Romain Ternaux est le co-auteur du livre Success Story. Un pastiche de « feel-good irresponsable ». Et si les drogues et l’alcool permettaient d’atteindre la gloire ?
Paris, 6ème arrondissement – Ce soir-là, c’est la remise – super sélect – du prix de Flore. Serrés comme des sardines, les convives se gavent d’huîtres et de champagne. Sa casquette plate vissée sur la tête, Romain passe la porte du café de Saint-Germain-des-Prés. Il vient de se faire passer pour le PDG des éditions Grasset. Il a les joues rondes comme ses lunettes, la barbe naissante, et une dégaine qui n’est pas vraiment celle du boss d’une grosse maison d’édition. Même si, ce soir-là, il a revêtu son plus beau costard. « Je savais de source sûre qu’il était sur la liste. Il venait d’avoir un gosse, je me suis dit qu’il ne serait pas là », raconte en se marrant le bonhomme affublé d’un sweat zippé gris sur un t-shirt Joy Division. Une pinte de blonde dans la main, assis à une table de L’Express de Paris, un café situé à deux pas de Ménilmontant, le romancier de 31 ans revient sur son amitié avec Johann Zarca :
« Quand j’ai vu qu’il avait reçu le prix de Flore, j’étais trop content. Je voulais y aller mais j’avais pas d’invit’ ni rien ! »
Une apologie de la défonce
Ensemble, les deux compères sortent Success Story, aux éditions Goutte d’Or (dont Zarca est le co-fondateur), ce 21 février. Un livre co-écrit, qui se veut être « un feel-good irresponsable », soit un pastiche de livre de plage. « Dans un feel-good, y’a toujours une morale à la con. Mais on en a fait une apologie de la défonce. C’est un bon exercice de style, c’était golri », expose Zarca. Le pitch : une prof de collège coincée et sans ami va passer d’une vie chiante au succès grâce à la consommation d’alcool et de drogues. L’auteur poursuit :
« Taffer à deux dans les milieux créatifs, comme c’est un truc assez perso, ça laisse vite place à l’ego. Y’a qu’avec Romain que ça a glissé. »
Success Story, aux éditions Goutte d’Or. / Crédits : Rémi Yang
Les deux écrivains se sont rencontrés il y a cinq ans. Romain se pète la hanche en tombant d’un Vélib’. Il finit dans la même chambre d’hôpital que Zarca, qui s’est lui « niqué le genou ». Ils se découvrent à Saint-Antoine, mais se sont déjà croisés avant, sans se parler. « On faisait partie du même réseau de littérature alternative. On est restés cinq jours dans la même chambre. On discutait et on s’est tripés », se souvient Johann Zarca aka le mec de l’underground . Alités, ils commencent à élaborer un début de synopsis de roman de gare pour déconner. Et comme pour sceller cette nouvelle amitié, un pote de Romain leur fait passer des bières en douce tandis que Zarca ramène son dealer de shit :
« Je précise que Romain ne consomme pas, mais il se rattrape sur la tise ! »
Quelques années plus tard, les deux écrivains remettent ce synopsis sur le comptoir. Zarca rembobine :
« On était complètement bourrés dans un rade. On s’est réenflammés et on s’est dit “Viens, on écrit le que-tru”. »
Le stylo ivre
Si Zarca maîtrise à la perfection l’art d’écrire défoncé, Ternaux carbure à l’alcool :
« Ça te retire toute inhibition. Si t’es vraiment sobre ou lucide, t’es jamais satisfait, tu te remets toujours en question. »
Ses premiers écrits alcoolisés voient le jour pendant ses années étudiantes. « À Reims, ça m’arrivait d’allumer mon ordi en lendemain de soirée et de découvrir que j’avais écrit des pages. Et elles étaient plutôt bonnes », se marre-t-il. Depuis, le plus souvent, lorsqu’il tape ses textes, ses canettes de bière l’accompagnent.
Installé dans un appart’ près de Ménilmontant, Romain bénit la vie nocturne parisienne et sa multitude de lieux de souille, dont il se sert volontiers pour faire la promo de ses bouquins. Sur Youtube, on le retrouve en train de tester un cocktail sorti d’une de ses fictions. « Dans ce roman, le perso mélange du whisky avec de la bière brune et boit ça cul sec pour se bourrer un max », raconte Romain. « C’était pas top, le goût du whisky était déformé par la bière, mais ça montait vite à la tête »
Dans un café du quartier – les deux compères sont presque voisins – Zarca se remémore ses sorties avec Romain. « Une fois on devait aller à Jourdain en Noctilien, on s’est endormis comme des daubes – on avait pas mal bu – et le chauffeur nous a réveillés à Romainville. » Ce souvenir de cuite est plus douloureux pour Ternaux. Il se rappelle s’être réveillé du bus avec un filet de bave et être rentré à pied du terminus.
Ermitage et petits boulots
Derrière son air de fêtard se cache un travailleur acharné. « Il s’est imposé une rigueur que j’ai jamais pu m’imposer, genre “Allez, une page par jour”. Il a écrit beaucoup de romans qui n’ont pas encore été édités », détaille Zarca. Pour produire autant, Romain s’enferme. Au sens propre du terme. À Reims, où il suivait des études de littérature, il squattait seul une vieille bicoque rachetée par son père. « Pour être au calme », explique-t-il :
« J’étais assez isolé, y’avait pas de prise aux normes, pas d’internet, c’est très particulier. Mais j’étais content comme ça. »
Une vie d’ermite de laquelle il sortira une ébauche de son premier roman, Croisade Apocalyptique. À son arrivée à Paris en 2010, il réitère et s’enferme deux ans chez lui, à nouveau pour écrire. En sortent deux bouquins publiés et une quinzaine de manuscrits qu’il garde sous le coude.
Pour se mettre un peu de sous dans les poches tout en restant cloîtré chez lui, il décroche un « petit boulot de relecteur » en télétravail. Mais pas de quoi lui assurer une indépendance financière: « Des relectures, si t’en fais pas dix mille, tu t’en sors pas. » Après avoir publié quatre romans en cinq ans, c’est un mi-temps chez Gibert Joseph qui lui remplit le frigo. « J’ai déjà dépensé l’avance de mon éditeur pour Success Story », plaisante-t-il à moitié.