Les interdictions et restrictions de déplacement sont de plus en plus nombreuses dans le foot français. Pour contourner ces arrêtés, les supporters font preuve d’ingéniosité : alliance avec les supporters adverses, coups de bluff et itinéraire surprise.
Pas facile d’être supporter de foot en France. Depuis des années, les restrictions et interdictions de déplacement se multiplient. Cette saison, plus de 70 arrêtés ont limité la liberté d’aller et venir des fans français. Si les préfectures et le gouvernement prétextent le plus souvent des rivalités pour annuler ou encadrer les déplacements, la mesure a été dévoyée. Les arrêtés invoquent parfois le manque de disponibilité des forces de l’ordre en raison des soldes ou de la Saint-Patrick. Face à ce qu’ils considèrent être des abus et des atteintes à leurs droits, ultras et supporters jouent au chat et à la souris avec les forces de l’ordre.
Depuis 2011, la loi prévoit deux types d’arrêtés. L’arrêté préfectoral interdit le stade et ses abords aux supporters visiteurs. Il oblige également les supporters à se rendre à un point précis pour être pris en charge par les autorités. L’arrêté ministériel, lui, interdit le déplacement dans le département ou la commune où se déroule la rencontre. La mesure était « grave et exceptionnelle » selon le gouvernement et ne pouvait être prise qu’en cas de dernier recours. Mais elle est désormais utilisée régulièrement. De trois arrêtés sur la saison 2011-2012, le chiffre est monté à 39 en 2014-2015, à 218 en 2015-2016 avec l’état d’urgence et les risques d’attentat et 116 en 2016-2017.
1 – Faire acheter sa place par un supporter adverse
Début 2018, la situation est tendue à Bordeaux. Le club est dans une mauvaise position au classement et les Ultramarines, les ultras girondins, sont interdits de déplacement à Nantes, Strasbourg et Marseille. Chaque fois, ils choisissent la désobéissance civile et se rendent quand même en nombre dans les villes prohibées. S’ils se font arrêter avant d’arriver au stade à Nantes et Marseille, ils réussissent en revanche à former un groupe d’une cinquantaine de personnes dans l’enceinte alsacienne, grâce à des places achetées au préalable par les Ultraboys 90, le groupe ultra de Strasbourg. D’autres options avaient été envisagées mais celle-ci « maximisait nos chances », se souvient Tibo Gros, un des responsables des Ultramarines.
Une fois les places prises par les Strasbourgeois, le déplacement s’organise dans le plus grand secret côté bordelais. « On a vraiment tout fait entre nous, par le bouche-à-oreille et au local, raconte une autre tête des Ultramarines. Et on est allés à Strasbourg de façon dispersée : en avion, en train, en minibus ». En tout, 75 supporters sont de sortie. « Jusqu’au dernier moment, on n’a rien dit sur le point de rendez-vous car lorsqu’il y a un arrêté, il peut arriver qu’en gare ou au péage, les services de police attendent et surveillent les voitures immatriculées 33 », continue le leader bordelais anonyme.
Malgré la discrétion, une vingtaine de supporters se font interpeller sur le parking d’un Auchan, à proximité du stade. « Même si l’arrêté a été pris parce qu’il n’y avait pas assez de forces de l’ordre pour nous encadrer, il y avait quand même la police, la Bac et les renseignements territoriaux en nombre. Il devait bien y avoir 300 personnes réquisitionnées », ironise Tibo Gros. Le reste du groupe se fait discret dans le stade, jusqu’au signal où tous se regroupent derrière la bâche des Ultramarines. Ils ne restent pas longtemps dans l’enceinte car ils sont très vite entourés par les forces de police et sont placés en garde à vue au commissariat.
Ils sont libérés le dimanche et en reparlent aujourd’hui avec fierté. « Ça a été utile je pense, estime Tibo Gros. Parce que cette année, on a pu aller à Nantes, à Strasbourg ou à Marseille (1). Il n’y avait pas d’interdictions ».
2 – Faire croire qu’on ne viendra pas
Pour leur déplacement à Saint-Étienne, les Nîmois sont à chaque fois fortement encadrés « pour des raisons qui remontent à 1976 », explique Baptiste, membres des Gladiators nîmois. Sauf que quatre jours avant le match, qui doit avoir lieu le 31 mars, les supporters apprennent que la préfecture décale la rencontre du dimanche au lundi, une première depuis des lustres pour un match de Ligue 1. Motif invoqué : reposer les forces de l’ordre mobilisées le samedi par les gilets jaunes. « Ça a remis toute l’organisation en cause. On devait avoir 350 personnes qui devaient bouger au sein de tous les mouvements. Au final, les gens et les bus n’étaient plus disponibles », peste Baptiste.
Surtout que l’horaire n’est pas acté par la LFP, qui oscille entre une programmation à 19h, au mépris des supporters qui sortent du travail, ou à 20h30. « On a réfléchi sur ce qu’on pouvait faire, certains ont parlé de boycotter totalement le déplacement. D’autres étaient complètement contre cette idée car ça donnait raison aux pouvoirs publics, qui souhaitaient qu’on ne vienne pas. C’est ensuite qu’est venue l’idée du communiqué qui annonçait un boycott, puis derrière d’en renvoyer un au dernier moment pour dire qu’on arrivait. Histoire de – même si elle est petite – faire une action et ne pas laisser les choses se faire comme si c’était normal », narre Baptiste.
