Malgré un tissu associatif plutôt développé, la ville de Garges-lès-Gonesse (95) n’offre que rarement des activités nocturnes aux jeunes. Alors, faute de mieux, ils squattent les parkings et les halls d’immeubles.
Les yeux rivés sur leurs portables, ils sont cinq à commenter les derniers exploits du PSG dans la pénombre d’un parking souterrain. Il fait froid et le réseau est capricieux. Début d’un week-end ordinaire dans le quartier de la Muette à Garges-les-Gonesse. Comme tous les vendredis vers 22h, Boubacar, Wesley, Abdelrahman, Ralph et Brahim s’offrent une pause entre potes. « On reste dans ce parking car on a nulle part où aller. Dès qu’on trouve un petit endroit, bah on ne se pose pas de question, on y va », commente Abdelrahman, 18 ans : « On fait avec ce qu’on a ».
Les Municipales by StreetPress
Dans le cadre de notre projet Municipales by StreetPress, Samia tire le portrait de Garges-Lès-Gonesse (95).
Épisode 1 : Mirux, le réalisateur des séries à succès de Garges-lès-Gonesse
Épisode 2 : Les jeunes de toutes les confessions squattent les locaux de l’asso juive de Garges
Épisode 3 : À Garges-lès-Gonesse, faute de lieux ouverts le soir les jeunes squattent les parkings
Pendant trois mois, Streetpress accompagne cinq jeunes sélectionnés sans critères de diplômes. Ils sont formés par la journaliste Nathalie Gathié et rémunérés en piges pour leurs articles. Si vous souhaitez soutenir nos initiatives, vous pouvez nous donner quelques euros par ici. Malgré le confinement, nous avons décidé de publier la fin de cette série.
À Garges, c’est chaque soir et tous les week-ends la même punition : ennui et galère à tous les étages. Créateur de l’association Médiation Nomade, Yazid Kherfi connaît ça par coeur. C’est justement pour combler ce vide que ce diplômé en sciences de l’éducation – devenu consultant en prévention urbaine – sillonne les quartiers à la nuit tombée. À la demande des municipalités ou à son initiative, il gare son camion au cœur des cités désertées et organise des soirées, à la grande satisfaction des jeunes désoeuvrés. Pizzas à partager, thé à la menthe, jeux de société… Juste de quoi passer du bon temps. « Ce n’est pas normal que seuls les commissariats soient ouverts le soir. Tout ce qui s’adresse à la jeunesse ferme après 18h et tire le rideau le week-end, c’est incohérent », s’agace l’ancien directeur d’une maison de quartier dans la cité de Noé à Chanteloup-les-Vignes. Enfant du Val-Fourré à Mantes-la-Jolie, ce quinquagénaire passé par la case prison mène « ce combat depuis toujours. Dans tous les quartiers de France, les jeunes qui demandent à avoir des locaux adaptés à leurs attentes se heurtent presque toujours à des refus. Il faut que ça change ».
Une vraie discrimination
Assis à l’avant de sa voiture, Boubacar,19 ans, étudiant en BTS, n’est pas « fan des rencards dans les parkings mais l’hiver, il n’y a pas d’autres solutions ». Et quand les températures baissent trop, « c’est nul mais on ne se voit pas », soupire Wesley, étudiant en filière scientifique.
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« Évidemment, quand les parents partent au bled, ça change la donne, sourit Abdelrahman. C’est pas qu’on ne les aime pas mais on profite de la maison pour accueillir les potes. On joue aux cartes ou à la Play… » Dans les sous-sols du parking, la team approuve. Sans s’agacer, les gars appréhendent l’absence de lieux conviviaux appropriés comme « une vraie discrimination ». Une sanction qui pénalise encore plus les filles, réticentes à l’idée de traîner dans les cages d’escalier ou les caves pas franchement rassurantes, passé une certaine heure. « Le soir, on est coincées chez nous. Il n’y a rien. Quand c’est possible, on s’invite mais ça s’arrête là », confirment Lyna, étudiante en sciences sociales, et sa copine Naouel. Éducatrice spécialisée dans le quartier Dame Blanche Nord, Juliette assure que « les associations essaient de s’adapter aux jeunes. Après, on ne va pas ouvrir le local juste pour qu’un groupe vienne squatter, et ça serait compliqué parce qu’on a déjà beaucoup de choses à gérer dans la journée ».
