Les habitants du Foyer Saint-Ouen géré par l’Adef, en situation précaire, vont être expulsés en octobre 2020. Ils rejettent en bloc la solution de relogement proposée par l’Adef qu’ils jugent indigne.
« On va être parqués dans des bungalows. Ils nous prennent pour des animaux ! » Aboubacar Diallo reste sous le choc. Lui, comme plus de 300 personnes, vivent dans le foyer de travailleurs de Saint-Ouen. Mais depuis le 25 mars 2019, ils savent qu’ils vont être relogés dans des bungalows. En effet, l’Adef, l’organisme gestionnaire du foyer, cède le terrain à Solideo pour les JO 2024, entraînant la destruction du bâtiment en octobre 2020, au profit d’un village olympique flambant neuf. « On a appris, jeudi 20 juin, qu’on y resterait trois ans », raconte Aboubacar, le délégué des habitants. Aucun des locataires ne s’imagine vivre autant de temps dans « ces conditions indignes ». Mais tous se sentent impuissants face à cette menace d’expulsion. Travailleurs ou non, avec ou sans papiers, ils sont originaires d’Afrique et en situation précaire. Aboubacar Diallo résume :
« On n’a aucune marge de négociation. Si on refuse, on sera expulsés manu militari par la police. »
« On veut être respectés »
Aboubacar Diallo est originaire du Mali. Arrivé en France en 1993, il a enchaîné les jobs d’ouvriers, une fois électricien, une autre maçon ou peintre. Voilà 16 ans qu’il habite au Foyer Saint-Ouen. Et cela fait 6 ans que sa demande de logement social n’aboutit pas. Il reste donc dans sa chambre de 11m2 qu’il paye 458 euros. « On vit en collectivité, on partage les repas. » Tout le monde le connaît dans le bâtiment. Souriant, il serre la main et écoute les problèmes de tout le monde. Une des raisons pour lesquelles il a été élu pour représenter les habitants auprès des autorités. Dans son regard bleu se lit la fatigue. Celle de gérer une situation critique. « Le 25 avril, l’organisme parlait de nous reloger dans des bâtiments modulables. On espérait quelque chose de bien. » Mais leurs espoirs ont été douchés. Ce sera des bungalows. « Jeudi, on a eu une photo de l’intérieur, mais pas de l’extérieur, on ne nous a rien dit ! »
Aboubacar Diallo est le délégué des habitants. / Crédits : Marta Sobkow
L’Adef leur a toutefois promis que deux nouveaux foyers, tout neufs, pourront les accueillir d’ici 2023. Les nouveaux bâtiments seront situés rue Pierre et boulevard Michelet, chacun d’une capacité de 150 places. Mais aucune date précise n’a pour le moment été annoncée.
Un projet de village olympique décrié
Depuis plusieurs années, les projets d’urbanisme pour les JO en Seine-Saint-Denis font jaser. Le foyer fait partie de la zone prévue pour construire le village olympique. L’objectif : 2.400 logements et 119.000 mètres carrés d’activités, bureaux, équipements et services. Il devrait sortir de terre d’ici septembre 2023, dix mois avant le coup d’envoi de la compétition internationale, et s’étendra sur un rayon de 500 mètres.
Une toute petite zone, qui aurait pu contourner le foyer pour éviter sa destruction, comme le préconise un rapport de l’Inspection générale des Finance (IGF), datant de mars 2018. Il explicite : « Toute solution non satisfaisante pour les occupants […] pourrait être considéré comme une “expulsion”. »
Face aux élus enthousiastes, des citoyens tirent également la sonnette d’alarme et dénoncent le coût financier et humain de cette opération. « C’est honteux de détruire un foyer […] pour un site olympique. » dénonce Matthieu Glaymann sur StreetPress. La revue Frustration met directement en cause les bénéfices de cette opération : « Le citoyen est une vache à lait. Et l’argent public sert à démultiplier les bénéfices du secteur privé ». Depuis la première annonce des travaux, le Comité de vigilance JO 2024 Saint-Denis milite également contre le projet, y compris la destruction du foyer.
Des conditions de vie déplorables
Depuis l’annonce du relogement dans les bungalows, Aboubacar Diallo s’active comme il peut. Dès qu’il en a l’occasion, il parle à la presse. Un problème pour l’Adef, d’après ses dires : « On m’a demandé d’arrêter ». Mais il n’en a que faire :
« Je ne dis que la vérité. »
Une vérité pas toujours facile à avaler. Le représentant des habitants n’hésite pas à dénoncer les conditions de vie d’ores et déjà déplorables dans le foyer : « On a passé l’hiver 2016 sans chauffage ». Il enchaîne avec les problèmes de moisissure, de mauvaise isolation, de cafards. « Ce n’est pas possible qu’on traite des êtres humains comme ça en 2019, dans le pays des droits de l’homme. » Un délabrement général de la bâtisse, qui ne laisse présager rien de bon pour le futur selon lui.
Dans le foyer, les détériorations sont importantes et nombreuses. Là, le plafond d'une salle de bain et le plan de travail d'une cuisine. / Crédits : Marta Sobkow
Indigné, il poursuit : « Le problème, c’est notre statut. On n’est pas des locataires normaux. Par exemple, le gestionnaire a le droit d’entrer à tout moment dans notre chambre, sans qu’on lui en donne l’autorisation. Il donne un mandat permanent à la police. Mais on n’a pas été condamnés, pourquoi est-ce qu’on est traités comme des prisonniers ? ».
Dans le foyer, les détériorations sont importantes et nombreuses. Ici, un meuble de rangement, un système d'aération et un mur d'une cage d'escalier. / Crédits : Marta Sobkow
Les habitants ont bien pensé à occuper le bâtiment. « Le problème, c’est qu’il y a des sans-papiers. » Parmi les 300 résidents officiels, certains accueillent des amis dans leur chambres, dont des sans-papiers. « Une intervention policière les mettrait en danger et il y a toujours un risque de blessés graves, voire de morts. On ne veut pas être jetés dehors, et c’est pour ça qu’on espère que les négociations aboutissent… », explique Aboubacar. Il se souvient qu’il y a dix ans, l’Adef a fait intervenir la police au sein du foyer et interpellé des personnes en situation irrégulière.
L’Adef n’a pour le moment pas donné suite à nos demandes d’interview.
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