Waleed Aboudipaa est l’une des rares voix francophones à Gaza. Prof de français et associatif, il partage sur Facebook le quotidien des Palestiniens.
Au loin, plusieurs explosions. Muni de son smartphone, Waleed Aboudipaa filme la scène avant de publier la vidéo sur son compte Facebook. En description, il explique : « ll y a 30 minutes, les raids aériens israéliens viennent de bombarder un site dans le sud de Gaza, malgré l’accord de cessez-le-feu ». À 34 ans, l’humanitaire est l’une des rares sources d’information francophone dans la bande de Gaza. Son compte Waleed Abu Dbaa regorge de vidéos et de photos qu’il réalise lui-même. Il partage aussi des contenus de médias locaux, qu’il traduit. Le Palestinien est professeur de français. Une aubaine pour les francophones qui suivent le conflit sur internet, comme pour les ONG. Dominique Santa Maria est présidente de l’association culturelle Essor, et a voulu travailler avec Waleed :
« C’est quelqu’un de très engagé, de confiance et très proche des Gazaouis ».
« Des gens meurent. Les snipers israéliens tirent sur les enfants et les personnes âgées. Moi je vois tout ça. » Installé à Lille depuis deux mois, il prend aujourd’hui le temps de raconter son engagement. Au téléphone, il explique que sa famille est originaire de Barbara, une ville désormais israélienne qui porte le nom d’Ashkelon. Ils se sont ensuite installés à Rafah, au sud de Gaza. « Il faut que l’on montre ce qui se passe à Gaza, dans le plus de langues possibles. »
Résistance pacifique
Waleed a commencé à traduire des articles écrits en langue arabe vers le français il y a 12 ans, en 2008. En parallèle, il se met à publier ses propres témoignages vidéos. Le Gazaoui constate rapidement un engouement. « C’est la première fois que je trouve quelqu’un qui donne un regard sur la situation sur place en français », commente Megan, une de ses abonnées qui s’intéresse beaucoup au conflit. Le streamer dit compter près de 4.800 followers sur Facebook. Une communauté modeste mais fidèle, qui se réjouit qu’un habitant sur place diffusent des éléments dans une langue qu’ils comprennent.
Des liens se tissent. « Mes amis francophones m’ont encouragé à créer une association pour aider le peuple palestinien. » En plus de son travail de documentation, il fonde l’association Tabassam, en 2014. Il crée le premier jardin d’enfants francophone, pour les orphelins ou des familles sans ressources. L’asso assure des cours aux enfants de Gaza. La structure fournit aussi de l’eau potable, des vêtements et des colis alimentaires avec minimum deux repas hebdomadaires. Des dons du monde entier leur parvient, dont bon nombre de pays francophones. Aujourd’hui, Tabassam est reconnue par le ministère de l’Éducation et le ministère de l’Intérieur palestinien :
« J’essaie de ne pas publier que des images de destructions et de montrer l’autre visage de Gaza. Avec les enfants et comment on peut les aider. J’essaye de montrer le côté humain et humanitaire. »
« J’ai perdu mon frère »
Le professeur commence ses premières actions humanitaires avec son frère, à la demande des internautes. « C’était de la distribution de colis alimentaires pour ceux qui perdaient leur maison. C’est le moment où j’ai perdu mon frère et mon neveu. » Entre juillet et août, les frappes de drones israéliens s’intensifient suite à une montée des tensions sur place. À l’époque, le drame est médiatisé par France 24, qui interviewe Waleed. Avant d’être oublié. « Ça m’a donné beaucoup de courage et beaucoup de force pour continuer et pouvoir montrer l’injustice contre les Palestiniens gazaouis. Je veux dire la vérité. »
En dehors de sa page personnelle, il poste du contenu sur des groupes sensibles au sort des Palestiniens. En général, les retours sont positifs, plein d’amour : « Waleed je t’admire pour tout ce que tu fais dans un contexte qui n’est pas facile », « Fière de toi, de ton courage et de ta tenacité », « Tu es le meilleur porte-parole de Gaza », écrit en commentaires sa communauté. Quelques fois, le streameur rencontrent certains pro-israéliens, qui nient la véracité de ses contenus. Waleed les bloque dans la minute. « Je n’ai pas le temps, parce que je connais la réalité du terrain. »
Partir pour mieux revenir
Cette année, Waleed a quitté Gaza pour la France. Le professeur fréquente les bancs de l’université de Lille. « Il y a de la sécurité, de l’eau et de l’électricité sans coupure. Bon, ici il fait froid, ce n’est pas le climat de la Palestine. Ça me fait du bien mais mon coeur est triste. »
Il a le manque du pays et de sa famille. Il rêve de devenir docteur en langue française, mais loin de lui l’idée d’abandonner son pays et sa cause. Waleed voudrait travailler à l’université de français d’al-Aqsa où il a étudié. « Ce n’est pas facile mais je dois retourner à Gaza pour améliorer l’enseignement du français, car le peuple gazaoui a besoin de cette langue. » Son association Tabassam est toujours active, et le Palestinien multiplie les projets et les partenariats.
Article réalisé en partenariat avec le Master Journalisme de Cergy-Pontoise