Ils sont Gilets jaunes. Ils ont squatté les rond-points ou les défilés. Aujourd’hui, ils se lancent dans la bataille des municipales avec, le plus souvent, le soutien de partis de gauche. Une stratégie qui ne fait pas l’unanimité dans le mouvement.
Sampigny (55) – Ce samedi 18 janvier, la salle polyvalente de ce petit village de 700 âmes est bondée. Près de 150 personnes sont réunies pour parler de démocratie directe à l’approche des élections. Frédéric a, pour la journée, délaissé le gilet jaune au profit d’une veste en cuir. Engagé de la première heure, il prépare les municipales. À Commercy, une ville voisine de 5.000 habitants, les Gilets jaunes ont créé une liste. « On a changé et c’est pour ça qu’on est encore là », lance-t-il. « Au début, je pensais que ce n’était pas pour nous », détaille-t-il, le sourire aux lèvres, un peu gêné. Il continue, plus convaincu :
« Puis on a commencé à défendre le RIC et le maire de Commercy s’est moqué de nous. Personne ne nous prenait au sérieux. J’ai réalisé que rien n’allait changer si on n’essayait pas nous-mêmes. »
Si, à ses débuts, le mouvement des Gilets jaunes s’est construit en marge du système électoral, il a finalement suscité des vocations politiques. À Commercy, Pau, Toulouse ou Louviers, des Gilets jaunes se lancent dans la bataille des municipales.
Le municipalisme des Gilets jaunes
La liste citoyenne de Commercy, Vivons et décidons ensemble, menée en bonne partie par des Gilets jaunes, est à l’origine de ce week-end à Sampigny. Leur projet s’inspire du municipalisme : un projet politique visant à renforcer la démocratie directe à l’échelon local. De Barcelone au Chiapas, le concept a le vent en poupe.
Du rond-point aux élections. / Crédits : Caroline Varon
Dans la salle polyvalente, une historienne parisienne a fait le déplacement. Michèle Riot Sarcey suit le mouvement des Gilets jaunes depuis le début. « C’est une mobilisation inédite dans notre histoire contemporaine. Maintenant, les Gilets jaunes ont pris confiance en eux. Ils ont donné un souffle nouveau à la démocratie », assure-t-elle. L’oreille attentive, elle recueille les témoignages de Gilets jaunes pour en faire un livre. « Vous devez écrire votre histoire avant que quelqu’un d’autre ne le fasse pour vous », lance-t-elle, un sourire bienveillant se dessinant sur ses lèvres. Une Gilet jaune lui répond, amusée :
« Peut-être que dans 15 ans, on parlera encore de nous ! »
Un sujet qui fait débat
Dès avril 2019, lors de la seconde assemblée des assemblées qui a rassemblé plus de 500 Gilets jaunes venus de toute la France, les Commerciens mobilisés annoncent leur intention de se présenter aux élections municipales. Mais l’idée ne fait pas l’unanimité. « Nous n’avons pas vraiment eu de soutien. Au final, c’était compliqué de rassembler tous les Gilets jaunes autour de cette idée. D’ailleurs, il y a peu de listes initiées par les Gilets jaunes eux-mêmes », explique Steven Mathieu, un des fondateurs de Vivons et décidons ensemble.
Début 2019, une figure des Gilets jaunes, Ingrid Levavasseur, annonce qu’elle sera candidate aux élections européennes. Aide soignante, petit salaire et mère célibataire, elle concentre les difficultés rencontrées par beaucoup de femmes qui ont choisi d’exprimer, elles aussi, leur ras-le-bol. « C’était ma première manifestation. Il y avait une telle force. J’ai rapidement averti qu’il fallait en faire quelque chose, peut-être en politique », raconte Ingrid.
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Elle était l’une des premières à s’engager. Mais à ce moment-là, les nerfs sont à vif : si les Gilets jaunes sont sortis dans la rue, c’est en partie à cause de la politique, alors comment entrer sur ce terrain-là ? Cet acte fut vécu, par certains comme une trahison. Mais ce ne sont pas les nombreuses insultes qui l’ont poussé à renoncer. « Je me suis retrouvée avec des candidats qui se présentaient pour eux-mêmes. À la base, on avait parlé de démocratie et finalement, on ne s’écoutait même pas. J’avais l’impression de voir les mêmes stratégies politiciennes que l’on reproche à d’autres », avoue Ingrid qui finit par abandonner la liste qui ne recueillera que 0,5% des votes.
Tout le monde veut son Gilet jaune sur sa liste. / Crédits : Caroline Varon
Une mésaventure qui n’a pas découragé la jeune femme. Ingrid Levavasseur remet le couvert pour les municipales. « Ce n’est pas du tout la même échelle. On est sur le terrain, on constate les effets de notre programme. C’est palpable », assure la mère de famille. Elle se présente en seconde position sur la liste Changer Louviers (27), une liste citoyenne soutenue par EELV, Place publique, le PCF et Génération.s.
