« J’ai découvert mon homosexualité chez les salafistes », se souvient l'imam Zahed. C'est au séminaire que le père Henri, lui, a connu ses premiers émois. StreetPress a rencontré ces hommes de foi qui concilient leur ministère... et leur sexualité.
« Le juif homosexuel est une abomination pour la communauté, un sodomite qui pervertit la Torah, lance Alain Beit, désinvolte. On est habitué à la discrimination quand on est juif. » Alors, pour lui, les attaques venues de ses pairs sont une simple formalité.
Ce soir, le président du Beit Haverim, association des juifs LGBT de France, se joue des préjugés au théâtre L’Auguste, dans le 11e arrondissement parisien. Sur son trône rouge, l’homme affable accueille le public comme un rabbin dans sa synagogue. Mais attention, la barbe ne fait pas le Rav (1). Idem pour les spectateurs venus assister à Yalla, le tajine musical, « un Mamma Mia ! juif à la sauce LGBT ». La kippa est rangée, mais jamais très loin. Alain Beit l’a dans la poche, aux couleurs du drapeau arc-en-ciel. « Elle symbolise mes deux identités. » Et le tabou qui l’entoure.
Des relations homosexuelles inscrites dans les murs
Judaïsme, christianisme, islam, les trois religions monothéistes condamnent l’homosexualité. Qu’il s’agisse de leurs croyants ou de leurs représentants. Et pourtant, les relations homosexuelles sont inscrites dans les murs. « Il y a autant d’homosexuels dans l’Église que dans toutes les branches de la société : la police, l’enseignement… », souffle Jacques Mérienne, vicaire de la paroisse Sainte Eustache.
Cheveux longs argentés, petite moustache broussailleuse, l’homme aux faux airs de cardinal Richelieu n’a jamais caché son homosexualité. « À chaque fois que j’arrive dans une paroisse, je me présente à la communauté. Je dis qui je suis. » Pas question de se voiler la face. « J’ai prévenu mon évêque lorsqu’il m’a ordonné en 1972. A l’époque, ce n’était pas un problème pour devenir prêtre. C’était dans les mœurs. » Le père Henri Michel (2), ordonné par un évêque excommunié, a fait ses propres statistiques :
« Pour moi, 90% des prêtres étaient homosexuels dans les années 1970-80. »« Cela s’exprimait partout dans les couloirs du Séminaire. Nous étions deux par chambre. Chacun avait son petit ami. Quand il y avait des garçons hétéros, ils ne restaient pas. » Le père Henri Michel exerce aujourd’hui son ministère dans une grande ville française. « J’ai une chapelle qui ne dépend pas du diocèse. Elle accueille tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans le dogme officiel. » Des « marginaux », comme il les nomme à demi-mot, à son image :
« J’ai voulu être prêtre dès l’âge de 6 ans. Nous étions dans les années 1950. Mon père était régisseur aux Folies Bergères. En grandissant dans cette famille d’artistes, l’Église m’est apparue comme un grand théâtre. A 10 ans, j’ai découvert que j’aimais les hommes, mais je ne me suis pas inquiété, car je savais que la loi du seigneur me destinerait au célibat. »
Pas de problème non plus pour sa famille. « Ces choses n’avaient pas lieu d’être partagées. Quand j’invitais des garçons du séminaire en vacances, nos parents se disaient simplement : “Ils veulent être prêtres, c’est normal. »
A la pride de Toronto en 2011 / Crédits : Andrey Zhukov
Un système hypocrite
À 11 ans, Henri Michel entre au petit séminaire. « Il n’y a rien eu de spécial », insiste-t-il. Ou presque. « Vers 15-16 ans, j’ai eu une amourette avec un garçon. Ça se passait la nuit dans la resserre. Mais nous avons très vite été suivis par l’un de nos camarades. Et comme il était jaloux, il a cafté et j’ai été renvoyé. » De quoi ranger sa robe au placard ? « Non, la direction avait l’habitude de ce genre de cas. Ce n’était pas un secret d’état. » À la sortie de son bac, Henri Michel intègre donc le grand séminaire. « Là où il y a le plus d’intrigues, se rappelle-t-il avec un rire contenu. On attendait la nouvelle recrue de la rentrée de septembre pour échanger nos compagnons de vie. »
Tout se sait… Mais personne ne dit rien. Et la loi du silence aura raison du comportement « trop vrai » d’Henri Michel. Contrairement au père Jacques Mérienne, cette homosexualité assumée lui fermera les portes de l’Église. « J’ai été ordonné par une voie parallèle que ne reconnaît pas l’épiscopat français. » Une forme de discrimination advenue, selon le père Jacques Mérienne, dans les années 1980. « En refusant d’ordonner des prêtres homosexuels, l’ancien archevêque de Paris, le cardinal Lustiger, a institutionnalisé un retour en arrière. » Un virage « lié, selon le père Henri Michel, à l’hypocrisie du système ». Mais pas seulement.
