18/07/2018

Le sorcier d'IAM revient sur 25 ans de carrière

Imhotep : « À Bercy, on s’est pris des canettes dans la figure »

Par Samia Kadiri ,
Par Oussama Belghazi ,
Par Simon Saada

Après des années de musique et de scène, Imhotep en a des anecdotes. Première partie du concert de Madonna, ses engagements citoyens et son amour pour Marseille, le beatmaker d’IAM raconte à StreetPress.

Marseille (13) – La Belle de Mai est baignée de soleil lorsque qu’Imhotep, attablé autour d’un thé, raconte ses premiers pas avec son groupe, IAM, en 1991. Le beatmaker et sa troupe ont commencé ici même, à la friche, où ils enregistraient leurs morceaux. « Après l’aménagement du nouveau studio, on était à l’entrée, vers la librairie et le bar », raconte-t-il. L’architecte sonore d’IAM parle posément. Souriant, il plisse les yeux devant le soleil couchant. Pascal Perez, de son vrai nom, se confie sur ses engagements citoyens, son attachement à Marseille et les histoires d’IAM.

Il plisse les yeux devant le soleil couchant. / Crédits : Simon Saada

Nous sommes à la Friche de la Belle de Mai, à Marseille. Ça te rappelle des souvenirs ?

C’était vraiment le repaire ici, au début des années 90. On avait un home studio dans la cave de la villa juste au-dessus. On se retrouvait plutôt le soir et pendant la nuit. On amenait nos vinyles, on samplait des trucs, ça faisait des instrus, ça écrivait des textes. C’était notre routine quoi ! On était aussi plutôt du genre pack de Heineken. Une fois qu’on était dans le studio, on n’en sortait plus !

Pour la construction des chansons, tu leur proposais un beat ?

Justement, on était tout le temps ensemble dans ce studio, notre manière de composer était plus collective. Même si c’est moi qui étais en charge des machines, les gars ramenaient toujours des vinyles, on adaptait le tempo, chose qu’on fait toujours mais à l’époque c’était vraiment tous ensemble.

Tu as commencé la musique jeune, quel a été ton déclic ?

On écoutait beaucoup de musique à la maison. Mes parents avaient des vinyles. Ils faisaient partie d’un groupe de chanteurs en Algérie et étaient membres de chorales aussi. D’après ce que m’a dit ma mère, j’ai toujours tapé sur des tables, sur des casseroles. Dès qu’il y avait un objet qui pouvait servir de percussion, je tapais dessus !

Dans « L’école du micro d’argent » tu as utilisé beaucoup de samples : des méditations bouddhistes du Japon, des chants traditionnels du Tibet, un autre d’Inuits du Canada. Comment tu tombes là-dessus ?

C’est un procédé de recherche tous azimuts, mais j’ai des registres de prédilection : la musique world et la musique ethnique sont pour moi des musiques « pures ». Plein de musiques s’y combinent Et c’est pour ça que j’aime bien travailler avec de vieilles machines sur lesquelles on peut intervenir sur le son. Tout le monde utilise les mêmes samples avec les bibliothèques de sons. Je préfère aller écouter des CDs improbables pour chercher la pépite. L’autre jour j’ai récupéré un CD d’orgues d’église, je vais le sampler pour faire un morceau où on ne reconnaîtra pas l’orgue. J’aime beaucoup la musique asiatique, africaine et les musiques traditionnelles en général, qui se prêtent très facilement à la modernisation.

Là il parle de Madonna. / Crédits : Simon Saada

Tu as une formation musicale ?

Pas du tout ! La musique à l’école me gonflait : je n’étais ni solfège ni flûte à bec. Et la musique que j’écoutais, on n’en parlait jamais à l’école. J’avais pris l’habitude de jouer de la musique par moi-même, avec des collègues. Ah si ! Deux ou trois fois, j’ai pris des cours de batterie avec la méthode d’Agostini pour le solfège rythmique. Mais la musique a toujours été une passion pour moi, pas un travail, faire des exercices ça m’a toujours fait chier. Quand j’étais batteur dans des groupes de reggae, il y avait des rythmes, des charleys ternaires. Alors je travaillais ces rythmes-là parce que j’en avais besoin, mais le côté technique… En autodidacte.

En 1989 né IAM. Quelques mois plus tard vous êtes propulsés en première partie de Madonna. Comment ça s’est passé ?

