27/06/2018

À 27 ans, le réfugié rêve de repasser pro

Nazar, de l'équipe nationale du Soudan au club de district du 12e arrondissement

Par Tomas Statius

Nazar a porté les couleurs de la sélection soudanaise et joué pour le plus grand club de son pays. Mais en 2011 il a tout plaqué pour rejoindre l'Europe. Après être passé par Calais, il s'est posé à Paris où il tente de relancer sa carrière.

Ballainvilliers (91) – C’est sur un terrain en bordure de pavillon et d’une salle en taule défraîchie que le club La Camillienne joue le match le plus important de sa saison. « La saison est ratée. C’est ici et maintenant qu’on a l’occasion de la sauver », annonce Mich’, le capitaine, un grand gaillard à la voix claire et au regard pénétrant. Ce dimanche 3 juin, le modeste club du 12e arrondissement joue un 2e tour de Coupe de France. Difficulté supplémentaire : c’est à l’extérieur, sur le terrain du FC Ballainvilliers (91), que tout se joue.

En demi-cercle, une quinzaine de joueurs écoutent la causerie de Michel alors que les rayons du soleil frappent le terrain synthétique. De son côté, Nazar a l’air ailleurs. Il ne débutera pas le match. Renvoyé sur le banc, les bras ballants, l’ancien joueur de l’équipe nationale du Soudan attend son heure. Elle arrive autour de la quinzième minute de jeu quand l’un de ses coéquipiers se blesse. Nazar entre en défense centrale, sous les encouragements d’Omega, l’un des coachs de l’équipe. « Chez lui, on ne voit pas le migrant », explique Michel à l’issue de la partie gagnée 4-2 :

« On voit le joueur. On a pas envie de l’enfermer dans ce truc là. »

Equipé ! / Crédits : Tomas Statius

Crack

Quelques jours plus tôt, c’est en bordure d’une nationale bruyante, dans la maison de Villeneuve-Saint-Georges (94) qu’il partage avec d’autres réfugiés, que Nazar revient sur son parcours. Premiers dribbles à 4 ans, premier tournoi à 9 ans et première victoire dans une compétition nationale à 14… La trajectoire du jeune homme originaire du Darfour a tout de la success story :

« Le foot, c’était tout pour moi. C’était plus important que les études. »

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En numéro 6 ou en latéral droit, son aisance technique fait des merveilles. À la manière de Mickaël Essien, l’ancienne sentinelle de Lyon puis de Chelsea dont il est fan, l’abattage du jeune homme attire rapidement l’oeil des recruteurs. À 17 ans, il rejoint le Shebab Nazir, l’un des clubs de la capitale, en deuxième division soudanaise. C’est ensuite Al Hilal, le club le plus titré du pays avec ses 27 victoires en championnat et ses deux finales de ligue des champion africaine, qui lui propose un contrat l’année suivante. Nazar est promis à un bel avenir sportif lorsqu’il est sélectionné en équipe nationale du Soudan :

« C’était contre l’Égypte. Mes parents étaient très fiers de moi. Le coach nous avait choisi pour nous donner de la confiance. »

À l’époque, le jeune homme rêve d’une carrière à l’étranger. « Je ne pensais pas à l’Europe, c’est trop lointain pour nous », confie l’homme aux fines dreadlocks :

« Mais plutôt au Qatar, à l’Arabie Saoudite ou au Koweït. »

Ascension brisée

Quand on l’interroge sur les raisons qui l’ont poussé à quitter le Soudan, le jeune homme se referme comme une huître. Par pudeur. Peut-être aussi par crainte des risques que pourraient courir sa famille, encore au pays. Sa carrière s’est arrêtée brusquement, résume-t-il, laconique. Et le jeune mec quitte le pays en 2011, sans diplôme en poche. Il traverse le désert d’une traite et arrive en Europe à peine trois semaines après son départ :

« J’étais prêt physiquement, je ne me suis pas attardé en chemin. »

Nazar passe par Vintimille (à la frontière franco-italienne) puis Calais. À la jungle, ironie de l’histoire, il tombe encore sur des footeux. « J’y ai rencontré le capitaine de l’équipe du Tchad, lui aussi était réfugié », se marre le jeune homme. « Aujourd’hui, il joue à Arras, en quatrième division. » L’homme lui propose de faire un essai au Racing Club de Lens. Impossible pour Nazar qui n’a pas de papiers et rêve encore de passer en Angleterre.

Dans la nuit calaisienne, le jeune Soudanais ne rêve que de ballons ronds et de stades enflammés. « Si j’étais passé en Angleterre, j’aurais peut-être pu plus vite me remettre au foot », finit-il par lâcher, non sans une pointe de regret, alors que le jour faiblit. Car en définitive, c’est en France qu’il décide de poser ses valises et une demande d’asile qu’il obtiendra après des mois de galère :

« L’équipe de France de football m’a donné une bonne image. Il y a des arabes, des blancs, des noirs. Je me suis dit que c’était vraiment bien de rester ici. »

« Les soudanais c’est les Brésiliens d’Afrique »

Aujourd’hui, Nazar a envie de rattraper le temps perdu. Et pourquoi pas de passer pro. « À 27 ans, cela va être difficile de jouer à très haut niveau, je le sais mais je compte quand même essayer », annonce-t-il fièrement. « Il se débrouille bien balle au pied mais il a quand même des lacunes tactiques », résume Michel, le capitaine de son équipe. « On l’a pris parce qu’il aime le foot et que surtout il souriait », renchérit Nazar Belghith, responsable du pôle adulte du club de foot. L’homme a accueilli plusieurs footeux réfugiés tout au long de l’année :

« Pour eux, s’intégrer dans un groupe comme une équipe, ça ne peut être que bénéfique. »

Ça se chambre. / Crédits : Tomas Statius

Nazar a également à coeur de démontrer la qualité technique des joueurs de son pays d’origine, trop méconnu à son avis. « Les Soudanais, c’est les Brésiliens d’Afrique. Là-bas, tout le monde joue au foot », conclut le jeune homme, sans ciller. Avec ses potes soudanais, Nazar tape la gonfle deux fois par semaine à Aubervilliers. L’occasion de parler du pays mais aussi d’aider ses compatriotes en galère :

« Il y a plein de joueurs pros [parmi eux]. Mais ils ont peur de jouer. Ils ne comprennent pas comment cela se passe en France. Ils sont perdus. »