Listes citoyennes et politiques
À Pau, les Gilets jaunes ont collectivement décidé de constituer la liste Pau citoyenne, sociale et écologique. Objectif : ravir la mairie à François Bayrou (Modem), soutien d’Emmanuel Macron. Pour Patrice Bartolomeo, officier de police judiciaire à la retraite, syndicaliste à l’Unaf (Union nationale de l’apiculture française) et désormais tête de liste, aller à la conquête de la mairie est une évidence. « Au début, les esprits n’étaient pas prêts. Mais finalement, nous avons le soutien d’une grande partie des Gilets jaunes de la région », assure-t-il. Dans leurs rangs, plusieurs militants encartés, notamment de la France Insoumise. « La couleur politique, ce n’est pas ce qui compte. Notre liste est avant tout une affaire de personnes, de cœur. Nous voulons réunir toutes les meilleures volontés pour avancer », assure Patrice Bartolomeo.
La liste toulousaine, Archipel citoyen, se revendique de la société civile et promet, en cas de victoire une gestion participative de la ville. Ses candidats ont été désignés de manière participative avec même une part de tirage au sort. À sa tête, Antoine Maurice… encarté chez EELV. Un choix qui a provoqué le départ de certains. Odile Maurin, figure des Gilets jaunes toulousains, célèbre pour avoir bloqué un canon à eau avec son fauteuil roulant, a quant à elle décidé de rester. « On a l’occasion de se faire entendre et de porter la parole de nos concitoyens. Alors pourquoi partir ? », explique-t-elle. Pourtant, un an en arrière, elle n’aurait jamais pensé en faire partie.
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Odile Maurin milite en faveur des personnes handicapées depuis de nombreuses années. Et ce n’est pas la première fois que des partis de gauche essaient « de la récupérer ». Elle avait jusque-là refusé, car « personne ne tient ses promesses ». Alors qu’elle participait à des assemblées populaires menées par des Gilets jaunes, le projet d’Archipel citoyen arrive dans la discussion. À son grand étonnement, ses camarades la poussent à intégrer cette liste. « Ils m’ont dit : “Si c’est toi, on a confiance” », assure-t-elle.
Et pour beaucoup, sans ces alliances avec les partis traditionnels, impossible de viser la victoire finale. « On ne veut pas être “une liste témoin”. On est là pour gagner. Et pour cela, il faut faire des alliances, comme tout le monde. Comme le fait la droite aussi », défend Sébastien, chargé de communication pour la liste citoyenne Montpelliéraine NousSommes, soutenue par la France insoumise :
« Mais nous nous engageons avec ceux qui portent nos valeurs. »
La Gilet jaune et le marcheur
On tombe parfois sur des alliances pour le moins étonnantes. Au début du mouvement des Gilets jaunes, Xavier Darrouzet, animateur d’une section normande du parti présidentiel et suppléant de la députée LREM Stéphanie Kerbah, se rend sur les ronds-points. « J’ai constaté un vrai ras-le-bol et des revendications légitimes. Je leur disais que pour avoir un impact, ils doivent s’engager en politique. Ce n’est pas en bloquant qu’on existe. Mais certains s’autocensurent », soutient-il.
Veux-tu m'épouser ? / Crédits : Caroline Varon
C’est à ce moment-là qu’il fait la connaissance de Marie Barthélémy, aide soignante à la retraite avec qui il reste en contact. Révoltée par le traitement réservé aux patients et aux personnels hospitaliers, elle veut s’investir pour faire bouger les choses. Xavier Darrouzet lui propose alors de rejoindre la liste citoyenne qu’il présente, sans le soutien officiel du parti, pour les municipales à Bolbec (76). « Autant j’ai confiance en lui, autant je n’en ai aucune pour le parti de Macron », détaille-t-elle. Parmi ses camarades Gilets jaunes, beaucoup la découragent de suivre Xavier, d’autant qu’un guide édité par le parti présidentiel encourage ses candidats à dissimuler l’étiquette LREM. Après réflexions, Marie a décidé de rejoindre la liste du marcheur, au risque de se mettre à dos certains camarades.
Les municipales ? Non merci !
D’autres Gilets jaunes veulent faire pression sur les élus sans s’impliquer dans les listes. En Creuse, quatre Gilets jaunes planchent sur un projet débuté bien avant la campagne électorale : la Ligue citoyenne. Né de leur rencontre avec Priscillia Ludosky, une figure des Gilets jaunes, ce collectif tente d’organiser un « lobby citoyen » : « Nous n’irons pas aux municipales. Nous sommes apartisans et apolitiques depuis le début », soutient Sandrine Porée, vice-trésorière de l’association en Creuse. Pour l’instant, six associations départementales sont affiliées à la Ligue citoyenne. Mais leur objectif est de s’implanter dans chacun des 101 départements français.
« Chaque territoire a ses problématiques. En Creuse, nous sommes éloignés de tout. Alors, nous allons nous réunir pour trouver, ensemble, un plan d’action pour redonner de la vie dans les campagnes », explique Patrick Porée, vice-président en Creuse. Pour cela, ils misent sur des pétitions. Le mouvement des Gilets jaunes était parti d’une pétition mise en ligne par Priscilla Ludosky. Ils prévoient aussi des manifestations et une plateforme proposant des initiatives. Si ce petit groupe se montre méfiant envers les élus, ils ne fustigent pas pour autant les Gilets jaunes qui se lancent en politique, explique Patrick Porée :
« Plus on sera nombreux à porter différents projets, mieux ce sera. »
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