Gilles est photo-reporter et membre du collectif La Meute. Camille est documentariste pour Doc du Réel. Tous deux se sont fait arrêter pendant l’occupation du lycée Arago et passeront devant le tribunal en octobre.
Place de la République (3e) – En terrasse du Fluctuat Nec Mergitur, à peine perturbé par le bruit diffus des brumisateurs et les cris d’enfants, Gilles, plus connu sous le nom de Stuv, fait le bilan. Photographe indépendant pour le collectif de journaliste La Meute, le jeune homme pointe son objectif sur tout ce qui bouge niveau mouvement social. Il débute dans la profession, mais plusieurs sites web de médias nationaux ont déjà utilisé ses images.
Si l’affaire a son importance, c’est que le jeune garçon est aujourd’hui poursuivi. Le 22 mai, Stuv accompagnait les lycéens d’Arago, lors de l’occupation de leur bahut. Il s’est fait arrêter en même temps qu’une centaine de manifestants.
Au terme de 48 heures de garde à vue, puis de 20 heures d’attente au dépôt du tribunal, le jeune homme est logé à la même enseigne que ses compagnons d’infortune : il est renvoyé devant le tribunal correctionnel. Il sera jugé en octobre prochain pour des faits « d’infiltration, et de participation à un groupement en vue de commettre des violences ». Un chef d’inculpation largement utilisé depuis plusieurs mois, à l’encontre de manifestants, dont StreetPress vous parlait ici.
Devant les policiers, Gilles tente d’expliquer qu’il fait un travail de photo-reporter :
« Lors des auditions, j’ai dit au policier que j’étais journaliste. Il me répondait que ce n’était pas possible. Que si c’était le cas, j’aurais une carte de presse. »
Un argument souvent utilisé par les forces de l’ordre pour rendre plus compliqué le travail de certains journalistes, comme nous l’expliquions déjà l’année dernière.
Robert Capa serait jaloux de ce tatouage / Crédits : Tomas Statius
Camille est indépendante
La même péripétie est arrivée à Camille. Documentariste indépendante, la jeune femme filme les mobilisations sociales et diffuse son travail sur la chaîne YouTube, le Doc du Réel. Ces dernières sont fréquemment relayées par Mediapart, Les Inrocks ou encore le Huffington Post. Indépendante et bénévole, elle est poursuivie pour les mêmes chefs d’inculpation.
« Elle était dans le lycée en tant que documentariste », s’insurge son avocat Maître Rosenthal. Lors de la garde à vue, la police a voulu exploiter les vidéos que la jeune femme avait prises lors de l’occupation, explique son conseil. Après sa libération, les forces de l’ordre ne lui ont remis ni son appareil photo, ni son téléphone, ni son enregistreur. « L’entièreté de mon matériel de vidéaste est sous scellé, à l’heure actuelle je ne possède plus rien », se lamente la jeune femme dans un témoignage publié sur Lundi Matin. Une cagnotte en ligne a été lancée pour fournir à la jeune femme un nouvel équipement.
Anonymat
Les éléments qui pèsent contre les deux journalistes sont pourtant minces, affirment leurs avocats. « Il avait des lunettes de ski et un masque de chantier. Ce sont les seuls éléments qu’ils ont contre lui », explique Maître Olivier, qui défend Gilles. L’argument ne tient pas. « Sur son casque, il était marqué “photo” en gros », poursuit la robe :
« Quand il a été arrêté, il était en plein live Facebook. Il y a mieux niveau anonymat. »
De côté de Camille, le dossier n’est pas plus épais, remarque son avocat :
« [Dans ce type de dossier] les policiers font des gros coups de filets, mais ils n’individualisent pas vraiment la procédure. »
RSF
Dès leur arrestation, Reporters sans frontières (RSF) a tenté de leur filer un coup de main. « On a essayé de faire en sorte que leur garde à vue ne soit pas prolongée. Sans succès », se lamente Pauline Ades-Mevel, responsable Europe pour RSF :
« Notre but à nous, c’est de défendre les journalistes s’ils sont dans leur mission d’informer. »
Si l’association ne s’est pas encore exprimée publiquement sur le sujet, elle n’exclut pas de le faire d’ici mi-octobre et le procès des deux journalistes. La SDJ de Mediapart a, de son côté, publié une tribune de soutien signée par plusieurs rédactions et personnalités des médias. Deux autres photo-journalistes, détenteurs de la carte de presse, ont également été interpellés à l’issu de l’occupation du lycée Arago. Contactés par StreetPress, ils expliquent avoir passé plus de 26 heures en garde à vue. Ils ont tous deux écopé d’un rappel à la loi.
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