Omar Diawara a commencé dans les cuisines du Plaza Athénée. Mais c'est dans les boîtes de la capitale qu’il s’est constitué son réseau, entre barons du RPR, dirigeants africains et mafieux corses. Portrait d'un entremetteur de la Françafrique.
C’est une époque insouciante et tapageuse qui paraît déjà lointaine. Des princes du Golfe, heureux d’avoir assisté au concert d’un grand nom de la chanson arabe, balancent des billets de 500 francs attablés dans le sélect cabaret-boîte oriental Al-Mawal, connu pour ses richissimes clients originaires du Proche et du Moyen-Orient. Les liasses sont si nombreuses que les employés de ce club de la rue de la Boétie, dans le 8e arrondissement de Paris, les ramassent avec un balai. Ce spectacle particulier, Omar Diawara et son grand ami N’diaye Kane, l’ancien patron de la boîte de nuit le Keur Samba, l’ont vu de leurs propres yeux.
Omar Diawara, Sénégalais de 74 ans qui a débuté sa carrière en faisant la plonge d’un palace parisien, a gravi les échelons jusqu’à devenir un entremetteur discret de la Françafrique. Sa recette ? Un mélange de culot, de fidélité et de discrétion. « Dans la vie, il faut garder ses distances avec les gens. Si tu parles trop, ils coupent les ponts », confie-t-il, trapu et élégant. L’homme en veste de costume bleue et cravate assortie est peu loquace sur son parcours. Au fil des rencontres, « tonton Omar » ou « Monsieur Omar », comme on le surnomme, dévoile pourtant ses réseaux : Charles Pasqua en son temps ou Alain Juppé aujourd’hui encore, usent de son carnet d’adresses africain. A gauche aussi, on ne dédaigne pas non plus ses services : du temps de Manuel Valls, il avait ses entrées à Matignon.
Talking to me ? / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas
Le Plaza Athénée, « sa première maison »
Rien ne prédestinait Omar Diawara à entrevoir le faste des ors de la République. L’homme voit le jour à Dakar, au Sénégal, le 7 septembre 1943. Il passe ses 15 premières années à Nabadji Civol, une commune de la région de Matam située à plusieurs centaines de kilomètres de la capitale sénégalaise. Il grandit dans un milieu modeste. Et n’est pas scolarisé. Ado, il passe ses journées entre le sac de frappe de la salle de boxe et un petit boulot dans la compagnie nationale de chemins de fer.
En septembre 1963, Omar Diawara reçoit une lettre qu’il n’oubliera pas de si tôt. Un ami d’enfance, immigré en France, lui propose de le rejoindre à Paris. Ce dernier bosse au Plaza Athénée, l’un des plus mirifiques palaces de la capitale. Il propose de lui payer le billet. Le cœur d’Omar Diawara s’emballe mais sa famille, plus particulièrement son oncle, ne voit pas l’installation d’un bon oeil :
« Il me dit : ‘Non, ne va pas en France, il fait froid, les Africains sont mal logés’. Il m’a montré des photos de la neige publiées dans Paris Match et il m’a dit que ce n’était pas facile de trouver du travail à Paris. »
Qu’importe, l’homme s’envole pour Paris, sans diplôme, ni oseille. Dans la foulée, son pote lui dégote un job au Plaza Athénée. En quelques mois, l’homme gravit les échelons jusqu’à devenir chef d’intendance à seulement 20 ans. « Ils m’ont donné un studio au 21 avenue Montaigne. J’étais nourri, logé, blanchi », se vante-t-il.
Devant le 21 avenue Montaigne / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas
Oiseau de nuit
55 années plus tard, Omar Diawara a toujours ses habitudes dans le palace parisien. Il boit son thé chaque après-midi dans les salons feutrés de l’hôtel de l’avenue Montaigne. C’est au Plaza, « sa première maison à Paris », que la vie d’Omar change de dimension et prend un tour mondain. Pendant ses 13 années de service, il croise Omar Sharif, Jean-Paul Belmondo, Alain Delon, Mike Tyson… En parallèle de son job, il devient physionomiste dans un club de l’avenue Pierre 1er de Serbie, à cheval entre le 8e et le 16e arrondissement. L’ambitieux fréquente également d’autres bars et clubs africains de la capitale.
