Le Red Star, club de foot pensionnaire de Ligue 2, prépare la rénovation de son stade. Une reconstruction financée par des acteurs privés, qui espèrent un retour sur investissement. Explications.
« Le Red Star c’est seulement à Bauer ! » Ce 5 janvier 2019, le temps d’un match de Coupe de France, l’hymne des ultras retentit à nouveau dans la mythique enceinte de Saint-Ouen (93). Les places pour ce 32e de finale, qui plus est contre un pensionnaire de Ligue 1, le Stade Malherbe Caen, se sont envolées comme des petits pains. Car depuis son accession en Ligue 2, le club s’est exilé à Beauvais (60) : Bauer n’est pas aux normes du foot pro. Les supporters réclament une rénovation et un retour à la maison.
L’attente risque d’être longue car le projet n’en est qu’à ses débuts. En mai dernier, le club et les acteurs politiques de la région entérinent le principe d’une reconstruction du stade sur le même site. Selon nos informations, le chantier, tel qu’envisagé aujourd’hui, dépasserait les 150 millions d’euros. Mais ni le club ni la municipalité de Saint-Ouen n’ont les moyens de financer une telle opération, même avec le soutien des autres collectivités territoriales. Ne reste qu’une solution : se tourner vers un acteur privé en lui promettant un retour sur investissement via l’exploitation du site.
Le Red Star, un club en exil
Si cette saison le Red Star ne joue plus à Saint-Ouen, c’est que le stade Bauer, jamais véritablement rénové depuis 1975, ne remplit pas les critères d’homologation imposés par la Ligue de football professionnel (LFP). Un temps envisagée, l’hypothèse d’une délocalisation à Colombes (92) est tombée à l’eau pour une histoire de lumières : la LFP a refusé d’accorder une dérogation au club en raison d’un déficit d’éclairage de 250 lux. « C’est assez incompréhensible, quand on sait que des rencontres de coupe d’Europe de rugby s’y sont déroulées », s’étrangle Mathieu Hanotin, élu socialiste en charge des sports au conseil départemental. D’après un bon connaisseur du dossier, un retour au stade Jean-Bouin (Paris 16e), qui avait déjà accueilli le club par le passé, a également vite été écarté en raison du coût, mais également de la réticence de la mairie de Paris et du Stade Français, son club résident.
Equipé ! / Crédits : Yann Castanier
« On n’a pas géré au mieux ce dossier », concède Grégoire Potton. Malgré des résultats sportifs qui laissent craindre un possible retour en National – le championnat de 3e division – à la fin de la saison, le directeur du Red Star cherche une solution alternative au stade de Beauvais pour la saison prochaine. Sur son bureau, le dossier trône en haut de la pile et des discussions ont déjà été engagées. « On fait tout pour jouer en Île-de-France », promet-il. Le stade de Colombes semble à nouveau une hypothèse crédible. La région et le département seraient prêts à mettre la main au portefeuille pour financer la mise aux normes. Mais à ce jour, rien n’est encore arrêté.
Quelle que soit la solution retenue, il faudra qu’elle soit pérenne car la livraison du nouveau stade Bauer est envisagée pour… 2023. « On aimerait qu’il puisse accueillir l’une des épreuves des JO de 2024 », rêve Potton. Une manière de célébrer l’histoire du stade : pendant les olympiades de 1924, plusieurs matchs de foot (dont un France – Lettonie, gagné 7-0 !) se sont joués à Bauer.
Bauer privatisé
Grégoire Potton, ex-lieutenant d’Emmanuel Macron pendant la campagne (dont StreetPress dressait le portrait ici) a rejoint le Red Star fin 2017 pour faire « avancer le club sur le temps long » :
« Le Red Star a tout pour lui, mais il lui manque encore quelque chose pour en faire le deuxième grand club de la région parisienne. Mais il faut rester une famille, garder son identité, et ne pas tout sacrifier pour l’aspect sportif. »
Au moment de lui confier les clefs de la boutique, Patrice Haddad, le président du club, lui a fixé une « feuille de route 2024 », avec en ligne de mire l’accession en Ligue 1 d’ici là et bien sûr, l’érection d’une nouvelle enceinte.
Depuis mai dernier et l’intégration du projet de stade dans le concours d’innovation « Inventons la métropole du Grand Paris », l’affaire est actée. Dans le détail, la mairie de Saint-Ouen, propriétaire du stade, accepte de vendre l’enceinte à un promoteur privé sélectionné après un appel à projet. Bauer devra rester une enceinte sportive, c’est non négociable. Mais pour que l’investisseur y trouve son compte, différentes activités plus lucratives vont s’incruster dans le projet.
