12/04/2018

« Prends mon chien, il est super sage »

L’auto-média de Tolbiac prépare son JT

Par Nina Guérineau de Lamérie

Dans la fac de Paris 1 occupée, rebaptisée Commune libre de Tolbiac, la commission média s'active : tri des journalistes, conf de presse masquée et bientôt un Journal Télévisé.

Fac de Tolbiac, Paris 13e – Dans un couloir reconverti en coin cuisine, où une tambouille courgettes-oignons mijote, les étudiants de la commission médias s’agitent. « Écris pas ça, ce n’est pas français. » Ce mercredi 11 avril au matin, une annonce du président de l’Université Paris 1 laissait penser à une évacuation imminente des bloqueurs de la fac. À 12h45 précises, ils sont quatre regroupés autour d’un petit ordinateur pour rédiger un communiqué de presse. « Ils ne nous vireront pas, la préfecture vient de démentir. Et il y a trop de journalistes devant les grilles ! », croit savoir Tomek, 19 ans, lunettes rondes sur le nez.

Tomek et Martin font valider le com' de presse par l'AG. / Crédits : Nina Guérineau de Lamérie

Au centre de cette équipe, Martin, 22 ans. L’étudiant de socio, assis devant des murs noirs de tags, d’affiches et de graffs, vient de refuser l’accès à la fac à une équipe de télé. « C’est fini les caméras, on a eu trop de problèmes », indique-t-il, catégorique. C’est le cinquième coup de téléphone de journaliste en une heure. Depuis lundi 2 avril, les médias ne sont autorisés à venir que de 15h à 17h. Cheveux clairs attachés en chignon et barbe naissante, ce « Mr Com » est l’initiateur et le moteur de l’auto-média de la Commune libre de Tolbiac – nom autoproclamé du mouvement.

Gros troll

Le 5 avril, l’auto-média fait le buzz. Leur première auto-conférence de presse publiée sur Facebook engrange plus de 500.000 vues. La vidéo, réalisée et écrite par une vingtaine d’occupants, dure moins de 2 minutes. Trois étudiants aux visages dissimulés, assis derrière une grande table posée en extérieure, lisent face caméra un communiqué. Un chien occupe la quatrième chaise et un micro fixé avec du gros scotch sur un manche à balai parasite la scène. Enfin, deux banderoles taguées de slogans jaunes et rouges complètent le tableau.

Une « étrange conférence de presse » titrent de nombreux médias à sa sortie. « Ca ressemble un peu aux vieilles conférences de presse du Front de libération nationale corse [mouvement nationaliste radical terroriste corse] », commente durement un présentateur BFM-TV. « Il y a un chien là non ? », raille-t-il. « Oui », rit sa collègue, un brin méprisante. « Et ils sont masqués parce qu’ils expliquent qu’ils n’ont pas de porte-parole. » Toute cette mise en scène « relève du gros troll », rigole Martin :

« Le chien est dans la vidéo parce qu’il fallait 4 chaises pour couvrir la taille de la banderole. Au moment de tourner il me manquait un volontaire. Une amie m’a dit : “prends mon chien, il est super sage”. On a tous validé ! »

Pour ce qui est des masques, les jeunes militants s’inspirent des zadistes de Bure (Meuse), qui dénoncent un projet d’enfouissement de déchets nucléaires, le visage couvert de masques de hibous. « On ne veut pas personnaliser le mouvement et on ne veut pas de problèmes avec l’extrême droite », détaille Martin.

Cette auto-conférence est un sacré coup de com’ pour les mouvement étudiant. En quelques jours, le nombre de personnes atteintes sur Facebook passe de 150.000 à 500.000… « Si on peut avoir un impact médiatique sérieux et sympa », commente Raphaëlle, 19 ans, participante du jour à la commission média.

Depuis, l’équipe réfléchit à un autre projet : leur tout premier journal télévisé. Martin imagine déjà un mini studio avec fond vert, lumières, caméra et micros. « Il y aura des faux reportages tournés dans les autres facs et tout ! On vous donnera des nouvelles du chien », s’impatiente le réalisateur. Selon nos informations, le chien le plus célèbre du mouvement social, aurait élu domicile à Paris 3.

Quotidien blacklisté

Au delà du fun, l’auto-média sert tout d’abord à renvoyer une autre image du mouvement étudiant. « Je suis choqué par les reportages télé », s’indigne Raphaëlle. Deux semaines plus tôt, le sujet de Quotidien sur les dégradations à caractère antisémite commises dans le local de l’Union des Etudiants Juifs de France, provoque un séisme au sein de la fac. « Le reportage nous a tous bien énervés, ils nous font passer pour des antisémites ! Il fallait qu’on réagisse », relate énergiquement Martin. 24h plus tard, le vendredi 30 mars, il propose de créer l’auto-média de Tolbiac en assemblée générale.

L’idée validée, Martin, animateur en colo en dehors de ses études, ramène des assiettes en carton et de la peinture, ainsi qu’une caméra, une lumière et des micros. « C’est du matos qui sert normalement à ma web-série », un projet universitaire qu’il a lancé avant l’occupation financé par le Fonds de Solidarité et de Développement des Initiatives Étudiantes. Le groupe a tout ce qu’il faut pour démarrer.

« Tout le monde déteste Ego Clément. » / Crédits : Nina Guérineau de Lamérie

Bataille des images

L’atelier peinture-bricolage-réalisation dure tout le dimanche de Pâques et mobilise une vingtaine de participants. Leur première vidéo, diffusée le 1er avril, parodie les immersions du journaliste Bernard de la Villardière. La vidéo est ironique et imite le ton anxiogène du présentateur télé. « On voulait envoyer chier les journalistes », justifie Martin :

« Ils débarquent dans la fac, nous suivent alors qu’on se brosse les dents, au petit-dej. Des copains pétaient les plombs et commençaient à jeter des trucs sur les caméras. »

A Tolbiac, les étudiants suivent avec intérêt l’auto-média. « Il est la voix directe des occupants, explique Raphaëlle. Ça nous permet de construire autre chose, d’avoir un impact et de nous amuser. L’occupation c’est fatiguant. » Anna, 21 ans, étudiante en archéologie, complète :

« Même si on est dans l’auto-dérision, le fond du message reste sérieux. C’est une bonne idée. »

Au micro de France Info, devant la fac. / Crédits : Nina Guérineau de Lamérie