Depuis le 12 juin dernier, le téléphone du journaliste Taha Bouhafs est entre les mains de la police. Ce mardi, au TGI de Créteil, on discutait d’une éventuelle restitution. L’ambiance était tendue.
Verdict
Ce mardi 12 novembre, le tribunal a rendu son verdict. Le journaliste Taha Bouhafs va enfin pouvoir récupérer son téléphone. Sur Facebook, ce dernier s’est engagé à « mettre en ligne la vidéo de [son] interpellation, pour que chacun puisse apprécier le professionnalisme de la BAC du 94 ».
Tribunal de Grande Instance de Créteil (94) – « Je n’ai jamais vu ça en 16 ans de carrière. » À la barre, maître Alimi ne cache pas son mécontentement, ce mardi 5 novembre. Il défend le journaliste Taha Bouhafs, qui s’est fait confisquer son téléphone par la police alors qu’il réalisait un reportage, le 12 juin 2019.
L’audience doit porter sur la restitution du portable, mis depuis sous scellés, avec lequel il filmait ce jour-là. Mais dix jours plus tôt, l’avocat reçoit un mail de la présidente, lui proposant de juger plutôt le fond de l’affaire, pour « trouver une issue rapide », explique-t-elle. « Je n’ai pas répondu à ce mail car c’est une demande non-recevable et anti-déontologique », assure-t-il.
En juin dernier, Taha Bouhafs couvre l’occupation du centre Chronopost d’Alfortville par des travailleurs sans-papiers pour le média Là-bas si j’y suis. Il est pris à partie par des policiers, mécontents de le voir filmer. Violemment interpellé, il est placé en G.A.V pendant 24 heures et poursuivi pour « outrage et rébellion sur personne dépositaires de l’autorité publique ». « C’est faux, je n’ai rien fait », répond simplement l’intéressé, qui est sorti de l’interpellation avec une épaule démise et des ecchymoses au visage. Des violences policières dont il existerait des preuves… Sur le portable mis sous scellés.
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Droit des journalistes
Taha Bouhafs doit être jugé le 25 février 2020. Hors de question d’avancer le jugement à ce jour pour la défense, qui souhaite exploiter les vidéos de l’interpellation pour le procès. La proposition refusée, l’avocat débute sa plaidoirie. « Je vais être long », prévient-il. Rapidement, la présidente le coupe et lui demande de s’écarter du micro. « C’est trop fort, je ne vais pas pouvoir vous suivre jusqu’au bout. » « Je ne suis pas la personne qui gère le son », répond-il du tac au tac. Daniel Gentot, venu représenter le Syndicat National des Journalistes (SNJ), est atterré. Assis dans le public, il s’insurge : « Elle invente n’importe quoi pour déstabiliser l’avocat, c’est hallucinant. C’est la première fois que je vois autant de refus à faire appliquer la loi ».
Selon lui, comme maître Alimi, ce téléphone n’aurait jamais dû être saisi. S’il n’est ni un danger pour autrui, ni un instrument utilisé dans une infraction, ni une arme, il n’y aucune raison de le mettre sous scellés. D’autant plus lorsqu’il s’agit de l’outil de travail d’un journaliste, protégé par le secret des sources. L’iPhone contient tous les contacts et échanges du journaliste. « Les policiers et le ministère public ont eu recours à des modalités de perquisitions illégales », assène l’avocat, avant d’être brutalement coupé par la greffière, qui pointe du doigt notre confrère Nnoman, photojournaliste indépendant. « Le portable est interdit », beugle-t-elle. Sauf pour les journalistes, qui selon l’usage sont habilités à restituer ce qui se passe dans les salles d’audiences, par exemple sur Twitter. Nnoman, qui a pourtant décliné plus tôt sa qualité de reporter, est enjoint à ranger son téléphone par la Présidente, qui ne souhaite rien entendre. Arié Alimi reprend :
« Je disais, c’est la première fois, en France, qu’on restreint ses droits à un journaliste de la sorte. Et nous venons d’en avoir un exemple express à l’instant. »
Présente également dans la salle d’audience, Anne-Sophie Simpere – d’Amnesty International – s’inquiète de la pression exercée sur les journalistes qui couvrent les mouvements sociaux. « Taha Bouhafs est un cas assez exceptionnel, qui représente toutefois les problèmes que rencontrent actuellement la profession. On reçoit de plus en plus de témoignages de pressions et de violences par les forces de l’ordre. »
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Arié Alimi conclut en rappelant que son client a, par son intermédiaire porté plainte pour « obstruction de la vérité », « faux et usage de faux » – dans le procès-verbal des fonctionnaires de police –, et « violences par une personne dépositaire de l’ordre public ».
La procureure rappelle, elle, que le téléphone a été saisi dans le cadre de la procédure pour « outrage et rébellion » : « Il a été placé sous scellés pour permettre à votre juridiction de visionner les images ou de faire diligenter un expert pour les visionner. » Quant à savoir si Taha Bouhafs doit récupérer son téléphone, le ministère public ne se mouille pas et préfère s’en remettre à la sagacité du tribunal. Le délibéré sera rendu le 12 novembre.