Le premier imam gay de France
« Je me sentais comme un étranger dans ma propre famille », se souvient Ludovic-Mohamed Zahed. Normalien, docteur en sciences humaines et sociales, spécialiste reconnu de l’islam… L’imam est à l’origine des premières mosquées inclusives de France, d’Allemagne et d’Afrique du Sud :
« À 17 ans, j’ai découvert mon homosexualité chez les salafistes en tombant amoureux de l’homme qui m’avait enseigné le Coran. »
Tiraillé entre islamisme et homophobie, Mohamed cherche du soutien auprès de sa famille. « J’en ai payé le prix fort. Dès lors, mon père m’insultait quotidiennement et mon frère me battait. Il m’a même cassé le nez et la mâchoire. Chez moi, c’était la prison. » Cette violence, Mohamed la prend en pleine face. Assumer sa double identité, religieuse et sexuelle, devient impossible :
« J’ai rejeté l’islam pendant sept ans. »
(img) Ludovic-Mohamed Zahed
En 1995, l’Algérie sombre dans la guerre civile. Comme nombre de familles francophones, les Zahed s’installent en France, à Marseille. « J’avais 19 ans quand j’ai rencontré mon premier compagnon dans un club gay. Un Algérien encarté au Front national. On était très schizophrène à l’époque dans notre communauté. Cet homme était très infidèle, prenait beaucoup de risques, en pratiquant notamment le chemsex. Il me les a fait prendre. C’est avec lui que j’ai attrapé le Sida. »
Sans dieu ni père, Mohamed, naturalisé Ludovic, monte alors à Paris. Il se réfugie dans le travail et multiplie les doctorats. « J’ai travaillé dix fois plus que les autres mais j’étais toujours la cinquième roue du carrosse. Un soir, alors que je quittais l’École normale supérieure, j’ai reçu un appel de ma mère : “Cela a trop duré. Tu es tombé de la barque à un moment et je n’ai pas réussi à te récupérer” » :
« J’étais considéré comme un malade mental. »
À 30 ans, Ludovic trouve un équilibre. « Il m’a fallu sept ans pour comprendre que je n’étais pas anormal. » En paix avec lui-même, il trouve l’amour avec un sud-africain et se marie devant sa famille et ses amis. Il renoue alors avec ses origines et reprend une pratique spirituelle. Un an auparavant, il créait l’association Homosexuels musulmans de France pour accueillir toutes les personnes qui, comme lui, ont été victimes de discriminations. Et pas seulement des croyants. « Il n’y avait que 10 % de pratiquants dans l’association quand nous l’avons créée. Beaucoup nous ont rejoints par la suite, attirés par notre islam des Lumières. » Un succès qui préfigura celui de la mosquée inclusive en 2012.
Inspiré d’un mouvement venu d’Amérique du Nord, Ludovic trouve un premier refuge auprès d’un ami bouddhiste, Federico Dainin Jôkô, aux portes de la capitale, avant d’ouvrir un local dans le quartier de la Goutte d’Or, à Paris. En restant flou sur son adresse, par peur de possibles violences. « Nous ne nous attendions pas à un tel retentissement, y compris de l’autre côté de la Méditerranée. » Cette soudaine notoriété se transforme en passe-droit auprès des plus grandes institutions sunnites. Il devient ainsi le premier imam gay à débattre au sein de la prestigieuse université al-Azhar, en Égypte. Une réussite d’autant plus grande dans un pays alors sous la coupe des Frères musulmans.
Vivre caché pour être heureux
La réalité reste toutefois contrastée. Quand on appelle l’association Homosexuels musulmans de France, il est difficile d’avoir quelqu’un à l’autre bout du fil. Et pour cause, quand on rédige un mail, on reçoit automatiquement le message suivant : « IMPORTANT : Notez qu’il n’y a plus de mosquée inclusive à Paris. » L’associatif se joue dans l’ombre.
