« Nous, on a toujours privilégié une gestion familiale », lâche FX, propriétaire du dernier Champion de France. Voilà 10 ans que lui et son père refusent d’être rattachés au groupe Carrefour. Ils viennent de déposer les armes.
C’est la fin d’un imbroglio judiciaire qui dure depuis dix ans. Le dernier magasin Champion de métropole, adossé à la butte Montmartre, fermera dans les mois prochains pour laisser place à un Carrefour Market. Plutôt logique quand on sait que tous les autres Champion de France et de Navarre avaient changé de casaque depuis la fusion des deux chaînes en 1999. Mais ici, à deux pas du Sacré Cœur, une de ces enseignes résistait, encore et toujours. Les Gaulois de cette histoire s’appellent François-Xavier et Jean-Pierre Mio, père et fils. Depuis 1989 et jusqu’au mois dernier, ils dirigeaient ce supermarché. Et comme leurs prénoms ne le laissent pas deviner, Fix et J-P sont de vrais punks.
S’ils ont décidé de rester fidèle à leur enseigne historique, c’est avant tout une histoire de contrat. Signé dans les années 80, celui qui liait leur magasin à la marque Carrefour n’avait toujours pas bougé jusqu’au mois dernier. « On voulait bien s’appeler « Carrefour », nous, mais c’était hors de question de signer leurs nouveaux contrats hyper coercitifs », explique François-Xavier. Du coup, le magasin est aujourd’hui encore un Champion.
Au fil du temps, ces autoproclamés « irréductibles » ont un peu fatigué le géant Carrefour, et après vingt années de fight juridique, les Mio ont accepté de plier les Gaules. «On a rendu les clefs en avril dernier, explique François-Xavier. Les mecs qui ont demandé notre éviction en premier sont à la retraite aujourd’hui ! »
« Petit Marché »
L’ambiance dans le magasin est plutôt détendue, en ce brumeux mardi de mai. « Mon truc à moi c’est les farines, le sucre, et les biscottes. Si tu veux des abdos, je fais aussi les produits fitness au bout. » Joël est le remplisseur de rayons le plus speed de l’histoire de la grande distribution. Surtout, le trentenaire ne se sépare jamais de sa casquette, offerte par l’ex-boss Mio le jour de son départ. Rouge tirant sur le pourpre, barrée d’un logo Champion et d’un petit filet de sueur sèche, elle est l’étendard d’un temps révolu.
De son côté au rayon alcool, Antonio se présente comme « le seul noir à gérer une cave ». Il est en train de placardiser ses flacons de Habana quand Cécile, 23 ans de service, balance machinalement des cartons de Belin dans les étalages. « Ici, chacun gère son rayon comme il l’entend, ça ressemble à un petit marché » observe Joël, toujours plus extatique. Dans les sept magasins où il avait travaillé avant, le jeune homme était soumis à des lois strictes, dictées par l’enseigne et par ses chefs de rayon. Pas ici. « Chez Auchan, je portais un petit pantalon à pinces, un badge et une chemise blanche, poursuit le garçon au t-shirt de super-héros ‘Flash’. Ici au moins, on s’habille comme on veut. »
En filigranes, cette petite histoire de quartier est aussi celle de la lutte du maraîcher contre le grand capital. « Carrefour est coté en bourse, explique encore Fançois-Xavier. Leurs actionnaires réfléchissent en retour sur investissement et veulent imposer leur style : un management très directif. » :
« Nous, on a toujours privilégié une gestion familiale, comme dans une coopérative. »
Ambiance marché / Crédits : Lolita Blaissieux
En lutte contre le grand capital
Aujourd’hui, la fière enseigne du Champion est tombée en loques. Et à l’entrée, les publicités pour la carte de fidélité « Iris » détonnent, avec leurs mannequins anachroniques aux gilets trop larges et aux dents trop blanches. Le supermarché sent fort la musique disco et la coupe mulet, et attire les badauds qui le prennent en photo depuis la rue. Certains salariés appellent même leur magasin « le musée ». Sur internet, les avis des clients pleuvent : « Nostalgie quand tu nous tiens (sic), c’est rare de voir un Champion de nos jour alors je vous soutiens car j’ai toujours aimé Champion » s’émeut Clément qui balance cinq étoiles. Tout comme Alexis, qui écrit « Vive le dernier Champion de France » ou Arnaud : « L’ambiance à l’ancienne que cela procure au lieu nous donne l’impression de faire un bond dans le temps ce qui est sympathique. » Joël, l’employé speed, va plus loin et se rêve carrément en « Highlander de la grande distrib’ ».
Pendant longtemps, les gérants du magasin découpaient même à la main les mentions Carrefour sur les publicités dans le magasin. Les patrons prenaient un malin plaisir à titiller l’ogre de la grande distribution. « Dans nos contrats, il était spécifié que nous avions droit à certains prospectus à notre nom », explique François-Xavier Mio :
« Du coup, chaque année, Carrefour était obligé d’imprimer des documents spécialement pour nous, en plus de leur communication officielle. On leur coûtait des milliers d’euros juste pour écrire ‘Champion’ en haut de certains flyers. »
Si elle tient une place si particulière dans le quartier, c’est que l’enseigne est aussi la carte postale d’un autre Montmartre. Celui des vieux bourgeois de la butte et de leurs baraquements en fleurs. Françoise, une cliente de 68 ans, raconte ses 25 ans, quand le magasin s’appelait Félix Potin et que son slogan beuglait « On y revient ! ». C’était le temps des réclames colonialistes pour des marques de cacao en poudre et des pubs TV pour les barres chocolatées Raider. « Maintenant, il n’y a que des bobos ici », s’amuse cette cliente. D’ici quelques mois, une enseigne Carrefour Market retro-éclairée viendra remplacer l’un des bastions les plus « eigthies » de la capitale.
Article en partenariat avec le CFPJ.
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