Menaces de morts, appels à la haine ou au viol. Sur les pages Facebook de soutien à Eric Zemmour, ses fans déversent des milliers de commentaires haineux. StreetPress s’est plongé dans la « Zemmourosphère ».
Claude Sinké était un fidèle supporter d’Eric Zemmour, au point de lui écrire des mots doux en octobre 2014 sur la page Facebook « Le blog de ceux qui aiment Eric Zemmour ». La page est désormais indisponible et Claude Sinké est en prison pour avoir tenté d’incendier une mosquée à Bayonne le 28 octobre dernier et tiré sur des fidèles. Un attentat qui a fait deux blessés par balle.
Sur le réseau social, une dizaine de pages regroupent au total près de 75.000 fans : Touche pas à Zemmour, Z comme Zemmour, Eric Zemmour, Eric Zemour… Toutes postent les saillies du polémiste d’extrême-droite. À chaque fois, des dizaines voire des centaines de groupies commentent. Les compliments et les remerciements s’y bousculent.
Il s’y exprime aussi toute sorte de discriminations : islamophobie, LGBTphobie, sexisme. Des centaines de commentaires qui tombent sous le coup de la loi : incitation à la haine, appels aux meurtres et à la guerre de religions. Depuis que le polémiste distille quotidiennement sur CNews ses sorties racistes, leur nombre a explosé. Le tout contribue à « un climat de haine et à une normalisation, car Zemmour n’invente rien, il normalise des idées qui existent déjà », détaille Nicolas Lebourg, spécialiste de l’extrême-droite.
Peu de polémistes ou d’hommes politique ont d’ailleurs réussi à libérer autant la parole tout en ayant un tel écho médiatique :
« Le seul avec qui ça serait comparable serait Jean-Marie Le Pen. Dans sa capacité à normaliser des idées normalement trop radicales dans l’espace public, je ne vois que lui et Le Pen à être arrivé à ce stade-là ».
StreetPress s’est plongé dans la « Zemmourosphère » et a épluché un an de publications sur ces pages.
Une petite dose d'homophobie. / Crédits : Capture d'écran de Facebook
« Les Allemands avaient la franchise de nous envahir »
Sous un sondage lancé par la page Touche pas à Zemmour – demandant si Zemmour devrait s’investir en politique –, beaucoup d’internautes n’hésitent pas à verser dans le racisme. « Zemmour comme Mateo Salvini. Il ne faut plus ni de réfugiés, ni d’immigration. Et renvoyer la majorité des musulmans dans leur bled et la France s’en portera mieux », écrit l’un.
« La gangrène ». / Crédits : Capture d'écran de Facebook
« Prêts à bondir le jour “J” » / Crédits : Capture d'écran de Facebook
Le racisme décomplexé. / Crédits : Capture d'écran de Facebook
Une bonne partie des commentateurs adhèrent à la théorie complotiste du « grand-remplacement » de l’écrivain d’extrême-droite Renaud Camus. Comme celui-ci :
« Ils nous ont eu par la racine. Au moins, les Allemands avaient la franchise de nous envahir, point ! Des décennies à se faire passer pour des victimes. Dès qu’on dit quelque chose, on est raciste ».
« Au moins, les Allemands avaient la franchise de nous envahirent ». Oui oui. / Crédits : Capture d'écran de Facebook
« Vivement une dictature sélective ». / Crédits : Capture d'écran de Facebook
Une autre de leur cible favorite : les femmes voilées. « Se convertir pour s’habiller en sac poubelle noir. Chier des gosses que l’on laisse dehors pour apprendre à vendre de la drogue et attaquer au couteau. » À la suite d’un commentaire qui parle de la piscine municipale de Clichy-sur-Seine « réservée aux femmes musulmans exclusivement », une personne propose radicalement : « Une bombe ».
Fake news et appels aux meurtres. / Crédits : Capture d'écran de Facebook
« Cafards nuisibles ». Toujours plus loin dans la haine. / Crédits : Capture d'écran de Facebook
Des insultes incessantes contre les « collabos »
Les groupies d’Eric Zemmour n’hésitent pas à reprendre le terme de « collabo » que leur gourou utilise. Comme lors d’une passe d’arme sur LCI avec Maurice Szafran, ancien PDG de Marianne. « Vous allez bientôt me dire que les pro-immigrations et pro-islam sont des collabos », lance ce dernier. « C’est exactement ce que je pense », estime le Z.
