Des jeunes tentent de porter plainte pour violence policières, ils écopent d’une quarantaine d’amendes. D’autres sont verbalisés 5 ou 6 fois en 15 minutes. À Argenteuil, la police pratique le harcèlement administratif.
« Je connais des jeunes qui ont 10.000 ou 12.000 euros d’amendes. Et ils ont 22 ans. Commence une insertion professionnelle avec ça ». Devant son café qu’il a fini depuis longtemps, cet éducateur de quartier – qui préfère rester anonyme – évoque un sujet revenu à de nombreuses reprises lors de notre enquête sur la police d’Argenteuil. En plus de témoignages de brutalités policières, que StreetPress révèle ici, nous avons recueilli de nombreux témoignages et documents qui démontrent un harcèlement administratif : les policiers distribuent des amendes en série, souvent injustifiées.
Des amendes ciblées et abusives
Stanis défend depuis des années plus d’une dizaine d’habitants de la cité Champagne face aux nombreuses agressions qu’ils subissent de la part de policiers. Depuis 2013, il accumule les témoignages, les plaintes, les PV. Habillé d’un complet bleu, cet homme aux lunettes carrées – de la marque « Police », sacrée ironie – commence sa visite par le terrain de football en bas de la butte d’Argenteuil, au pied de la cité Champagne. L’histoire de Thibaut lui revient aussitôt. Ce dernier s’est pris une amende pour tapage nocturne, alors qu’il faisait un foot avec ses potes… à 16h. L’affaire a été signalée à l’IGPN (un document que StreetPress a pu consulter) qui n’a jamais donné suite.
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Tarek, un autre habitant que défend Stanis, a lui décroché son permis le 27 mars 2014. Il avait auparavant déjà subi des contrôles par les policiers, à pied ou en scooter. Dès le 28 mars, il prend des PV. « Les policiers lui ont dit qu’ils allaient lui enlever son permis », pose Stanis avant de présenter Tarek. Face à cette promesse de le verbaliser sans cesse, il dépose une main courante au commissariat d’Argenteuil quelques jours plus tard. Sans succès, il se prend plusieurs contrôles successifs et perd tous ses points au bout de cinq mois. En août, il est par exemple verbalisé cinq fois en 15 minutes pour pneus lisses, élément tranchant ornant son véhicule – une des baguettes en plastique sous le châssis ne tenait pas bien –, défaut de maîtrise, non-port de la ceinture et changement de direction sans clignotant, liste les amendes que StreetPress a consulté. Il doit, au total 1.455 euros.
Lors de ce contrôle routier, les agents de police l’ont d’abord verbalisé pour « défaut de maitrise du véhicule ». Tarek refuse de signer. Un des bleus répond : « Ah bon ? Monsieur ne veut pas signer ? Alors qui vote pour la ceinture ? ». Chaque pandore lève la main. Tarek refuse également de signer cette amende. Le manège reprend raconte le jeune homme : « Alors, qui vote pour pas de clignotant ? », lance un des agents.
Des milliers d’euros
Ces amendes abusives ne sont pas ses premières. Tarek en a déjà eu plein sa boîte. En mai 2011, il se fait verbaliser deux fois en six minutes pour « non-port de la ceinture en tant que passager » à 23h30 et 23h36. En novembre 2012, il se prend trois PV en trois minutes pour « défaut de se tenir en état d’exécuter une manoeuvre » avec son scooter, « pas de casque attaché » et « défaut de présentation de la carte grise ». Au total, 483 euros d’amendes. En juin 2013, il aurait commis six infractions en 19 minutes : conduite trop rapide, sans respecter les distances de sécurité avec les autres véhicules, sur un trottoir, en grillant un stop, sans casque attaché, sur une mobylette non-homologuée. 2.250 euros à payer.
