La communauté des gens du voyage, directement impactée par les hausses des prix du diesel, s’est fortement mobilisée au sein des gilets jaunes. Ils sont cependant peu nombreux à manifester à Paris, inquiets d’être associés aux violences.
« Acte IV : Les gens du voyage présents. » Le nom de cet événement Facebook, publié le 1er décembre au soir, est plus que clair. Les gitans, les manouches, les forains, les circassiens et les autres, qui forment la communauté itinérante française se joignent aux gilets jaunes pour le prochain round de manif’ à Paris, ce samedi 8 décembre. Rapidement, des centaines de personnes se déclarent « intéressés », ou assurent participer. Mais, moins de deux jours plus tard, la page disparaît des réseaux. « C’est dommage, tous les gens du voyage autour de moi trouvaient l’idée super », regrette tout penaud Ritchy Thibault. Le garçon de 15 ans est à l’initiative de l’événement. « Ça aurait été un beau message qu’on soit tous réunis à Paris, ensemble. On est tous touchés par les mesures répressives de ce gouvernement ! » Mais voilà, ses aînés lui ont dit de supprimer cette page, sous peine « d’avoir des problèmes ». « Il a 15 ans et aucune légitimité ! », bougonne Milo Delage, président de l’asso France Liberté Voyage, qui n’a de cesse de prôner l’apaisement :
« On représente beaucoup de monde : environ 600.000 personnes. Il suffirait d’un mot d’alerte pour monter à Paris et beaucoup irait. Mais le danger, c’est qu’on nous remette tout dessus ! »
« Nous aussi on est Français madame »
« On est nombreux à être gilets jaunes depuis le début ! », assure Milo Delage. Depuis le 17 novembre et le début du mouvement, celui qui fait partie des porte-parole de la communauté squatte les ronds-points de la Roche-sur-Yon. « Nous étions 300 samedi dernier. Il y avait des femmes et des enfants. On a voulu quelque chose de bon enfant. » Toute la journée, ils organisent des barrages filtrants. « Et ça se passe très bien avec la population. Tout le monde est avec nous ! » Quand il s’y rend, il y va « en tant que citoyen français » :
« Sous les gilets jaunes, on est incognito. C’est un mouvement citoyen. On veut la liberté, l’égalité et la fraternité, comme promis ! Et comme tout le monde ! »
Exit donc tout symbole d’appartenance à sa communauté. Il estime que bon nombre d’itinérants font de même, pour éviter toute discrimination de la part de la police. Au cas où. « En même temps, quand on arrive avec nos chants et nos guitares, les gens savent hein », sourit son collègue Florent Rapenne, vice-président de l’asso La Bohème. Sur le rond-point du Châtelier, en Mayenne, il monte des pergolas et érige des cabanes pour s’abriter. « On a même une poule, elle s’appelle Brigitte. C’est un peu notre mascotte. » Eux évitent les barrages – « on ne veut embêter personne » – mais visent les grandes entreprises, comme Lafarge. Tous les jours, il porte son gilet jaune siglé « gens du voyage solidaires du blocage national » sur les marchés. « Bien sûr, on est en minorité par rapport aux sédentaires. Mais on est là ! On soutient. »
« On est autant touché, voir plus, par toutes ces taxes ! »
« Je suis forain. Je roule plus de 80.000 kilomètres par an. Imaginez ce que ça donne cette taxe pour nous ! » Eugène Coignoux est calme, mais révolté au téléphone. Il est bien connu pour représenter les forains un peu partout en France. Dans sa famille, ils le sont depuis huit générations. « Tout le monde me connaît sous le nom de BB ! » Cette semaine, il a publié une vidéo où il appelle les forains et le monde du cirque à se mobiliser. Il a dépassé les 17.000 vues dans les heures qui ont suivi. « C’est vraiment injuste ce qui se passe. Ma mère, elle a 50 ans. Elle touche seulement 500 euros de retraite… », raconte-t-il.
Une autre vidéo a fait le tour de la communauté, celle du rappeur Henock Cortes, qui comptabilise 244.000 vues sur Facebook. Il encourage les gens du voyage à se rallier aux gilets jaunes :
« Aujourd’hui, on explique “oui, en France, on est jaloux des riches”. Mais bien sûr qu’on est jaloux des riches ! On voit un mec avec un sandwich dans les mains, nous on a rien et on a la dalle. Bien sûr qu’on est jaloux ! »
Il explique ne plus pouvoir travailler à cause de problèmes de santé. « J’ai fait trois AVC. » Cette année, il aurait perdu une bonne partie de son aide liée au handicap. « Et puis, il faut voir les mesures du gouvernement contre les gens du voyage, c’est dégueulasse ! » Milo Delage abonde :
« On risque plus de 500 euros d’amende et un an de prison pour un stationnement de caravane illicite. Sachant que toutes les communes de plus de 5.000 habitants devraient avoir une aire d’accueil. Notre association a estimé que seulement 50 pour cent de ces communes en avaient… »
Monter à Paris or not ?
« Vous savez, avec nous, c’est une justice à deux vitesses. Si des gens du voyage se font attraper, ça ne sera pas équitable. Pour nous, c’est l’enfermement direct », estime Florent Rapenne, qui déconseille de monter à Paris. Les responsables de la communauté redoutent les débordements prévus à la capitale. « Et puis il y a plein de choses à faire chacun dans nos villes », embraye Milo Delage. Henock Cortes est plus nuancé :
« Il y en a plein qui montent. On sait très bien que ça aide d’être à Paris pour se faire entendre. »
Le fougueux Ritchy Thibault entend bien. Mais lui, ce qu’il voudrait, c’est un grand rassemblement à Paris. Il n’en démord pas. « On nous décrédibilise à cause notre âge. Des lycéens, on a dit “ça n’a pas de sens qu’ils manifestent”. Mais si ! Ce sont des étudiants qui ont fait mai 68. » Situé à 1h30 de Bordeaux, lui aussi occupe des ronds-points depuis le début. Ses parents sont également gilets jaunes et fiers des actions de leur fils. Le garçon est élu au conseil départemental des jeunes de Gironde et fondateur d’un mouvement de la jeunesse européenne des gens du voyage, qui regroupe 700 personnes sur Facebook. Il y a quelques heures, le militant a créé un nouvel événement pour ce samedi 8 décembre : « Soutien des étudiants et lycéens aux gilets jaunes », avec seulement un petit message aux jeunes itinérants dans la description du rassemblement. Pour éviter de se faire tirer les oreilles à nouveau. Il regrette que l’événement ramène moins de monde que le premier :
« Et puis moi je n’irai pas. C’est chaud avec mes parents, ils ne pensent pas que c’est une bonne idée… »
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