Combien un festival paie Nekfeu ou Vald ? Quel est l’artiste ou le groupe le plus cher ? Les showcases en chicha ou en boîte, ça rapporte ? StreetPress poursuit son enquête dans le portefeuille du rap jeu.
« Les showcases, c’est un peu l’argent de poche des artistes », sourit Pauline Duarte, ancienne boss du label rap Def Jam France. « Et ça, c’est directement dans leur poche. Il n’y a pas d’intermédiaire. Ça peut même être en cash de main à main », renseigne le journaliste Ismaël Mereghetti, co-créateur du podcast hip hop Gimmic. Pour une demi-heure de show en clubs ou en chichas, les tarifs varient de quelques centaines à plusieurs dizaines de milliers d’euros. « Pour avoir PNL, ça doit avoisiner les 40.000 », détaille Antoine Laurent manager média et événementiel de l’agence Yard.
Entre les concerts en salle, les festivals, les showcases, le live peut être une source de revenus conséquente pour les rappeurs. « C’est ce qui me fait vivre », balance le Montreuillois Swift Guad. « Sans oublier le merch’ ! » (merchandising), ce petit shop à la fin des concerts avec les produits dérivés de l’artiste, comme des casquettes ou des T-shirts. « Ça peut être une mine d’or », assure Daphné Weil, qui manage notamment Lino (membre d’Ärsenik).
Le stream, les showcases, les tournées, les partenariats avec de grandes marques de streetwear, les revenus des rappeurs se sont multipliés en quelques années. Et les fantasmes sont nombreux sur le sujet. Mais combien gagne un artiste urbain ?
Épisode 1 : Streaming, disque d’or et contrats
Épisode 2 : Showcases, tournées et festivals
Épisode 3 : Egérie, placement de produits et défilés
L’économie du showcase
« Certains artistes peuvent avoir du mal à être programmés en salle de concert » et ne font que des showcases, explique Ismaël Mereghetti. Le journaliste cite Marwa Loud ou Naza, qui ont longtemps tourné en chicha avant d’arriver en salle. La première est plutôt classée pop urbaine, le second afro-pop. « Ils sont dans deux genres qui ont pu paraître bizarres pour les tourneurs et les programmateurs. Ils n’y ont pas cru. Ou peut être juste qu’ils n’aimaient pas. » Des tournées entières s’organisent exclusivement dans des clubs. À tel point que plusieurs maisons de disques et tourneurs ont lancé leurs agences spécialement dédiées au booking en boîte.
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Certains sont en showcases trois fois par semaine assure Antoine Laurent, qui se charge de la programmation des soirées Yard. Elles ont investi tous les lieux les plus branchés de la capitale : La machine du Moulin Rouge, le Wanderlust ou encore Dehors Brut – la nouvelle Concrète « Il y a une vraie économie du showcase. » En France ou à l’étranger. Le programmateur se souvient de ses vacances à Barcelone cet été : « En seulement dix jours, j’ai vu PNL, Keblack, Ninho, Naza, SCH, Kaaris, Djadja et Dinaz de programmés. J’en oublie. »
Un business rentable. Des sources du milieu donnent des estimations de tarifs. Les premiers démarrent autour de 500 et 2.000 euros. Un buzz internet suffit pour être invité. Plus la carrière est installée, plus ça monte. Comptez minimum 10.000 euros pour que « des artistes du gabarit » de 13 Block débarquent à votre soirée. Entre 15 et 23.000 pour un rappeur comme SCH. Et pour les tops du streaming, comme Heuss l’Enfoiré ou Ninho, ce serait entre 25 et 30.000 euros. (1)
« Showcase booking on arrive en survet’ »
Une somme qui atterrit directement dans la poche des artistes. Contrairement aux tournées, il n’y a ni équipe technique, ni scénographie, ni intermédiaire à rémunérer. Et la gratification est immédiate. « On me demande souvent si je peux payer en cash », raconte le programmateur des soirées Yard. Une rémunération de la main à la main qui, bien qu’illégale, a longtemps été la norme. « On refuse parce que légalement c’est beaucoup trop dangereux pour nous », explique-t-il catégorique, ce qui a déjà fait capoter des deals. « Les artistes consciencieux déclarent leurs showcases. Pour les autres, c’est risqué. Des contrôles fiscaux ont déjà eu lieu chez des rappeurs », insiste plusieurs sources du milieu. « Et le fisc est à cran là-dessus en ce moment », ajoute une autre.
