Bouba et Amidou sont des migrants arrivés il y a quelques mois en France. Ils ont découvert la bibliothèque de la Cité des Sciences à Paris par le bouche-à-oreille. Depuis, ils viennent presque chaque jour profiter des cours et d’une connexion internet.
La Villette, sous-sol de la Cité des Sciences, Paris 19e – Il est 11h, la bibliothèque spécialisée dans la culture scientifique n’ouvre ses portes qu’une heure plus tard, mais des visiteurs affluent déjà. Ils s’assoient sur les quelques sièges collés au mur, ou s’installent à même le sol, près de l’entrée. Tous, ou presque, sont des migrants qui ont découvert le spot par le bouche-à-oreille. Amidou est Ivoirien. Il vient ici plusieurs fois par semaine depuis son arrivée en France, il y a bientôt un an. « En attendant d’avoir des papiers, on ne sait pas toujours quoi faire de nos journées, donc ça aide à passer le temps. Grâce au Wifi gratuit, je peux regarder les actualités de la France et de mon pays. Ça me permet de garder un lien avec là d’où je viens. »
Amidou patiente devant la bibliothèque de la Cité des Sciences, avant son ouverture, du mardi au samedi à 12h. / Crédits : Léo Derivot
Amidou aime aussi « parler avec les gens gentils qui travaillent ici », et se rend aux cours de français tous les samedis matin. Deux de ses amis s’approchent. L’un dort dans le même centre d’hébergement. Le son d’un journal télévisé étranger s’échappe de son téléphone. Le second, vêtu d’un sweat bleu, rebondit sur l’actualité. Il se met à évoquer les gilets jaunes, un grand sourire aux lèvres : « On les voit beaucoup à Paris ! Ils se battent pour leurs droits, c’est très bien. Ils sont courageux. »
Un accueil bienveillant
À midi, un vigile ouvre les portes. Seuls ou par petits groupes, les migrants s’engouffrent dans la bibliothèque souterraine. Ils se dispersent dans les grands espaces aérés des trois étages sombres. Silencieux, installés sur les canapés en cuir vert autour de grandes tables où ils peuvent brancher leur téléphone, ou sur des postes d’ordinateurs, chacun vaque à ses occupations. La bibliothèque propose des cartes gratuites qui permettent un accès à un ordinateur connecté à Internet six heures par semaine .
À l'ouverture, les usagers réguliers vont s'installer dans la bibliothèque. / Crédits : Léo Derivot
Sur les ordis ou les canapés vert, tout le monde vaque à ses occupations. / Crédits : Léo Derivot
« Nous accueillons des populations primo-arrivantes depuis toujours. Mais, selon l’actualité, il y a bien sûr des pics », explique Michel Weyer, chef du département « Service au public ». Une fréquentation qui s’explique par la présence nombreuse de camps, foyers ou centres d’hébergement dans le 19e arrondissement.
La bibliothèque est aussi pour beaucoup d’entre eux un lieu d’apprentissage gratuit. « Ce ne sont pas des dispositifs uniquement destinés aux primo-arrivants », précise Michel Weyer. « Mais c’est vrai que ce public se retrouve énormément dans les ateliers, qui ont beaucoup de succès. »
Bouba, Mauritanien, se forme au numérique. / Crédits : Léo Derivot
Les migrants peuvent notamment apprendre à utiliser les ordinateurs. Pour cela, deux possibilités : des cours d‘« initiation à l’informatique à visée professionnelle », ou un espace d’auto-formation au numérique en accès libre. Un médiateur est présent tous les après-midis, du mardi au vendredi, pour aider ceux qui en ont besoin. Reza, vêtu d’une veste costard, est responsable de ce pôle. Il parle six langues : le français, l’anglais, l’espagnol, l’allemand, l’arabe et le persan. « Je pense qu’il faut tout mettre en œuvre pour les aider à trouver une place et un rôle dans la société », affirme t-il.
Pôle Emploi à la Villette
Bouba est installé à un poste d’ordinateur. Grand et élancé, il porte une petite barbichette. Reza s’approche et lui glisse quelques mots en lui secouant le bout des doigts dans un geste affectueux. Venu de Mauritanie il y a quatre mois, ce demandeur d’asile de 32 ans ne rate pas un seul des ateliers.
« C’est le Secours Catholique qui m’a orienté vers cette bibliothèque. Sur les ordinateurs, je récolte des adresses qui me permettront d’aller suivre d’autres cours ailleurs, j’apprends à faire un CV et à postuler pour des emplois… »
Bouba, ancien cuisinier dans son pays, est en recherche d'emploi. / Crédits : Léo Derivot
Il précise dans un grand sourire : « Je suis cuisinier. Ce que j’aime le plus faire, c’est des crevettes au sol, un plat de mon pays. »
Apprendre et parler pour s’intégrer
Si l’espace d’auto-formation au numérique existe depuis près de trente ans, les ateliers de conversation, eux, n’ont que quelques mois. C’est également Reza qui est aux manettes. Il est aidé par une poignée d’employés volontaires. Ces échanges, organisés trois fois par semaine, rassemblent à chaque fois une vingtaine de personnes, en majorité des migrants. Cette fois, l’atelier portera sur de la météo, car « on aime bien parler de la pluie et du beau temps en France, surtout quand on ne sait pas quoi dire », rit Christine, l’une des deux animatrices. « À 9h, en Mauritanie, il fait déjà 35° ! », raconte Bouba, qui enchaîne les ateliers. Reza, la cheville ouvrière de ces initiatives, espère aller plus loin et créer des partenariats avec d’autres structures situées dans le parc de La Villette.
Après la formation à l'informatique, Bouba (au centre-gauche) participe aux ateliers de conversation. / Crédits : Léo Derivot
Muktar, Somalien de 20 ans, est très attentif. Le lendemain, on le retrouve assis seul à une table avec les fiches qui lui ont été distribuées sur la météo. Concentré, il réécrit les mots, les phrases, pour les mémoriser. « Apprendre le français, c’est la première étape pour moi. Après je pourrai commencer autre chose et me poser la question : “Qu’est-ce que je veux faire dans ma vie ?” », explique le jeune homme brun aux cheveux frisés, arrivé en France en novembre 2017.
Auparavant, il fréquentait une bibliothèque du Val-de-Marne, à côté du centre où il vit. « Je ne viens ici que depuis deux semaines. C’est un ami qui m’en a parlé. J’aime les endroits comme celui-ci parce que c’est calme, tranquille, et ça me donne l’opportunité de parler pour améliorer mon français. »
Des feuilles sur le vocabulaire de la météo ont été distribuées aux participants lors de l'atelier de conversation. / Crédits : Léo Derivot
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