Directrice de l’association Espoir&Création, implantée au cœur de la Muette, Hind Ayadi rappelle que cet été, sa structure « a organisé pas mal de projections de matches ou de films jusqu’à minuit, une heure…. Mais, ça reste exceptionnel car on a ni les moyens financiers, ni le personnel pour systématiser ça ». Et il ne faut pas compter sur les « services jeunesse » pour combler les attentes d’Abdel et de ses potes puisqu’ils sont réservés aux 14-17 ans. Brahim le basketteur résume :
« Avant c’était cool, on avait au moins ça. Pour les plus de 17 ans, c’est la double peine : trop vieux pour les structures, trop jeunes pour avoir la thune pour accéder aux loisirs ou un appart à toi qui te permet de te détendre comme tu veux. »
« On manque de services jeunes pour les plus grands », complète-t-il. Habituée du service jeunesse du quartier Lamartine, Nicole aimerait bénéficier d’horaires plus extensibles malgré ses 14 ans : « Quand je sors du collège à 18h, il n’y a rien pour se libérer un peu des cours, respirer et jouer. Il faudrait prolonger au moins jusqu’à 20h30 ». Directrice du service fréquenté par Nicole, Ymène n’est pas très emballée à l’idée d’ouvrir plus tard ni à la perspective d’accueillir un public plus âgé. « Si c’est juste un local ou se retrouver je ne vois pas l’intérêt. S’ils réclament un endroit pour faire de la musique, oui c’est un projet à déposer, ça se défend s’il y a un but… », justifie-t-elle sans enthousiasme.
Des villes se sont adaptées
Le but consisterait peut-être à éviter les embrouilles qui surviennent quand la nuit et l’ennui s’invitent dans les quartiers. « Quand t’as pas de programme, ça devient vite : “Et pourquoi, on ne ferait pas ci ? Et pourquoi, on ne ferait pas ça ?“ », confie Boubacar :
« On peut s’engrainer et il y a moyen que tout parte en vrille. »
Yazid Kherfi connaît bien les déviances qui découlent de l’emmerdement maximum : « Quand on s’ennuie, on a tendance à mal se comporter. Des jeunes occupés avec des adultes positifs seront moins enclins à faire des conneries, alors que des jeunes qui glandent fréquentent d’autres jeunes qui glandent et finissent inévitablement par déconner », développe-t-il :
« Si on ne leur tend pas les bras, ce sont les délinquants ou les extrémistes qui le font. C’est le soir que tout se joue. »
Quoiqu’imparables, les arguments de Yazid et de ceux qui militent pour l’ouverture de structures nocturnes peinent encore à porter. « Beaucoup de mairies ou de travailleurs sociaux craignent que ça génère de l’insécurité alors que c’est précisément l’inverse », se désole le fondateur de Médiation Nomade, qui a tout de même réussi à convaincre les villes de Chanteloup-les-Vignes et d’Avignon d’adapter leurs horaires au public des quartiers. À la Muette, on fourmille d’idées et d’envies pour faire bouger les choses. « Il faudrait qu’on se mobilise. Pourquoi ne pas lancer une pétition qui appellerait à la création d’un lieu dédié aux 18-25 ans avec des horaires qui vont bien, genre entre 18 et 23h ? Un endroit qui n’oublierait pas d’ouvrir le dimanche, le jour où on s’ennuie le plus ! », suggère Ralph, comme s’il entrait en campagne.
Sollicités par StreetPress, Tutem Sahindal-Deniz, maire adjointe à la jeunesse de Garges, et Benoit Jimenez, élu en charge de la vie associative, n’ont pas répondu à nos questions
Partenaires
Les Municipales by StreetPress, est un projet réalisé avec le soutien de Google News Initiative. Le projet est réalisé en partenariat avec la radio Mouv et l’appli Upday. Merci de leur soutien !