Presque dix piges après la mort du dernier fanzine national consacré aux supporters, Gazzetta Ultra' reprend le flambeau (ou le fumi). Une plongée dans le foot populaire.
« Tu vois c’est marrant, pour le fanzine on est en collaboration avec plein de groupes. Je suis en contact avec des ultras avec qui il y a des rivalités sportives », rigole Maël Peyremole, l’un des créateurs de Gazzetta Ultra’. Ce nouveau fanzine trimestriel est dédié à la culture ultra, ces clubs de supporters qui animent les tribunes des stades.
Dans ce pavé de près de 160 pages, de nombreuses photos de tribunes enflammées; une plongée dans les 25 ans des Red Tigers lensois, illustrée par une photo du tifo géant qu’ils avaient créé pour leur anniversaire. Composé de 7.000 feuilles, ballons et drapeaux, ils l’ont préparé trois mois avant, en y bossant « chaque jour, soir et week-end »; des comptes-rendus de matches côté tribunes, comme ce Bilbao-Atlético de Madrid, record d’affluence pour un match féminin européen (49.800 spectateurs !); ou encore une interview sur dix pages des ultras de Toulon, club de quatrième division.
Le récit des 25 ans des Red Tigers, une animation en trois temps qui a été faite le 9 mars dernier. / Crédits : Gazzetta Ultra
Si plusieurs clubs de supporters éditent leurs propres fanzines locaux, il n’existait plus de périodique national du genre depuis 2009 et la disparition de Génération Ultra. L’arrivée de Gazzetta Ultra’ est donc un petit événement dans le monde des clubs de supporters, attaché à cette culture des mags par et pour les fans. Le numéro zéro, tiré à 1.000 exemplaires, vendu 5,50 euros, est parti en quelques minutes. « On ne pouvait pas faire plus car on n’a pas encore les finances et l’imprimerie coûte beaucoup d’argent », explique Maël, le responsable com de l’équipe qui a essuyé quelques critiques. Sur les réseaux sociaux, certains allaient même jusqu’à accuser l’équipe bénévole et auto-financée d’organiser la pénurie par appât du gain. Pour le numéro 1, prévu « entre juillet et août », ils vont en imprimer plus, histoire de tenter de répondre à la demande.
Une équipe de sept ultras
Derrière ce projet, sept habitués des tribunes. Cinq Français, supporters de différents clubs hexagonaux et deux Allemands. La culture du fanzine est très importante de l’autre côté du Rhin. Pour remplir ses colonnes, la petite équipe prend la plume mais fait aussi appel à des supporters de clubs français comme étrangers. D’autres acteurs du milieu ont aussi mis la main à la pâte, comme Sébastien Louis. Cet universitaire spécialiste du supportérisme consacre des articles aux mouvements ultras marocain et italien.
Le derby entre Nîmes et Montpellier, côté Nîmois. / Crédits : Gazzetta Ultra
Le but du fanzine est de fournir « un résumé des trois ou quatre derniers mois en France et des focus sur ce qu’il s’est passé sur la planète ultra », détaille Maël. Sans rester forcément sur le football. Le numéro zéro comporte ainsi un sujet sur un groupe de supporters de hockey suisses et l’un des fondateurs est issu d’un groupe d’ultras d’une équipe de basket. Les créateurs rêvent même de toucher un public plus large : « Si ça prend une ampleur assez grosse, ça ne nous dérangerait pas que des groupes puissent vendre directement le fanzine à monsieur et madame tout-le-monde. Ce serait même génial », commente Maël.
Une véritable (sous) culture
Le supportérisme a toujours été friand de ces magazines réalisés par les passionnés. SupMag, qui n’a tenu que trois ans dans les 90’s, a marqué une génération entière d’ultras. « On a eu plein de commentaires d’anciens qui nous disaient que ça allait leur rappeler le moment où ils allaient acheter leurs clopes et leur fanzine au bar-tabac du coin », raconte Maël. À l’époque, les zines sont légions car ils sont un vecteur de com dans une époque pré-réseaux sociaux. « Ils servaient à recruter des jeunes et à faire connaître la culture ultra auprès des autres supporters parce qu’« ultra », c’était péjoratif. « Ils permettaient de montrer l’envers du décor », se souvient l’ultra de 27 ans, qui a pu compter sur des vieux zines de son groupe quand il a commencé. C’est aussi une manière de conserver l’histoire de ces clubs :
« Ça peut servir dans dix ans, à un jeune qui voudra s’investir ou en apprendre plus sur une tribune. »
Fumis partout, justice nulle part. / Crédits : Gazzetta Ultra
Un site pour tous les répertorier
Populariser la culture fanzine et apprendre l’histoire aux petits nouveaux du mouvement, tels sont les buts du compte 1 jour 1 zine, sur Twitter. Quotidiennement ou presque, il re-publie un fanzine. L’auteur est tombé sur un carton d’anciens mags chez lui et a commencé à les poster sur le réseau : « C’était un peu con de les laisser dans la boîte. Et après, plein de gens m’ont contacté et m’ont envoyé les leurs pour les mettre sur Twitter », rembobine Bruno, un Niçois de 34 ans qui tient le compte. Les fanzines permettent de voir l’évolution du mouvement ultra. Dans « L’avocat du diable », fanzine des Devils Bordeaux, un courrier de lecteur de 2005 critiquait le fait que leur tribune était devenue « le dernier endroit à la mode sur Bordeaux » et que « de plus en plus de personnes » aimaient y aller juste pour s’y prendre en photo et montrer à leurs potes qu’ils y étaient. Un débat qui n’a pas pris une ride. Comme quoi, ce n’était pas mieux avant.
D'habitude je publie pas les courrier des lecteurs car trop perso, mais là il y a un courrier neutre, assez intéressant, que l'on pourrait transposer à notre époque : le fait de venir en tribune et de ne pas s'investir (remplacer par s'afficher sur les réseaux pour être en 2019) pic.twitter.com/B7d5LMgrBW
— 1 Jour – 1 Zine (@1jour1zine) 13 mai 2019
« On a perdu plein d’infos parce que ceux qui ont fait les zines dans les années 90 se sont retirés et ont pris ce savoir avec eux », déplore Bruno. En cause, le creux des fanzines avec l’apparition d’internet. Désormais, les jeunes qui arrivent dans le mouvement ultra « ne connaissent pas forcément l’importance du zine », selon le collectionneur :
« Si personne ne leur en parle, ils n’auront pas envie de s’y mettre et cette culture disparaîtra. Là, très peu de groupes les maintiennent encore. Même les plus gros comme Marseille commencent à lâcher. »
Pour tenter de faire vivre cette culture, il a remis en ligne ses archives sur un site dédié, avec l’aide d’un supporter auxerrois. Bruno et son comparse ont retrouvé plus de 2.200 numéros publiés par 212 « zines ». « Vu que c’est un projet collaboratif, on incite les gens à nous aider à compléter le site, afin que le mouvement ultra ait un vrai musée du zine virtuel et complet », explique Bruno.
Un supporter complètement grillé, lors de Red Star-Dunkerque. / Crédits : Gazzetta Ultra