Après l’organisme chargé de recueillir les demandes d’asile (Ofpra) et les tribunaux spécialisés (CNDA), les centres de rétention se mettent en grève pour contester la loi asile et immigration.
Aujourd’hui, c’est journée morte dans près d’une dizaine de centres de rétention administratifs (Cra) de France. A Vincennes, Bordeaux, Toulouse, Rennes, au Mesnil-Amelot, en Guadeloupe et en Guyane, des personnels intervenant aux Cra ont décidé de se mettre en grève pour protester contre la loi asile et immigration, dont le contenu est examiné depuis hier à la commission des lois de l’Assemblée nationale.
/ Crédits : Tomas Statius
Rendez-vous était pris ce mercredi 4 avril à 10h30, place de la bataille de Stalingrad (Paris, 19e) pour un rassemblement. À l’heure dite, une soixantaine de personnes se massent autour d’une sono. Banderoles et drapeaux sont de sortie. Au programme, prise de parole d’associatifs, d’élus, d’intervenants aux Cra mais aussi d’anciens retenus, venus témoigner de leur vie derrière les grilles.
Après la grève des personnels de la CNDA et des agents de protection de l’Ofpra, c’est un nouvel étage de l’asile qui manifeste contre le projet de loi asile et immigration :
« On est quand même les plus à même de témoigner de ce qui se passe dans les CRA. Et d’anticiper les conséquences de la loi, en particulier de l’allongement du placement en rétention. »
Policiers et retenus solidaires des associatifs
« Cette grève est symbolique », annonce tout de go Hortense, intervenante au Cra du Mesnil-Amelot, pour l’une des 5 associations qui intervient dans ces lieux de privation de liberté. Son équipe reprend le travail dès demain. Cela fait fait plus d’une semaine qu’ils ont prévenu policiers et retenus de leur intention de cesser le travail ce lundi 4 avril. « Ils l’ont plutôt bien pris. Les retenus ont dit qu’ils étaient avec nous », rigole Clémence :
« Et les policiers nous ont dit qu’ils étaient contre l’allongement de la durée de rétention. »
/ Crédits : Tomas Statius
« On voulait montrer notre opposition à ce projet de loi », renchérit Sonia, elle aussi employée dans la plus grande prison pour sans-papiers de France.
« 135 jours, c’est une peine de prison »
Entre deux prises de parole, c’est la question de la durée de la rétention qui est sur toutes les lèvres. Le dispositif phare de la loi Collomb : le doublement de la durée du placement en rétention et son extension jusqu’à 135 jours pour les cas de retenus qui refuseraient leurs expulsions. « 135 jours, c’est même plus de la rétention, c’est une peine de prison », s’énerve Clémence :
« On pénalise les étrangers juste d’être étrangers. »
Pour les « habitants » du Cra, cette mesure, aussi, inquiète. « En plein débat sur la loi, c’était la panique », se souvient Justine, intervenante au centre de rétention de Vincennes :
« Les retenus avaient la télé et ils venaient nous voir pour savoir si cet allongement les concernait. »
/ Crédits : Tomas Statius
Pour Alexandre et Lhassan, deux anciens retenus du Mesnil-Amelot, passer 4 mois et demi au Cra est impensable. « Moi je suis resté 40 jours, j’ai l’impression d’avoir fait 3 ans de prison », affirme le second, veste kaki sur le dos et sourire malicieux :
« Il faut que les gens sachent : le Cra c’est un Guantanamo à la française. »
Pour Sonia, l’allongement de la durée de rétention est surtout une mesure inefficace. « 90% des personnes éloignées le sont durant les 12 premiers jours de leur rétention. »
La situation se dégrade
Lhassan est sorti vendredi du Mesnil-Amelot, au bout de 40 jours d’enfermement. Alexandre, dimanche, après 45 jours derrière les grilles. Une fois dehors, ils ne se voyaient pas manquer le rassemblement d’aujourd’hui. « J’ai laissé de bonnes personnes à l’intérieur », explique Lhassan :
« Je voulais témoigner pour eux. »
Les deux hommes, qui se sont connus au Mesnil, en ont gros sur la patate. Ils évoquent, pêle-mêle, les violences policières, les privations, l’ennui mais aussi la crainte permanente d’être expulsés. « Encore aujourd’hui, quand je vois des avions passer au dessus de ma tête j’ai peur », raconte Alexandre. Pour Lhassan, passé au centre de rétention de Vincennes il y a plus de 10 ans, beaucoup de choses ont changé. En pire :
« La violence entre les retenus a augmenté. On met ensemble des gens qui n’ont rien fait et d’autres qui sortent de prison et n’ont rien à perdre. »
« On voit de plus en plus gens démunis, de plus en plus précaires », renchérit Justine. Clémence, elle, craint que les actes désespérés se multiplient :
« On a peur de voir les gens se faire mal, s’auto-mutiler. Le gouvernement espère faire plier les gens par la violence de l’enfermement. »
/ Crédits : Tomas Statius
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