Et si tout le monde sait où se trouvent les associations LGBT catholique David et Jonathan et juive Beit Haverim, les pratiquants homosexuels n’en demeurent pas moins parfois contraints de mener une double vie hors des institutions. « Un jeune catholique qui juge son orientation sexuelle en contradiction avec sa religion n’ira pas chercher du soutien auprès d’un prêtre gay. Pourquoi le ferait-il s’il le pense lui-même dans le péché ? », s’interroge Jacques Mérienne.
Rainbow kippa sur la tête à la synagogue, au fond de sa poche une fois dans la rue, Alain Beit conseille aux adolescents qui viennent le voir de ne pas révéler leur homosexualité à leurs parents. « Sois heureux et vis caché. Ne te mets pas en danger. Quand tu pourras subvenir à tes moyens, tu pourras t’assumer », explique Alain Beit :
« Être juif et homo n’est pas une contradiction. »
Dans le quartier du Marais, à Paris, la communauté de Saint-Merry a fait de la pastorale de l’accueil des différences son fer de lance. Comme David et Jonathan, elle accepte quiconque quel que soit sa couleur, son origine, son orientation liturgique ou sexuelle.
Daniel Duigou, curé de la paroisse, est l’un de ses hérauts. « On peut être chrétien et homosexuel ! s’exclame-t-il. Quand j’ai rencontré le pape, il m’a tout de suite demandé : “Qu’est-ce que vous dites aux divorcés remariés ?” J’ai répondu : “Un, je les écoute. Deux, je les bénis ainsi que les couples homosexuels.” En entendant ces mots, il s’est relevé et m’a dit : “Oui, Dieu pense du bien des hommes. Dieu pense du bien de tous les hommes. »
Queer & Halal à la pride de Londres en 2013 / Crédits : jpg.me
Une histoire d’interprétations
Comme un symbole, Daniel Duigou intègre aujourd’hui les couples homosexuels à la préparation religieuse au mariage des couples hétérosexuels. « C’est une tradition ancrée. Dans les premiers siècles de son histoire, l’Église bénissait déjà des homosexuels. »
Une manière de renouer avec les premières écritures ? Que penser alors du passage de Sodome et Gomorrhe ? « Les personnes qui rejettent l’homosexualité citent souvent cet extrait. Or, ce qui est condamné, c’est le fait de forcer son partenaire à avoir une relation sexuelle », indique Daniel Duigou. « Et puis, rappelle Henri Michel, Eve est née de la côte d’Adam. Cela signifie que le premier homme était une créature hermaphrodite. Le croyant peut retrouver en lui-même cette voie androgyne, l’homme et la femme qu’il est, par le biais de son homosexualité. » Pas de contradiction donc selon la Bible.
« Dieu ne condamne jamais l’homosexualité dans le Coran », martèle aussi l’imam Ludovic. « Un verset rapporte même que le Prophète était un jour avec un homme dans la rue lorsqu’un troisième vint à passer. Le premier homme dit au Prophète : “J’aime cet homme“ et le Prophète lui demanda s’il lui avait fait part de ses sentiments. Il lui répondit que non et le Prophète lui intima de le faire, raconte Ludovic Zahed. Le Prophète aurait-il encouragé un homme à déclarer sa flamme à un autre s’il était le leader misogyne et homophobe que décrivent nombre de musulmans dogmatiques ? » Rien n’est moins sûr.
Ludovic l’avoue lui-même. En Algérie, un de ses oncles continue de lui envoyer des menaces de mort du fait de son homosexualité. « Il ne connaît que l’islam des Frères musulmans. » Et cette violence ne se limite pas à la famille. Sur Internet, les salafistes ont émis une fatwa pour punir Ludovic « par le glaive ». D’autres, comme le prêtre Jacques Mérienne et le président de l’association Beit Haverim, font l’objet d’insultes homophobes. « C’est terrible d’utiliser Jésus pour condamner l’autre, déplore Daniel Duigou. Ces gens oublient que la Bible n’est qu’une interprétation d’une interprétation. »
Alors au diable les préjugés ! « On ne choisit pas qui on est, rappelle Jacques Mérienne. Ce qu’on est n’est pas une faute. » Une réalité qu’ont fini par admettre les parents de Ludovic. L’imam doit toutefois faire face aux nouvelles inquiétudes de sa mère. « J’ai divorcé il y a trois ans. Depuis, ma mère s’inquiète de mon célibat, car réussir sa vie intime, c’est se marier et avoir des enfants. » Après tout, on n’est jamais trop parfait pour ses parents.
Article en partenariat avec le CFPJ.
En une image d’illustration : crédit Danny Hammontree
(1) Rav : rabbin en hébreu
(2) Nom changé à la demande de l’interviewé
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