Keur Samba 4ever
C’est à La Plantation (rue Montpensier, Paris 1er), au milieu des années 1960, qu’Omar Diawara fait la connaissance de N’diaye Kane. Les deux hommes accrochent. En 1976, l’homme d’affaires franco-mauritanien lui propose de travailler dans la nouvelle boîte de nuit qu’il vient d’acquérir, le Keur Samba, rue de la Boétie. Là-bas, « Tonton Omar » ouvre la porte au tout Paris 8 années durant : Serge Gainsbourg, Prince, Roger Moore, Miriam Mabeka, Kool and The Gang, Claude Brasseur, Yannick Noah, Barbara… Assis dans un confortable fauteuil d’une brasserie du 8e arrondissement, il énumère les artistes qui viennent y faire la fête. Un soir, à l’entrée de ce temple de la nuit parisienne, Omar se serait payé le luxe de recaler Johnny Hallyday :
« J’étais dur à la porte du Keur Samba. »
Au « Keur », riches étrangers, people et politiques côtoient les milieux interlopes de la capitale. Diawara y fait ainsi la connaissance de certaines figures du milieu corse, dont l’ex-conseiller général RPR Marcel Francisci. « L’empereur des jeux », assassiné le 15 janvier 1982 à Paris, avait la main sur l’un des principaux cercles de jeux parisien, l’Aviation club de France, aujourd’hui fermé. Ou de la famille Oudjman, qui recrute « monsieur Omar » pour s’occuper du Ruby’s, rue Dauphine, à partir de la seconde moitié des années 1980, jusqu’au début des années 1990.
En mode sparring avec Mohammed / Crédits : DR
Un proche de Charles Pasqua
En l’espace d’une décennie de vie nocturne, Diawara s’est constitué l’un des carnets d’adresses les plus conséquents de la capitale. Et cela n’échappe pas à certains. Dans les années 70 et 80, le « Keur » est l’un des centres stratégiques de la Françafrique. On y négocie les contrats sur des coins de table. Les ministres africains festoient, bras dessus bras dessous, avec les hommes politiques français.
C’est à cette époque qu’Omar Diawara croise la route d’Alexandre Djouhri. Le sulfureux homme d’affaires, inquiété par la justice dans l’affaire du financement présumé de la campagne de Nicolas Sarkozy par la Libye en 2007, est un habitué des canapés du Keur. Il aurait usé des réseaux franco-africains de « Monsieur Omar » pour commencer son ascension vers les sommets.
L’ancien physio fréquente un autre personnage clef du RPR : l’ex-ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua. A la fin des années 1980, raconte Omar Diawara, il n’est pas rare que les deux compères déjeunent chez DIEP, un resto huppé sino-thaïlandais du 8e. Ou de les croiser dans les couloirs du Palais du Luxembourg. Rien ne filtre sur le contenu de leurs échanges. Diawara reste muet et assure n’avoir rien reçu en échange de ses quelques services. Si ce n’est une boîte de cigares, offerte pour son anniversaire.
L'intriguant Monsieur Omar / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas
Son « frère », Jean-François Probst
Des salons du « Keur » aux cabinets ministériels, il n’y a qu’un pas que « Monsieur Omar » franchit à l’orée des années 1980. Son parrain en politique s’appelle Jean-François Probst. Ce baron du RPR, ancien conseiller de Jacques Chirac, rencontre « Monsieur Omar » dans les années 1970 au Plaza. S’en suit une solide amitié de plusieurs dizaines d’années. « Il était tout le temps avec Jean-François. On ne sait pas s’il était son garde du corps, son ami », se souvient le sénateur LR de Paris Pierre Charon.
