Sur Instagram, le hashtag #instakids cartonne. Les jolis minois de centaine d’enfants sont publiés par leurs parents influenceurs. Un business parfois lucratif.
Sur un trottoir, deux bambins grimacent, habillés par une marque cotée de la tête aux pieds. Un filtre vintage est ajouté à la photo. En quelques heures, les frère et soeur comptabilisent plus de 300 j’aimes sur Instagram. « Nous sommes de plus en plus nombreuses à poster ce genre de clichés », assure Bérangère, aka Dressmeandmykids, la maman des marmots. Ces nouvelles petites stars des réseaux sont appelées les Instakids. Le hashtag a déjà été utilisé plus de 15 millions de fois. Il serait un des plus prisés de l’application.
Dans la « vraie vie », Bérangère est traductrice. Mais grâce à son blog et son insta, où elle se met en scène avec ses enfants, elle est devenue personnal shoppeuse. Déco, fringues, beauté, pour petits et grands… depuis huit ans, cette bloggeuse conseille les familles en quête de style sur les réseaux. Tout ça grâce à son aura. Et surtout à ses 9500 abonnés sur Instagram.
Capture d'écran du compte instagram @Dressmeandmykids / Crédits : DR
Un insta-business
Tester des jouets, des activités, recevoir des vêtements ou des box dégustation, c’est le quotidien de ces quelques mamans privilégiées. Autant de produits qu’elles postent sur les réseaux. Parfois, ces mamans instagrameuses sont rémunérées pour parler de produits. Une publication peut monter jusqu’à 4.000 euros pour la fourchette haute. Mais la plupart d’entre elles n’atteignent pas ce palier, comme l’explique Bérangère :
« Je ne vis pas de ces partenariats. Mais ils représentent entre 400 et 600 euros par mois, soit un tiers de mon salaire. Ce n’est pas négligeable. »
Plus leur communauté est grande, plus la rémunération suit. Le compte Mimithor est l’un des plus prisés avec 278.000 followers au compteur. Cette mère est connue pour faire la cuisine avec ses enfants. Les photos plutôt chics de leurs découvertes culinaires sont shootées par le papa, photographe de profession. Dans le haut du tableau, il y a aussi Etdieucréa, 107.000 followers, spécialistes des photos vintages de ses chérubins.
Les marques s’arrachent ces familles influenceuses. Pour Claire (1), commerciale chez Philips Event, la branche puériculture du géant de l’électronique, toutes les enseignes ont la même stratégie :
« Le business de la puériculture et de l’enfance est un puits sans fond. Créer des partenariats avec les influenceuses, les bichonner et leur offrir des produits tests nous coûtera toujours moins cher qu’un spot de pub à la télé ou une affiche publicitaire. C’est gagnant-gagnant. »
Au Coachella des mamans / Crédits : Lola Blassieaux
« Je m’ennuyais… »
Harmony, aka La fille Kamoulox, grande rousse aux tatouages de chats vintage sur les bras, est l’une des premières mamans influenceuses françaises. Depuis 10 ans, elle met en scène ses tribulations de mère débordée :
« Au moment de ma grossesse, je vivais le pire moment de ma vie. Ma fille était atroce. Je vivais un enfer alors que toutes les mamans sur Internet étaient super heureuses. »
Fatiguée de ces récits idylliques sur la parentalité, elle décide de lancer son blog de maman désabusée. Parce qu’être mère, c’est aussi des moments compliqués, avec des petites nuits ou des questionnements sur l’éducation. Emilie, aka Maman et son chapeau, s’est elle lancée suite aux différentes sollicitations de son entourage. Son truc, c’est la nutrition :
« Je ne voulais pas que mes enfants soient difficiles culinairement et ne mangent pas de légumes par exemple. Alors je les éduque à la nourriture depuis qu’ils sont tout petits. »
Et ses conseils nutritions cartonnent sur internet. Une popularité qui profite à la maman, qui reçoit pleins de produits à tester avec ses enfants et des invitations :
« Pour moi c’est une vraie passion. Mais pour les plus chanceuses, ça devient un métier. »
Marlène au pays des Mamentrepreneuses / Crédits : Lola Blassieaux
L’ère des « mamentrepreneuses »
Sur une péniche parisienne décorée dans un esprit «jungle-chic », les couronnes de fleurs et robes longues se bousculent. 500 mamans influenceuses triées sur le volet ont reçu il y a quelques semaines leur précieux sésame : une invitation au Spot des e-fluent. C’est le grand raout du milieu. Le véritable enjeu de l’événement : mettre en relation les influenceuses et les marques en quête de visibilité.
« Au Coachellla des mamans », comme l’appellent les organisateurs, les invitées découvrent les nouveautés de l’année et repartent les bras remplis de cadeaux. Un butin qui commence à chiffrer. Box dégustation bio à 25 euros, lots de layette et soins à 60 euros, les landaus en rotin qui dépassent les 150 euros… Les marques mettent le paquet ! Avec ce message, comme une douce ritournelle : « n’hésitez pas à poster une photo sur Insta ».
Arrivée en grandes pompes, perchée sur des escarpins rouges, Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité femmes-hommes, vient présenter son livre Lettres à mes filles. Le parterre de mères est déjà conquis. Elles sont unanimes :
« Marlène Schiappa est un exemple de réussite ».
L’ex blogueuse et « mamentrepreuneuses », comme elles aiment se définir, revient sur ses petits traquas de mère. Au premier rang, yeux écarquillés et téléphone en l’air, une femme filme la scène. Direct en story Insta ! Marlène Schiappa l’assure :
« Nous avons besoin de ces mamans entrepreneuses qui comptent dans l’économie du pays et décomplexent tellement les autres mamans. […] Influenceuse, c’est un métier de l’avenir. »
Et les bambins ?
Il y a quelques semaines, l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (OPEN) a épinglé les parents stars de YouTube pour travail illicite. Pour l’organisme indépendant, certains chèques finiraient dans les poches des adultes, plutôt que dans celles des enfants. Pourtant, les mamans rencontrées par StreetPress se défendent de toute malveillance. La plupart expliquent pouvoir leur offrir des jouets et activités auxquels ils n’auraient peut être pas accès sans le blogging. Anaëlle va même plus loin :
« On essaie tout de même de protéger leur intimité et leur innocence »
Sur son compte La brigade d’Anaëlle, elle prend bien soin de flouter le visage de ses deux enfants. « Tant qu’ils ne seront pas en âge de savoir s’ils veulent être reconnus, je ne me le permettrai pas. » De son côté, Bérangère se souvient la fois où une inconnue l’a arrêté dans la rue :
« Elle a reconnu mes enfants… »
La femme s’empresse de lui dire qu’elle les suit assidument sur instagram. « C’était la première fois. Ça m’a vraiment surprise. » Elle se rend compte qu’elle peut vite devenir un personnage public, tout comme ses enfants.
« Ma priorité, garder son innocence intacte ! », assure Lalaa Misiaki, 65 000 abonnés, en légende d’une des photos de sa fille. L’enfant affiche un sourire malicieux et transpire le bonheur. En commentaire, « withoutbitchess » se permet :
« C’est pas pour être méchante mais pourquoi la mettre sur les réseaux sociaux alors ? »
La réponse de la mère est tranchante :
« Faut pas voir le mal partout. On peut exposer son enfant tout en conservant son innocence. »