L’Opéra de Paris programme la Traviata de Verdi. Pour jouer le rôle d’une servante, le metteur en scène fait appel à une mezzo-soprano blanche « grimée » en femme noire. Une pratique raciste qui date du XIXe. À l’Opéra, on ne voit pas où est le problème.
Opéra Bastille (12e) – Ce mardi soir se jouait la Traviata, l’opéra de Verdi. « Tout avait très bien commencé, très belle introduction, très beau décor. Rien à redire donc, jusqu’à l’apparition furtive d’Annina, la servante de Violetta, qui m’a perturbé… », raconte un spectateur sur Twitter :
« Il se trouve que Annina est noire dans cette mise en scène, alors que dans la plupart des mises en scène que j’ai pu trouver sur internet, elle était blanche. »
Je n'ai pas compris pourquoi j'avais initialement été perturbé. C'est à la deuxième apparition d'Annina que j'ai compris d'où venait ma gêne.
— J' allèle (@RokGigio) 24 octobre 2018
Annina est en fait jouée par une chanteuse blanche (Cornelia Oncioiu), maquillée complètement en noire !! pic.twitter.com/tRYsfduhX6
Un blackface, donc. « Pourquoi avoir tenu à représenter Annina en noire ? Et si vous teniez absolument à la représenter noire, pourquoi ne pas avoir engagée une chanteuse noire ? », tweete ce spectateur. La pratique raciste remonte selon John Strausbaugh cité par Le Monde, au début du XIXe siècle :
« Le blackface est inscrit dans une tradition qui consistait à exhiber les noirs pour divertir les blancs lors de ventes d’esclaves africains. »
En décembre dernier, le footballeur Antoine Griezmann s’y était maladroitement essayé, déclenchant une polémique nationale. Il s’était excusé quelques jours plus tard. Mais du côté de l’Opéra de Paris, on ne voit toujours pas ce qui cloche.
« Il n’y a pas de problème », commente la direction de la communication de la vénérable institution. Elle défend le « choix du metteur en scène » de rendre hommage à l’Olympia, ce tableau de Manet représentant une courtisane « peinte nue avec une femme de chambre noire à son chevet », précise le programme. « Il aurait peut-être mieux fallu l’expliquer », concède à peine l’Opéra de Paris.
Mais pourquoi ne pas faire appel à une chanteuse lyrique noire ? « Celle qui joue le rôle, c’est Cornelia Oncioiu, elle a une merveilleuse voix. » Si selon le titre d’un célèbre film « Les blancs ne savent pas sauter », visiblement pour l’Opéra de Paris, les noires ne savent pas chanter… « En aucun cas l’Opéra de Paris cherche à avoir des propos ou une attitude racistes », jure pourtant le service com. Et pour finir son argumentation, il brandit non pas son ami noir, mais un « label diversité officiel » qui aurait été attribué à l’Opéra le mois dernier. « La polémique n’a pas lieu d’être. » Circulez, il n’y a rien à voir.
La servante est à gauche / Crédits : DR
Classic shit
La pratique serait courante. « En France, beaucoup de gens défendent le blackface dans l’opéra », explique Aliette de Laleu, journaliste spécialisée classique et opéra chez France Musique :
« C’est un milieu très conservateur où le public ne s’indigne pas, parce qu’il n’est pas au courant de ce qu’il y a derrière le blackface. »
Pour les défenseurs du grimage, les arguments sont tout trouvés. « Ils font valoir que c’est juste du maquillage, un costume, ou alors que ça permet de plonger dans un univers, dans un souci de réalisme » , explique-t-elle. Le 5 mars 2018, elle consacrait une chronique au sujet intitulée « Peut-on arrêter avec le blackface à l’opéra? ». Au micro de la radio du service public, elle déplore la pratique :
« L’opéra français est en retard, notamment par rapport aux États-Unis. »
Ainsi le Metropolitan Opera de New-York a cessé d’y recourir depuis 2015, à la suite de manifestations et de nombreuses sorties dans la presse. Du côté de l’Opéra de Paris, on ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Le spectacle est proposé sous cette forme depuis 2014. On ne change pas une équipe qui gagne, explique en substance la direction.
« Ce genre de pratique est inadmissible », s’insurge de son côté le Conseil représentatif des associations noires de France, malheureusement à peine surpris :
« On a l’habitude de ce genre de justifications. »
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