Un espace commercial sous la pelouse
En octobre dernier, la métropole du Grand Paris a dévoilé les noms des trois groupements d’entreprises finalistes, tous spécialistes du secteur : le groupe Réalités, qui était notamment en charge de la construction du YelloPark, projet (avorté) de stade du FC Nantes; le groupe Pitch Promotion associé au cabinet d’architectes Wilmote qui a dessiné l’Allianz Riviera de Nice; et enfin le promoteur Gidek (associé au constructeur GCC).
Red Star allez allez allez ! / Crédits : Yann Castanier
Les trois candidats ont jusqu’au 29 mars pour rendre leur copie. Charge à eux de dessiner l’enceinte, mais aussi de trouver le montage qui permettra de financer les travaux et donc d’imaginer un modèle économique rentable. « Il est inconcevable de construire un centre commercial. C’est même un anti-centre commercial qu’il faut construire selon nous », déclarait à Vice Grégoire Potton. C’est surtout une question de vocabulaire, car dans les faits, chacun des trois projets inclut une surface commerciale comprise entre 20.000 et 35.000 m². Pour y arriver, au moins deux d’entre eux projettent de surélever la pelouse pour installer des activités lucratives (commerces, loisirs ou plateforme logistique) sous les pieds des footballeurs. « Quand j’entends centre commercial, je pense à la grande distribution et c’est ce que je souhaite éviter », explique pourtant le directeur du Red Star :
« On préfèrerait des commerces plus en lien avec l’esprit du club. »
Adidas, équipementier maillot du club, serait ainsi prêt à installer une boutique thématique dans la future enceinte. « On pourrait aussi accueillir des start-up qui travaillent autour du sport, s’ouvrir aux associations de quartier », imagine Potton.
Le club n’est pas décisionnaire sur le dossier, même s’il se sait écouté. Et son directeur a déjà rencontré les trois promoteurs pour faire passer sa vision des choses. « Le club ne veut pas s’associer à l’un des projets avant que le vainqueur soit désigné », détaille-t-il. Pas de favoritisme donc, afin de discuter ensuite avec le gagnant.
Le Red Star, s’il est désigné comme club résident (ce qui ne semble n’être qu’une formalité) aurait ensuite trois possibilités. Louer le terrain et les tribunes, racheter l’espace sportif, ou prendre des parts au sein de la société qui gérera l’ensemble de la structure. C’est cette dernière hypothèse qui a la faveur du club, mais c’est aussi la plus coûteuse. Pour cela, le club envisage, selon nos informations, de faire entrer au moins un nouvel actionnaire au capital.
Le Red Star, club préféré des politiques
C’est en mai dernier donc, seulement quelques heures avant le titre de champion de National, que l’ensemble des acteurs politiques de la région se réunissent pour valider le projet, rapporte Vice, média partenaire du club. Autour de la table ce jour-là, le maire de Saint-Ouen (UDI) William Delannoy, le président de la Seine-Saint-Denis (93) Stéphane Troussel (PS) et la présidente de la Région Valérie Pécresse (LR). « Le sport est l’une des questions où l’on arrive à dépasser les clivages politiques », commente son vice-président en charge des sports, Patrick Karam. Si la Région voit le projet d’un très bon oeil, c’est aussi parce qu’elle va déménager ses bureaux à Saint-Ouen.
Grégoire Potton. / Crédits : Yann Castanier
L’élu LR préfère mettre en avant les « valeurs éducatives » du club. La Région soutient l’autre grand projet du Red Star : la création d’un centre de formation. « À long terme, c’est au moins aussi important que le stade », commente Grégoire Potton. Sept joueurs de l’équipe de France championne du monde 2018 sont originaires ou ont été formés en région parisienne. « Si à l’époque le Red Star avait eu son centre de formation, Kylian Mbappé y serait passé », assure Mathieu Hanotin, conseiller départemental en charge des sports (PS). « Il faut éviter que les très jeunes joueurs partent en formation à l’autre bout de la France et soient déracinés », abonde Patrick Karam.
Le projet est en bonne voie. Le Red Star vient d’obtenir une convention d’occupation du complexe sportif de Marville à Saint-Denis (93) et des conventions ont déjà été passées avec les lycées de la commune. La pépinière devrait ouvrir ses portes à la rentrée 2019. Seule ombre au tableau : pour obtenir de la direction technique nationale le label « centre de formation », il faut que le club évolue a minima deux saisons consécutives en Ligue 2. L’affaire est mal embarquée : à la mi-saison, le club est 19e avec seulement 13 points. Le Red Star promet toutefois de maintenir son projet, même sans ce label.
- Contre enquête /
- Red Star /
- Grégoire Potton /
- vice /
- Stade Bauer /
- Saint-Ouen /
- football /
- A la une /