Dans les commentaires, ça se lâche : « Espèce de collabo de merde […] Un traître à la nation, anti-occident et pro-musulman », éructe l’un sur Szafran. D’autres partent volontiers sur le point Godwin. « Cela me rappelle ceux qui ont soutenu Pétain et les Allemands. Ceux qui soutiennent l’immigration sont des nazis d’importation. Ils paieront plus tard leur humanité débordante », menace une femme. « Tous les bobos islamogauchistes orduriers, un jour vous paierez pour votre trahison à la France », crache encore un autre. Un commentaire liké 90 fois.
Les détracteurs de Zemmour sont des traîtres et des collabos selon ses fans. / Crédits : Capture d'écran de Facebook
Un peu plus loin, sur un autre post – une interview d’I24 News qui reprend une citation de Zemmour : « L’islam est en train de coloniser l’Europe chrétienne » – certains inventent même de nouveaux concepts :
« Comme à la Libération, il va falloir faire un écrémage très sérieux des éléments collaborationislamistes. »
Le reste n’est guère plus reluisant : « Il va falloir un jour arrêter de chialer et nettoyer cette merde » ; « Les Français ne voient pas ou ne veulent pas voir l’islamisation de la France. Désormais les dés sont jetés. A moins que… Mais c’est nous qui avons ce pouvoir dans les mains ». Une femme raconte également que sa voisine « robeu » – comprendre arabe – lui pose problème :
« Si elle n’est pas contente la bouffeuse de couscous, qu’elle déménage, parce que je vais lui faire la misère quand son rejeton va naître, elle va connaître la perceuse celle-là. »
Qui sème l'islamophobie récolte les appels au meurtre et au « nettoyage ». / Crédits : Capture d'écran de Facebook
Une envie de massacre
L’interview pour I24 News est également postée sur une autre page de soutien à Eric Zemmour. « Eric Zemmour parle des problèmes avec l’islam en France, du regroupement familial dans les années 70, qu’une guerre est inévitable et qu’elle sera sanglante », écrivent les auteurs de la page. Les fans du polémiste abondent. « Elle est en marche cette guerre identitaire […] Un conflit majeur est latent et dans le même temps un conflit civil identitaire. Et j’ose aller jusqu’à dire que c’est une absolue nécessité ! », débute l’un. « Il ne reste plus que l’armée pour sauver la face », affirme un autre, qui se voit répondre : « Bien d’accord avec vous, il ne faudrait pas tarder ».
La guerre civile vue comme une « absolue nécessité ». / Crédits : Capture d'écran de Facebook
Chez les fans du Z, on « prend les armes » depuis treize mois « contre ce gouvernement, entre autre ! ». / Crédits : Capture d'écran de Facebook
Leur problème : les quartiers ! « Si on avait eu le courage politique d’envoyer la légion, le problème serait réglé depuis longtemps. Ils ont tous peur de prendre cette décision depuis 40 ans », écrit un homme. « Toutes les grandes banlieues sont gangrenées. Il serait plus facile de vivre la peste que ces gens », lance également une femme en complétant son propos d’une animation d’un homme qui tire en rafale. Sous son commentaire, une autre personne estime qu’il « va falloir se battre pour récupérer son pays et le plus tôt sera le mieux »
Dès que le polémiste fantasme sur « l'islamisation » de la France, les commentaires haineux affluent. / Crédits : Capture d'écran de Facebook
Sous le post de l’interview à BFM TV, un internaute appelle à « exterminer les banlieues des racailles ». Sur le mur de cet homme, les incitations à la haine raciale sont nombreuses. « 40 ans que je dis qu’il faut exterminer cette putain de religion… », écrit-t-il accompagné d’un post d’un site complotiste suisse qui raconte que 100.000 enfants sont liés à l’État islamique. « Les cassos français de papier. Boummm une balle dans la tête. Point… » lâche-t-il encore avec un lien qui n’est pas visible. Le terme « Français de papier » est une notion liée à la thèse d’extrême-droite du « grand remplacement » pour le chercheur Jean-Yves Camus, en opposition aux Français de souche. Des propos qui, comme les autres, représentent une incitation à la haine raciale, un délit puni par la loi d’un an d’emprisonnement et de 45.000€ d’amende. La provocation au terrorisme est punie, quant à elle, d’une peine de 7 ans de prison et 100.000€ d’amende.
