Raymond Gurême est mort à 94 ans. Figure des gens du voyages, ancien prisonnier des camps français pendant la guerre, déporté en Allemagne, évadé puis résistant, il a passé sa vie à se battre pour la mémoire et le respect de son peuple.
Raymond Gurême n’aura pas eu l’enterrement qu’il méritait. En raison de l’état d’urgence sanitaire, seulement la famille et quelques amis ont pu se réunir au cimetière de Saint-Germain-lès-Arpajons (91), le jeudi 28 mai 2020. « Raymond mériterait un hommage national », déplore Anina Ciuciu, amie, avocate, et figure des Roms :
« On va essayer d’organiser quelque chose en août, c’est important d’honorer sa mémoire. »
Raymond Gurême est mort le 24 mai, à l’âge de 94 ans, sur le terrain qu’il partageait avec sa famille dans la commune de Saint-Germain-lès-Arpajons.
/ Crédits : Back to the street
« Raymond c’était une sorte de superstar dans le milieu militant, en France mais aussi en Europe ». Au téléphone, William Acker n’a pas assez de compliments pour décrire Raymond Gurême : « C’était une sorte de légende pour moi, je le connaissais, lui et son combat, avant que lui me connaisse. Je suis fier d’avoir pu le rencontrer », explique le militant, dont la famille a croisé la route des Gurême dans les camps d’internement pendant la Seconde Guerre mondiale. La voix de Raymond a permis de faire émerger ce sujet encore tabou en France : l’enfermement et la déportation des « nomades » de 1940 à 1946. Il aura fallu attendre le 29 octobre 2016 pour que le Président François Hollande, devant l’ancien camp de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire), reconnaisse le rôle de l’Etat français dans ce drame. Le long travail de mémoire de Raymond Gurême aura grandement participé à cette reconnaissance.
Camp de travail et évasion
L’histoire de Raymond Gurême et de sa famille est celle de milliers de familles françaises, tsiganes ou gens du voyages, pendant et après la guerre. Issu d’une famille de circassiens manouches français, il parcourt les routes de l’Europe d’avant-guerre avec leur cirque mobile. Il n’a que 15 ans lorsque l’Hexagone entre en guerre. Le 6 avril 1940, la France n’a pas encore capitulé face à l’Allemagne nazie. Pourtant, par décret, elle assigne à résidence les gens du voyages, semblant présenter un risque d’intelligence avec l’ennemi. Quelques mois plus tard, Raymond et sa famille sont enfermés dans le camp de prisonniers de Linas-Montlhéry dans l’Essonne. De ce camp, il parvient à s’échapper et fera tout pour braver les murs de la prison pour envoyer des colis alimentaires à sa famille. Après un petit passage dans la résistance, il est une nouvelle fois arrêté et envoyé en Allemagne, dans un camp de travail, qu’il parviendra également à fuir. Le bonhomme refuse de se laisser enfermer : à seulement 20 ans, il en est déjà à sa dixième évasion, racontait-il en 2018 au micro de France Culture. De retour à Paris, il rejoint les Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) qui organisent le soulèvement de la capitale en 1944 avant l’arrivée des troupes alliées. William Acker gronde :
« Malgré toute son histoire, son passage dans la résistance, Raymond Gurême n’a jamais été respecté par les autorités. »
Henri Braun, son avocat, développe :
« De 1940 jusqu’à la fin de sa vie, il a été harcelé par la police française. 80 ans, ça fait long ».
Violences policières
Le 23 septembre 2014, des policiers à la recherche d’un membre de la famille Gurême pénètrent sur le terrain que partage le patriarche avec sa famille. La tension monte entre les jeunes et les policiers quand Raymond Gurême, 89 ans à ce moment, s’interpose. Le petit homme qui pèse moins de 40 kilos est immédiatement mis au sol par les policiers et frappé à plusieurs reprises. L’affaire est classée sans suite, la juge d’instruction refusant même d’auditionner Raymond Gurême. « C’est évident qu’il y a un racisme structurel envers les gens du voyage, auquel se croise la violence policière », regrette Henri Braun, qui l’a défendu dans cette affaire et assure vouloir poursuivre le combat malgré la mort de Raymond.
