« Faut-il arrêter de manger les animaux ? », docu consacré aux alternatives à l’élevage intensif a déjà été projeté plus de 100 fois. Mais le président de l’agglo de Château-Thierry juge le titre « provocateur ». Il a donc décidé d’empêcher sa diffusion.
Au téléphone, le réalisateur Benoît Bringer ne comprend toujours pas. Depuis sa sortie il y a un an et demi, le documentaire « Faut-il arrêter de manger les animaux ? » est régulièrement diffusé en public. Dans le cadre d’Alimenterre – un festival organisé chaque année d’octobre à fin novembre – il est projeté dans plus de 130 lycées, médiathèques ou centres culturels. Sauf que la communauté d’agglomérations de Château-Thierry (CARCT), dans l’Aisne (02), vient d’annuler la projection-débat de ce documentaire, qui devait avoir lieu le 22 novembre dans la ville de Fère-en-Tardenois.
C’est l’Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) locale qui s’est occupée de programmer le docu. « Il y a un mois et demi, on a décidé de participer à Alimenterre, comme on le fait chaque année », rembobine Benoît Périn, le président de l’Amap. Cette année, les membres de l’asso ont à leur disposition une salle de l’agglomération. Ils décident d’y projeter le docu de Benoît Bringer. « J’ai envoyé les liens du film, la communication et l’affiche il y a un mois et demi à l’agglo qui a tout validé », détaille Benoît Périn. Jusqu’ici tout va bien. Sauf qu’il y a une dizaine de jours, la directrice du centre culturel l’appelle pour l’informer que le titre du docu « dérangeait » :
« Je réponds que c’est un film qui a été primé et sérieux. Ça m’a étonné, je suis resté sur mes positions. »
Un docu consacré aux alternatives à l’élevage intensif
Samedi 16 novembre, le couperet tombe. La responsable com’ de l’agglo contacte l’Amap pour les informer de l’annulation de la projection-débat. L’association comme le réalisateur sont sidérés. Benoît Bringer n’hésite pas à parler de « censure ». « Ça me choque profondément. C’est la première fois que je suis confronté à ça. Je n’ai jamais eu un documentaire qui a été interdit de passer quelque part. C’est une atteinte à la liberté d’expression et au débat nécessaire dans une démocratie, au niveau local », explique le journaliste. L’homme a pourtant mené avant le volet français de l’enquête sur les Panama Papers, récompensée par le Prix Pulitzer en 2017 – la plus haute distinction d’un travail journalistique.
Pour faire son documentaire consacré aux alternatives à l’élevage intensif, qualifié « d’équilibré » par les critiques, Benoît Bringer a parcouru le monde pendant six mois, à la rencontre de ceux qui pratiquent une agriculture plus respectueuse de la nature et des animaux. Il a remporté le prix du public au Figra 2019 (Festival international du grand reportage d’actualité et du documentaire de société) et le prix de l’environnement au festival international nature de Namur en 2018.
Un titre qui dérange
Au sein de l’agglomération, on plaide le « dysfonctionnement interne ». « On n’a pas été prévenu que ce film avait été choisi », annonce Rosalie Becquet, la directrice de cabinet du président de l’agglo Etienne Haÿ. Le film n’aurait pas été accepté sinon car le titre – présenté comme « très provocateur » dans le communiqué – « a énormément gêné le président », confie Rosalie Becquet. L’intéressé n’a pourtant pas vu le film. « C’est le fait qu’il y ait l’utilisation du mot « animaux » à la place du mot « viande ». Ça joue beaucoup », explique-t-elle. Le titre va même, selon le communiqué de presse, à l’encontre « des principes en place dans la collectivité : l’ouverture d’esprit, le dialogue, sans parti pris ».
« Ce n’est pas comme s’il était scandaleusement impertinent », répond Benoît Bringer, dubitatif. D’autant que l’Amap et Benoît Périn voulaient « ouvrir le débat » durant la projection :
« J’avais prévu de faire venir quelqu’un de la chasse et de faire parler des gens qui mangent de la viande. C’était l’occasion de dire qu’on consomme de la viande autrement, peut-être moins mais mieux. »
Faire plaisir au monde agricole
L’agglomération évoque également un contexte actuel « très polémique ». Elle cite dans son communiqué de presse les « effractions quotidiennes dans les élevages français », la « mise en avant de dérapages individuels sur les conditions d’élevages » ou « un monde agricole en grande souffrance ». Au téléphone, la directrice de cabinet Rosalie Becquet précise qu’il n’y a jamais eu « d’attaques » sur le territoire de l’agglo mais que le sujet revient dans les débats. La communauté d’agglo travaille « avec des producteurs et pour le président c’était se les mettre à dos. Il ne voulait pas se mettre sur quelque chose de clivant », confesse la directrice de cabinet.
Des raisons qui ne convainquent pas le réalisateur du docu : « Je viens de Lozère, j’ai côtoyé des agriculteurs qui ont toujours eu du mal. Le film n’a pas posé de problèmes là-bas ». Quant à Benoît Périn, le président de l’Amap, il ne voit pas d’argument « qui fait dire que le contexte local est sensible » :
« Je pense qu’il y a un problème ailleurs, ce n’est pas dans le style dans notre secteur de faire les choses comme ça habituellement. »
Ce dernier veut croire à un happy end et un changement de posture de l’agglo. Peine perdue selon Benoît Bringer. « Ils m’ont dit qu’il n’y aura pas de réexamen de la situation », détaille ce dernier, qui a du mal à s’expliquer « cette position ferme » :
« Si on ne peut même pas diffuser quelque chose de positif, comment on peut impulser un changement ? »
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