Sur le mur d'un des fans de Zemmour, on partage des fake news et on appelle à tuer des Français. / Crédits : Capture d'écran de Facebook
Et lorsque la page Touche pas à Zemmour publie un article du magazine d’extrême-droite Valeurs Actuelles qui présente les « réactions de joie scandaleuses à l’incendie de Notre Dame » en avril, les appels aux meurtres pleuvent. « À moins d’une Saint-Barthélémy… », répond une femme, en faisant référence au massacre du 16ème siècle qui a vu l’assassinat de dizaines de milliers de protestants par les catholiques.
Appels aux meurtres et incitations à la haine raciale, épisode 5876. / Crédits : Capture d'écran de Facebook
Enfin, sous une chronique d’Eric Zemmour en septembre au Figaro, où il parle de la « grande lueur dans l’est de l’Europe », un de ses fans se contente d’écrire : « Vive Poutine… Atomise nous avec tes missiles dernières générations, j’en peux plus des Gilets jaunes et des migrants… »
Des patriotes, des vrais, qui demandent à la Russie d'atomiser la France. / Crédits : Capture d'écran de Facebook
Si Claude Sinké a attaqué une mosquée à Bayonne, ce ne sera fort heureusement pas le cas de tous les groupies de Zemmour malgré les nombreuses incitations à la haine, précise le spécialiste de l’extrême-droite Nicolas Lebourg. Selon lui, ces pages auraient presque un effet cathartique. « Si vos propos radicaux et durs ont un espace public, vous aurez tendance à retenir votre capacité de violence », explique-t-il. Et donc de passages à l’acte.
Des appels à la violence ciblés
La Zemmourosphère n’aime pas les musulmans, les migrants, mais aussi les opposants de leur tribun. Lorsque la journaliste Nathalie Levy contredit Éric Zemmour sur BFM TV, les insultes, mais aussi les appels au viol et au meurtre s’enchaînent :
« J’adorerais la voir en minijupe et se faire cracher au visage, même violer cette garce ». « Grosse pute collabo, à faire pendre cette pseudo-journaliste ».
Pour avoir contredit Zemmour, ses fans appellent à violer et pendre la journaliste Nathalie Lévy. / Crédits : Capture d'écran de Facebook
Mêmes propos haineux après un débat entre Zemmour et l’ancien député européen Daniel Cohn-Bendit ou l’humoriste et animateur Yassine Belattar, tous deux des soutiens d’Emmanuel Macron. « Cette crevure pédophile ne mérite rien d’autre que la souffrance et la mort », écrit un homme sur le premier, en faisant référence à certaines de ses anciennes déclarations.
Cohn-Bendit ne mérite, selon eux, « que la souffrance et la mort ». / Crédits : Capture d'écran de Facebook
Pour Yassine Belattar, les propos sont encore plus violents. « Crève enculé », lance un homme. Un autre est plus prolixe : « Mais nom de Dieu, que font les barbouzes des services de nettoyage de la raison d’état, si prompts à organiser des suicides, des accidents de moto, des noyades et autres parfois si grossièrement sujet à caution que s’en est lamentable d’amateurisme ? ». Le message est accompagné d’une illustration de la Faucheuse. « Chante, chante « Bel Moktar »… Certains s’occuperont de ton cas en temps et en heure », menace un dernier.
Contre Yassine Bellattar, les menaces sont totales : « Crève enculé ». « Mais que font les barbouzes ». / Crédits : Capture d'écran de Facebook
Toujours du racisme contre Bellattar. / Crédits : Capture d'écran de Facebook
Contacté sur ces pages et marques de soutiens, Eric Zemmour s’en lave les mains. « Je ne contrôle rien et je ne lis rien », a-t-il sobrement répondu par SMS.
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