Disons que c’était un peu n’importe quoi ! On venait de signer avec Labelle Noir, filiale de Virgin. Le manager de l’époque m’appelle. J’étais le seul à avoir un téléphone. Et je ne parle même pas des portables ! En 1990, la plupart des gars n’avaient même pas de fixe… Le manager me dit donc : « Dans trois jours, on monte à Bercy, on va faire la première partie de Madonna ! » C’était vraiment au dernier moment. Au début, je n’y ai pas cru, je croyais qu’il se foutait de ma gueule. À l’époque, j’habitais en haut de la Canebière. Je suis descendu jusqu’au Vieux Port à pied pour prévenir les autres. Ils ne m’ont pas cru non plus. Ça nous a fait passer d’un concert à la Maison Hantée devant 130 personnes, à Bercy et 15000 spectateurs. N’importe quoi ! C’était un truc de maison de disques ! Et personne ne voulait y aller, c’est hyper casse-gueule pour un groupe qui n’est pas connu d’ouvrir le concert de Madonna !

Et vous y êtes quand même allés ?

Nous, on n’en avait rien à foutre, aucune conscience du risque et on y est allés… Je me suis pris des canettes sur la figure quand les gens se sont aperçus que je n’étais pas un musicien de Madonna. Je me suis fait siffler par 15.000 de ses fans mais grave ! On a débarqué avec notre espèce de rap marseillais. C’était totalement improbable ! Déjà personne ne connaissait le rap français à l’époque, alors le rap marseillais ! C’était n’importe quoi pour les gens ! En tout, on a dû faire deux ou trois chansons, et jouer un quart d’heure. Le seul truc dont je me souviens, c’est que les ingés sont ne voulaient pas nous ouvrir le son… Donc on entendait à peine ce que l’on faisait dans les retours. Je crois que le public n’entendait même pas ce qu’on faisait. Akhenaton s’en est bien sorti pour un truc : il a réussi à faire chanter le public sur « OLAOLAOLA », c’est son exploit !

Vous avez écrit beaucoup de morceaux engagés avec IAM. Tu penses que vos textes sont toujours d’actualité ?

Je pense que cet engagement citoyen est nécessaire. L’époque dans laquelle nous vivons est pleine de motifs d’indignation et de revendication malheureusement. Quand tu es un peu conscient de ce qu’il se passe autour de toi, tu as envie de prendre la parole afin d’attirer l’attention des gens sur certains sujets. Shurik’N et Akhenaton écrivent en réaction à un documentaire, une scène qu’ils ont vu. Quand Shurik’N a écrit Habitude sur l’album Arts Martiens, il a vu un SDF allongé par terre. Il a vu des gens faire des détours ou au contraire être à la limite de lui marcher dessus… Si cet homme avait été deux sacs d’ordures, ça aurait été pareil. Ça lui a donné une problématique à aborder. Malheureusement, ce n’est pas toujours ceux qui ont le discours le plus engagé qu’on entend dans les médias.

BG. / Crédits : Simon Saada

Tu trouves que votre message a manqué de résonance ?

On a un impact au niveau de notre public. Mais on n’est pas tant exposés médiatiquement. Des Marine Le Pen et des Zemmour, eux, le sont énormément. Pour moi, c’est de l’incitation à la haine, à la division, à la guerre. Il faudrait vraiment que les médias donnent la parole aux gens qui ont des choses intéressantes à dire, ou qui font avancer dans le partage et l’empathie. Je fais un appel aux grands médias : arrêtez MLP, invitez plutôt Shurik’N et Akhenaton et ça va se calmer.

Une partie du public reproche aux artistes de la nouvelle génération un manque de consistance, tu en penses quoi ?

Les deux exemples que je prends toujours sont Soprano et JUL : ils font de la variété mais savent rapper. J’ai vu des freestyles de JUL sur Radio Générations, le mec récupère des bouts de textes qu’il a sur des beats qu’il ne connaît pas… Le gars sait rapper. Par contre, quand ses morceaux passent à la radio, je zappe. Ça ne m’intéresse pas. Je préfère un Kacem Wapalek. J’aime beaucoup aussi Demi Portion, avec qui je travaille d’ailleurs. Pour Soprano, c’est pareil ! Je trouve qu’il a un discours positif. Si j’avais un gamin de 5 ans je préfèrerais qu’il écoute Soprano plutôt que des mecs qui parlent de flingues et de putes. C’est aussi ton rôle en tant que parent d’accompagner ton gamin pour qu’il n’écoute pas trop de conneries.

Après, quand je vois des gamins des quartiers qui s’en sortent, comme PNL, c’est super. Qu’on aime ou non, les gars arrivent avec un univers bien à eux et ils défoncent tout. Ils font du clip et du buzz de tous les côtés, ils font deux Bercy : respect les gars ! Ce n’est pas parce que ça marche que je ne vais pas écouter. D’ailleurs je suis allé voir Kendrick Lamar, il est numéro 1 partout mais c’est un putain de rappeur. Gros concert de rap, gros taquet sur scène.

Propos recueillis par Samia Kadiri et Oussama Belghazi, photos de Simon Saada (StreetSchool Marseille promo 2018), avec Augustin Scalbert.