C’est donc à 17h30 que les Nîmois envoient le communiqué sur les réseaux sociaux et allument la mèche : « Vous n’avez pas le monopole de la communication de dernière minute. Nous vous informons que nous sommes actuellement en route pour Saint-Étienne ».
Baptiste et une cinquantaine d’ultras arrivent en bus et ne s’arrêtent pas à l’aire d’autoroute où ils sont habituellement pris en charge par la police. « Dans notre optique, on allait directement au stade. Les policiers sur l’aire ont vu le bus passer devant eux et ils ont été pris de panique. Ils nous ont rattrapé cinq kilomètres plus loin sur l’autoroute pour nous escorter au parcage », raconte le Nîmois. Ils se retrouvent au stade « avec quinze ou vingt fourgons de police. Ils ont envoyé tous les CRS qu’ils avaient sous la main, au cas où on aurait été 400 ». Au final, Baptiste regrette presque d’avoir envoyé le communiqué aussitôt. La manoeuvre « a foutu un beau bordel au niveau de la préfecture, qui ne savait pas à combien on montait et comment ».
3 – Passer par un autre pays
Certains groupes sont plus visés par les arrêtés que d’autres. Cette saison, les Stéphanois ont subi des restrictions ou des interdictions à 14 reprises sur 17 déplacements. L’année dernière, les fans des Verts sont interdits de poser le pied sur le sol de Monaco, à cause d’un arrêté ministériel de la Principauté qui invoquait le Grand Prix de F1 de la principauté.
Mises devant le fait accompli, les autorités françaises prennent un arrêté préfectoral qui interdit aux supporters de passer par les villes aux abords de Monte-Carlo, comme Menton, Nice ou La Turbie. Quatre des cinq groupes de supporters stéphanois annoncent tout de même leur volonté d’assister au match, dont l’Union des supporters stéphanois (USS), dirigée par Jean-Guy Riou : « J’ai une cinquantaine de gars qui sont descendus en minibus et en voiture. Les autorités monégasques étaient à l’affût de tout ce qui était supporter de Sainté ».
Deux cents supporters et ultras font le déplacement en passant par l’Italie et se rejoignent à Vintimille, à quelques kilomètres de la frontière française. Mais leur manoeuvre ne réussit pas comme les Bordelais à Strasbourg. Alors qu’ils ne possèdent aucun signe distinctif et ne chantent aucune envolée pour les Verts, ils sont interceptés dans les wagons à la gare de Menton par la police française, qui les renvoie en Italie une quarantaine de minutes plus tard où les attendent les carabinieri.
« C’est la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale que des ressortissants français sont ramenés à une frontière étrangère. Il y a une problématique de la considération du supporter. Sommes-nous des sous-citoyens ? », questionne Jean-Guy Riou.
Certains ne renoncent pas. Depuis l’Italie, des supporters comme les Magic Fans tentent de rallier Monaco en voiture. Ils sont bloqués à 200 mètres du stade et rebroussent chemin.
4 – Se rendre à un autre match
À l’occasion de Reims-Nantes, les supporters bretons devaient faire le plein des cars. Environ 500 supporters étaient attendus pour assister au match et fêter le vingtième anniversaire de la Brigade Loire, le groupe ultra local.
Dans un premier temps, la préfecture de la Marne avait pourtant autorisé, sous conditions, la venue des Nantais. Mais 48 heures avant le match, retournement de situation. Le ministre de l’Intérieur prend un arrêté d’interdiction motivé notamment par cet anniversaire ! Face à une décision qu’ils jugent injuste, les supporters font une requête au Conseil d’État, qui la rejette le jour du match, en fin d’après-midi.
Deux heures plus tard, c’est à Angers, qui accueille Amiens, que les ultras nantais se font remarquer. Une quarantaine de membres de la Brigade Loire provoquent l’arrêt du match en lançant des fusées éclairantes sur la pelouse. Ils déploient ensuite une banderole : « On a 20 ans et on vous emmerde ».
5 – Déposer un recours au tribunal
La réponse des supporters ne se fait pas que dans les stades. Pour chaque arrêté préfectoral ou ministériel pondu, des groupes comme l’Association nationale des supporters (ANS) contre-attaquent devant la justice. « Dès que ces arrêtés sont pris, on rentre en contact avec les groupes concernés, qu’ils soient membres de l’ANS ou pas. On voit s’ils veulent qu’on mène une action devant le tribunal administratif », indique Marco, un des porte-parole.
Avec quelques victoires à la clef. Ainsi, en avril 2018, le tribunal administratif de Nantes a décidé l’annulation partielle d’une interdiction prise par la préfecture de Loire-Atlantique contre les Bordelais… en 2016.
(1) Les Bordelais ne sont tout de même pas allés à Marseille car le Vélodrome était à huis clos lors de cette journée.
Photo d’illustration des Ultramarines, lors du match Bordeaux-Angers en mars 2018.