fil des auditions, comme aux procès de Lille, Douai et désormais Paris, sa défense ne dévie pas : la vente d’armes relèverait d’une opération « un peu borderline » d’infiltration pour faire tomber la voyoucratie du nord. Et toujours avec l’aval des services, assure-t-il. Car Hermant est « une source humaine », comme il aime le dire. Un indic’, en clair. D’abord pour le renseignement douanier, puis pour la gendarmerie. Et un bon, car Hermant balance avec entrain. Un trafic d’armes par-ci, un gang de bikers par-là… Tout ça pour la bonne cause :
« Je suis patriote, j’aime la France. »
« Soit je suis très bon, soit ils sont très cons »
L’échange entre les deux hommes s’éternise. Le président du tribunal semble mettre un point d’honneur à démontrer la vénalité du trafiquant d’armes identitaire :
« Vous avez tout de même gagné de l’argent ? »
« Presque rien », répond Hermant drapé dans son honneur. Puis le débat glisse sur la remilitarisation des armes : qui du vendeur ou de l’acheteur s’en est chargé ? L’échange s’enlise et le magistrat ne semble porter que peu d’intérêt au rôle – pourtant central – des différents services de police dans cette affaire. Place aux avocats, qui vont tenter de rattraper le coup. Au fil des auditions vont apparaître au grand jour ce que StreetPress et Mediapart avaient largement documenté : à Lille, tout ce qui portait un uniforme, ou presque, semblait savoir qu’Hermant et sa bande refourguaient des armes de guerre par lot comme d’autres dealent des cartouches de clopes.
« Cinq services nous surveillaient. Soit je suis très bon, soit ils sont très cons », tacle Hermant. Tentons le décompte.
Hermant est un temps informateur pour le renseignement douanier (la DNRED). Des écoutes de 2014 démontrent notamment qu’il évoque les armes avec Sébastien L., son ancien agent traitant. Ce dernier était même sur le banc des accusés au procès lillois (1). Comme StreetPress le révélait en 2014, une autre branche de ce même service – la DOD de Rouen (un autre service du renseignement douanier) – avait de son côté obtenu un tuyau d’un « aviseur » (un indic) : Hermant recevrait des armes en provenance de Slovaquie qu’il remilitariserait lui-même.
Hermant ne tuyautait pas seulement la DNRED. « Seb’ » le douanier avait refilé l’indic’ aux gendarmes de la section de recherche. Ce jeudi, ces deux agents traitants sont invités à témoigner à sa suite. La cour évite soigneusement de les mettre en danger : ni le parquet, ni la présidence n’ont la moindre question à leur poser. Interrogés par les avocats, les deux fonctionnaires assermentés alternent petits mensonges et grands trous de mémoire, jurant qu’ils ne savaient rien de son trafic. Mais une photo d’arme jointe en pied d’un rapport semble démontrer que les gendarmes étaient informés du business d’armes d’Hermant.
Il y a aussi la police judiciaire (PJ) lilloise. Fin 2013, le génotype du trafiquant est retrouvé sur une arme saisie dans le cadre d’une affaire de stup’. La PJ ouvre une enquête qui prendra de l’épaisseur en mars 2014. Le commissaire Philippe Patisson, ex-directeur du renseignement lillois, passé à la direction centrale de la police aux frontières leur refile un tuyau : Dubroeucq, le bras droit d’Hermant, est près à tout balancer. Face à la cour, le grand flic au costume élégant et au vocabulaire châtié rembobine l’affaire : Christophe Dubroeucq, « factotum » d’Hermant, s’estime lésé. « Il juge ne pas toucher la part qui lui revient. » Il décide donc de le dénoncer pour prendre sa place. La PJ saute sur l’occasion et enregistre Christophe Dubroeucq comme indic’ en bonne et due forme. S’ajoute un procès-verbal en date du 26 mars 2014 que StreetPress a pu consulter, qui indique que des « des informations parvenues » aux services de renseignements territoriaux (la DZRI et le SDIG) « il y a plusieurs mois, font état de son [Claude Hermant] implication dans la revente d’armes à feu sur la région Nord Pas de Calais ». Le document précise même qu’il remilitariserait des armes à son atelier de Lomme. Patisson explique aussi alerter sa nouvelle hiérarchie : la direction centrale de la police aux frontières.
À l’été 2014, soit six mois avant les attentats, les renseignements douaniers, de la gendarmerie, territoriaux, la police judiciaire et la direction centrale de la police aux frontières – soit 5 services différents – savent que Claude Hermant importe, remilitarise et vend des armes de guerre. Au moins trois de ces services savent qu’il se fournit auprès de la société slovaque AFG.
Claude Hermant ne sera arrêté que le 20 janvier 2015, soit 11 jours après l’attentat de l’Hyper Cacher.
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