Les rappeurs font leur demi-heure de showcase, prennent un billet et repartent. « Certains enchaînent plusieurs shows dans une même soirée », raconte Antoine Laurent. Ce qui ne plaît pas forcément aux clubs, qui apprécient l’exclusivité. Dans ces cas-là, les artistes baissent souvent leur tarif. Chez Yard, le line-up n’est jamais annoncé et les clubbers découvrent l’artiste programmé quand il monte sur scène. Un effet de surprise qui permet au programmateur une certaine flexibilité :
« Quand je sais qu’un rappeur qu’on apprécie est en showcase à Paris, je lui propose de passer à notre soirée avant ou après. Ça lui permet de continuer sa nuit de travail. »
« Tu joues devant un public bourré »
« Mais les gens en showcase ce n’est pas ton public », a expliqué Jok’air à la conférence « Concerts, showcases et festival : le business de la scène rap », qui a eu lieu durant le festival Paris Hip Hop Winter – et qui est à retrouver en intégralité sur YouTube. « Tu viens à 3h du matin, tu chantes devant des gens bourrés ! Ils en ont rien à foutre de qui t’es ! » Il poursuit en riant :
« Certains chantent dans des grecs maintenant ! À Marrakech, il y en a qui chantent dans des piscines. Demain on fera le métro ! Tant qu’il y a de l’oseille, on est là ! »
Dawala, producteur et fondateur du label Wati B qui a propulsé Gims et la Sexion d’Assaut, présent à cette même conférence, explique que les showcases peuvent aussi servir de tremplin :
« Un jeune artiste peut commencer à être connu, mais ne pas avoir assez de force [notoriété ou expérience] pour faire des concerts. Alors on va faire des showcases. Ça va lui permettre de payer son loyer, de payer tout ça…. Mais en réalité, je pense qu’un artiste est obligé de faire des concerts. »
La tournée des Zéniths, ça n’est pas pour tout le monde
« La préparation d’un concert demande énormément de travail, autant en terme d’organisation que de scénographie », assure Mehdi Guebli, aka Merkus. Producteur, manager, il travaille avec Vald, Sofiane notamment. « Tout le monde ne remplit pas une salle de concert, même s’il streame beaucoup », observe-t-il. « Qui a remarqué que Lacrim a dû annuler sa tournée, parce qu’il n’avait pas assez d’entrées ? », s’interroge le journaliste Ismaël Mereghetti. Merkus complète :
« Chilla, 47ter ou Dinos sont des artistes qui tournent bien [dans des salles petites et moyennes]. Mais il n’y a pas énormément de personnes capables de faire une tournée des Zéniths. Cette année il y a PLK, PNL, Niska, Ninho, Vald… Et je crois que c’est tout. »
D’après les spécialistes de l’événementiel, il faut habituer son public à se déplacer en salle. « Avec Vald, on a monté les échelons progressivement. On a commencé par L’International [200 places], La Maroquinerie, puis on a continué sur La Cigale, l’Olympia, le Zénith et Bercy. » Une date mémorable qui a fait beaucoup parler, en décembre 2019. Devant 15.000 personnes, « Vald a mis le paquet : une scénographie incroyable et une multitude d’invités ! », rapporte Mouv. Une date déficitaire de 270.000 euros. Merkus explique :
« C’était un calcul. On a choisi de marquer les esprits. Et ça a marché ! Tout le monde s’est dit : “Woah”, le public comme le milieu. Et on a créé de la frustration pour ceux qui ont loupé ça. »
Une perte rattrapée sur la tournée des Zéniths qui a suivi, assure-t-il. Elle a été sold out.
La scène coûte chère
« Quand tu montes un show, tu peux prévoir des effets lumières, un mur de LEDs de sept mètres sur sept, de la pyrotechnique, etc… C’est comme au restaurant : tu commandes ce que tu veux. Mais à la fin il faut régler l’addition », prévient Merkus. Entre les accessoires, les techniciens, les déplacements, les agents de sécurité, etc, l’addition peut vite être salée. Un Zénith complet peut être déficitaire, comme rapporter 30 ou 40.000 euros selon le manager.
Il existe différentes manières d’organiser une tournée. La première est de passer par un bookeur / tourneur. C’est le choix qu’a fait Swift Guad. « La paperasse, ça prend la tête à un artiste. Il se charge de tout ça et moi je me charge de la musique », explique-t-il. Trouver la salle, gérer la logistique pour s’y rendre, le bookeur assume tout. En échange il prend un pourcentage sur le cachet de Swift, qui est intermittent du spectacle.
Intermittent du spectacle
Certains artistes comme Swift Guad choisissent le statut d’intermittent du spectacle. Le principe : sur chaque cachet, Pôle Emploi prend une part. Mais si l’artiste obtient 43 cachets dans l’années (ou 507 heures) il est indemnisé même lorsqu’il n’est pas en tournée. Ce système leur permet notamment de conserver un revenu lorsqu’ils préparent un album.