« La police se justifie en disant que c’est leur seul moyen d’arsenal judiciaire “pour tous les problèmes considérés comme déviants” », explique l’éducateur de quartier, qui préfère rester anonyme. En résumé, les forces de l’ordre vont mettre plus d’amende là où ils soupçonnent des points de trafic de drogue. « Mais le problème, c’est que pour ces habitants, c’est devant chez eux », note l’éducateur. Et souvent les policiers harcèlent des habitants sans lien avec un quelconque trafic de stupéfiants.
Parfois, les habitants découvrent les amendes après coup. « C’est des trucs fous, pour des choses qu’on ne fait même pas. On se fait contrôler, ça se passe bien. Ils nous disent au revoir monsieur. Et on rentre chez nous, on reçoit des feuilles, avec des -3 points sur le permis », enrage Aymen. Il y a aussi ce que Stanis appelle « les PV caniveaux » :
« La personne ne sait pas qu’elle a pris ces PV et le policier ne fait pas la procédure. Il la “jette”. Ce n’est qu’un an plus tard que l’amende majorée arrive chez la personne. Elle ne peut pas contester, elle est hors-délai. »
Il prend l’exemple de Rémi, un habitant de Champagne, qui s’est pris une amende le 20 août 2013 pour « défaut de clignotant ». Un an plus tard, il reçoit au total sept amendes supplémentaires majorées, dressées en 11 minutes lors du contrôle (des documents que StreetPress a consulté). Le tout pour la modique somme de 1.773 euros. Les policiers lui ont par exemple collé deux amendes liées à une remorque, alors qu’il n’en possède pas. Si ces amendes datent, la nouvelle génération n’est pas épargnée. Mehdi, la vingtaine, a eu en 2018 une amende pour « stationnement gênant de véhicule entre le bord de la chaussée et une ligne continue ». Le problème, c’est que la rue où il est censé avoir été verbalisé juste derrière la cité Champagne est une impasse et n’a aucune ligne blanche au sol…
Le silence par les amendes
Ces amendes sont surtout un moyen pour les policiers de se venger. Dans les dossiers de Stanis, une histoire est symbolique et date de 2013. Après un énième contrôle violent à la cité Champagne, dix jeunes dont Tarek, Geoffrey ou Omar (qui ont déjà été victimes de dérives policières dont nous vous parlons ici) vont porter plainte au commissariat d’Argenteuil. On les fait attendre puis on leur demande de repasser. Quelques jours plus tard, ils reçoivent une quarantaine d’amendes. De trois à huit selon les personnes, d’après les PV que StreetPress a pu consulter. Six sont pour un « dépôt d’ordures » le 4 février à 19h pétantes. À croire qu’ils sortent leurs poubelles tous ensemble. Sur ces six, cinq autres ont également des prunes pour « déversement de liquide insalubre » et « émission de bruit de nature à troubler le voisinage » à 19h. Pas de chance, Tarek, Geoffrey et Omar reprennent des contraventions pour « dépôt d’ordures », « émissions de bruit » et « interdiction de fumer » du 5 au 7 février. Toutes constatées à 23h30 pour les deux premiers et à minuit pour le troisième. Pour Stanis, qui a porté leurs plaintes à l’IGPN et devant le défenseur des droits, c’est plus que louche :
« Ils les ont fait payer pour avoir voulu porter plainte. Ce sont des faux en écriture publique, un crime passible des Assises ».
Une autre fois, Olivier rentre à la cité et voit « des policiers maltraiter des petits ». Il proteste, les policiers l’embarquent et le libèrent à minuit. Pour son action, il se prend quatre amende : « ouverture de portière sans précaution », « traversée irrégulière de la chaussée sur un parking », « tapage nocturne » et « dépôt d’ordure ». « Ça t’apprendra à jouer les héros », lui a-t-on lancé.
Depuis 2013, Stanis porte les histoires de ces habitants. Il a enjoint les dix qui ont pris la quarantaine d’amendes à contacter l’IGPN. Tous ont fait un signalement à ce sujet. Les plaintes n’ont pas été prises en compte. Stanis a également contacté la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP) du Val d’Oise, le défenseur des Droits et le procureur de la République de Pontoise. Personne n’a donné suite.
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