De 2012 à 2018, le photographe Yves Monteil a immortalisé la militarisation de l’espace public à Nantes et à Notre-Dame-des-Landes. Il en a sorti un ouvrage photographique qui revient sur les différentes luttes, de la ZAD aux Gilets jaunes.
Photographe depuis plus de dix piges, Nantais depuis le double, Yves Monteil a réalisé un travail de six années au sein de la capitale des Ducs de Bretagne. À travers le bocage ou les rues pavés, il revient sur la militarisation de l’espace public dans son premier ouvrage : Police, paysages et résistances. Ce livre illustre également les nombreux mouvements qui sont venus jalonner la région et les violences policières qui les ont accompagnés, de Notre-Dame-des-Landes au plus récent mouvement des Gilets jaunes.
Yves Monteil a commencé à réfléchir à cet ouvrage «quand le média alternatif pour lequel je travaillais s’est arrêté en 2015», explique-t-il. Le photographe s’est alors entièrement consacré à l’idée de ce livre. Auto-édité, cet ouvrage a été soutenu par une campagne de financement participatif qui a réuni près de 300 contributeurs.
StreetPress publie l’avant-propos de Police, paysages et résistances, par Mathieu Rigouste
L’imaginaire aussi est un champ de bataille. La production dominante des images et du récit participe à la reproduction du carnage. Mais en retournant le dispositif, en le renversant, il est possible de fabriquer des images-outils pour décortiquer le pouvoir, cartographier les dominations sur le temps long et jusque dans l’architecture de la vie quotidienne.
Ferme des 100 noms, Notre-Dame-des-Landes, 9 avril 2018. / Crédits : Yves Monteil
Dans les rues et quartiers populaires des villes, dans les nœuds des réseaux de transport, mais aussi dans les zones rurales ou les centres-villes branchés, des régimes de contrôle militaro-policiers structurent et produisent les paysages de l’ère sécuritaire. Gouverner devient aussi réagencer, moduler, tester, déployer, réintègrer, expérimenter des dispositifs de pouvoir. La société sécuritaire se déploie comme chasse mais elle poursuit et capture différemment selon le statut de ses proies. Elle réserve sa férocité aux pauvres, aux illégalisé.e.s, aux non-blanch.e.s, aux révolté.e.s et aux révolutionnaires. La police surveille, contrôle, poursuit, frappe, mutile et tue à la manière dont les classes dominantes se comportent historiquement avec les classes dominées et avec tout ce qui les menace. La police distribue la brutalité des classes dominantes et les formes de sa violence décrivent des schémas de société.
Mur dans lequel est venu s'encastrer la voiture d'Aboubacar Fofana, mort après avoir été touché à la carotide par le tir d'un CRS lors d'un contrôle routier. Le brigadier prétendra avoir tiré en état de légitime défense avant de se rétracter affirmant avoir menti et tiré par erreur. 4 juillet 2018 / Crédits : Yves Monteil
Comme une clé d’étranglement, la police cherche à asphyxier des formes de vie, des désirs de résistance ou des capacités de s’entraider. Comme un nuage de gaz, la logique sécuritaire envahit toutes les dimensions de l’espace, elle colonise tous les aspects de la vie quotidienne, du plus local au plus global. Elle se saisit aussi des temporalités, elle cherche à prévoir, prévenir, prédire, elle accélère des dynamiques répressives, suspend le temps, à l’intérieur de nasses, de cellules et de camps. Féroce et ridicule, empêtrée dans ses armures, vautrée dans son mépris, plus elle cherche à nous identifier, ficher, connaître, plus elle se dissimule, se masque et interdit même qu’on nomme sa violence. Plus elle s’arme et plus elle travaille à nous désarmer, à nous empêcher de nous défendre, et même jusqu’à nous priver de moyens de nous protéger.
Un CRS vise avec un LBD40 un manifestant, au milieu de badauds nassés. Jour d'une manifestation en soutien aux cheminots, à la fonction publique et contre les expulsions en cours sur la ZAD. 14 avril 2018. / Crédits : Yves Monteil
Elle cherche à défoncer nos rêves et nos espoirs comme elle détruit des campements, des cabanes, des barricades et des quartiers. Elle cherche à construire des sujets sécuritaires, consentant, désirant le contrôle, heureux de pouvoir y participer. Elle est caméra, drone mais aussi interphone et mobilier urbain de prévention situationnelle. Au centre de l’expansion des métropoles impériales, la police se confond avec l’urbanisme mais elle encadre aussi les campagnes, les montagnes, les rivages ou les forêts. Ici et là, elle reste pourtant impuissante à nous empêcher d’y reconstruire et d’y abriter sans cesse des contre-attaques.
Manifestant se protégeant d'un lanceur d'eau et des gaz lacrymogènes, lors du plus grand rassemblement anti-aéroport. 22 février 2014. / Crédits : Yves Monteil
Le territoire est produit par les forces qui s’y affrontent au long de l’histoire. Pour le libérer, les (p)artisan.ne.s ont besoin de produire leurs outils et leurs armes. Il y a dans les images, des moyens de montrer comment des formes de pouvoir, des dynamiques d’accumulation de profits, des rapports de dominations structurent l’ensemble du monde vécu. Il y a là encore de quoi montrer comment les schémas de contrôle, de surveillance et de répression sont régulièrement contournés, détournés, mis en échec ou sabotés. De quoi faire des plans pour s’enfuir ou pour faire sauter la maison du maître.
Des manifestants cherchent à retarder l'avancée des forces de l'ordre lors d'une manifestation contre la loi Travail. 31 mars 2016. / Crédits : Yves Monteil
Membres d'une compagnie départementale d'intervention lors d'une manifestation contre la Loi Travail. Aux intersections des rues, des manifestants, équipés de boucliers, protègent le cortège d'éventuelles actions des forces de l'ordre. 31 mars 2016 / Crédits : Yves Monteil