« L’histoire de Raymond est limite plus intéressante après la guerre que pendant », analyse William Acker. Toute sa vie, il aura subi les acharnements judiciaires et policiers. « Il y a une sorte de tradition dans la police locale, là où il habitait, à ne pas le respecter, lui et sa famille », ajoute Henri Braun. L’avocat raconte que Raymond Gurême a souvent vu débarquer la police chez lui, pour des motifs bidons. À plusieurs reprises, ils l’embarquent, le placent en prison, avant de le relâcher pour manque des preuves.
Rancune envers l’Etat français
En 2011, Raymond Gurême et la journaliste Isabelle Ligier publient Interdit aux nomades (Calmann-Levy), une longue biographie du militant. Si une bonne partie du bouquin se concentre sur la période 1940-1944, le reste est consacré à son parcours militant, ses démêlés avec la justice et la rancune envers l’État français. Il aura fallu attendre 1982 pour qu’il reçoive une carte prouvant son internement forcé pendant la guerre et la maigre pension qui l’accompagne. Et 2009 pour que l’État reconnaisse enfin son statut de résistant.
« Je pense que Raymond aimait profondément la France, les Français. Mais il a énormément souffert d’avoir été exclu de la communauté nationale par l’Etat lui-même », expose Pierre Chopinaud, directeur de l’association La Voix des Roms, dont Raymond était le président d’honneur.
Énième affront pour lui, lorsqu’il se rend il y a quelques années sur le terrain où sa famille habitait avant d’être enfermé. Près de Rouen, il trouve un panneau « Interdit aux nomades ». Une rage le prend : « Des images ont défilé dans ma tête, des barbelés, des miradors, des coups, les visages amaigris et désespérés de mes petits frères et soeurs, les regards échangés par mes parents quand les gendarmes étaient arrivés sur ce même champ, en 1940 », écrit-il dans sa biographie.
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Il enfonce le clou :
« Ce panneau est un symbole de continuité entre le sort qui nous a été fait sous Vichy et celui que l’on réserve depuis 1945. »
Comme un pied de nez à l’Histoire, il arrache le panneau et le place sur son terrain à lui, situé juste en face du camp de Linas-Montlhéry, où il fut interné avec sa famille.
Raymond Gurême gardera jusqu’à la fin de sa vie une profonde rancune à l’égard de l’Etat français, coupable selon lui d’entretenir le racisme, l’intolérance et les idées réactionnaire, voyant ses petits enfants subir le même acharnement policier qu’il a vécu dans sa jeunesse.
« Il nous a appris à se révolter »
William Acker garde un souvenir ému de son dernier voyage vers Cracovie et Auschwitz avec Raymond Gurême. Il s’y rendait chaque année pour un grand rendez-vous des voyageurs de toute l’Europe. « On avait pris le bus, 20 heures tout de même. J’ai compris après que s’il voulait autant prendre le temps du voyage, c’était pour parler avec nous, les jeunes. C’était quelqu’un qui parlait de sa vie, mais qui écoutait surtout. » Anina Ciuciu raconte elle, émue :
« Il nous a appris à se révolter, se rebeller contre les injustices. Pour les gens de notre génération, c’est un héros. »
« Il inspire beaucoup de gens. Quotidiennement, je me sers de son courage pour avancer dans ma vie », ajoute Pierre Chopinaud.
Et sa voix a eu de l’impact bien au-delà des frontières hexagonales. « Il était peut-être plus connu en Europe qu’en France », avance William Acker. Des voyages un peu partout sur le continent pour rencontrer des jeunes des communautés des gens du voyage auront forgé sa légende.
Henri Braun termine :
« Dans 20 ans, Raymond Gurême est un mythe. »
Dans une tribune publiée par Libération il demande son entrée au Panthéon.
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