A ses côtés, Diawara met les mains dans le cambouis politique. Il pilote des séances de tractage à Bois-Colombes, une commune des Hauts-de Seine où Probst a été maire, entre 1986 et 1989. En remerciement, Probst lui dégote un pavillon. Diawara rejoint l’écurie Chirac pour les présidentielles de 1981, 1988 et 1995, avant de faire campagne pour Jean Tibéri aux municipales de 1995 et 2001, à Paris. L’homme ne regarde pas les étiquettes politiques et n’oublie pas ses quelques amis de gauche. « Il a une compréhension humaine des gens qui font la politique, mais il ne fait pas la différence entre les partis, ce n’est pas son truc », justifie l’ancien conseiller Afrique et monde arabe de Manuel Valls à Matignon, Ibrahima Diawadoh N’jim.
« Jean-François, c’était mon ami, mon frère », confie finalement Omar, non sans émotion. Ça, c’était avant la brouille. Un jour où l’ancien conseiller régional francilien, grand fêtard et habitué du Keur Samba, boit plus que de raison et le traite d’agent « d’Al-Qaïda ». « C’est lui qui m’a lâché », soutient « Monsieur Omar ». Il ajoute, soudainement et très brièvement revanchard :
« Il venait au Ruby’s, il n’a jamais payé une bouteille. Il s’est fâché avec tout le monde ».
Dans l'entrée du Plaza / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas
Carrefour de la françafrique
Probst a également utilisé la carte de visite Diawara pour nouer des liens entre responsables du RPR et dirigeants africains. Diawara lui aurait ainsi présenté le président gabonais “Omar Bongo”:https://www.streetpress.com/tag/bongo et son homologue congolais, Denis Sassou-Nguesso. La méthode est rodée : l’ex-physio fait d’abord la connaissance de leurs enfants au Keur Samba ou au Ruby’s. Ses derniers vantent ensuite les mérites de ce bienveillant « Tonton Omar » auprès de leur père, qui le rencontre lors de leur passage à Paris. Au fil des années la liste de ses « amis » africains, qu’il présente pour la plupart à Probst, s’étoffe : Abdou Diouf, l’ex-président sénégalais, Mahammed Dionne, l’actuel premier ministre, mais aussi des banquiers, comme son grand ami Mamadou Diagna Ndiaye, des hommes d’affaires puissants, ou encore le célèbre tailleur de l’avenue Rapp, dans le 7e, Pape Ibrahima N’diaye. « Il connaît beaucoup de monde mais il n’en joue pas pour autant. C’est pour ça que beaucoup de monde lui fait confiance et que des ministres aiment lui parler », oppose l’avocat N’Ji Modeste Mfenjou. « Il met les gens en relation sans rien attendre en retour, il ne réclame jamais de reconnaissance. On ne l’entendra jamais dire qu’il a aidé tel ou untel », abonde le gestionnaire de projets Cheickh Oumar Kane.
Probst lui ouvre les portes du pouvoir. Il l’introduit auprès de deux anciens premiers ministres, Dominique de Villepin et Alain Juppé. Pour preuve, « Monsieur Omar » brandit une photo de lui au côté du maire de Bordeaux. C’était en avril 2016, aux Journées nationales de la diaspora africaine organisées à Bordeaux. Devant quelques piliers de la diaspora africaine, le candidat à la primaire LR bat le rappel en vue de la prochaine élection. Photo suivante : un selfie avec un ancien de la Chiraquie, le Défenseur des Droits, Jacques Toubon, avec qui il a déjeuné fin février à Paris.
Tape la pose avec Alain et Jacques / Crédits : DR
Les soirées glauques du Rubys’
Après le Keur Samba et le Rubys’, Diawara dirige pendant cinq ans une autre boîte de nuit africaine de Paris, le Titan, avenue de Clichy. « Monsieur Omar » revient ensuite s’occuper du Rubys’, de 2000 à 2004. « La boîte a fermé car il y avait trop de bagarres. Le propriétaire n’a pas renouvelé le bail », explique Diawara, alors officiellement directeur du club. Le Ruby’s a écopé d’une fermeture administrative de six mois en août 2004, écrit le Parisien. Il ne rouvrira pas par la suite. Quelques jours plus tôt, Diawara et deux autres dirigeants du club avaient été interpellés, sur fonds de soupçons de proxénétisme.
« Je veillais à ce que les filles payent leurs consommations ou à ce que les hommes leur demandent avant s’ils pouvaient les inviter », se défend Diawara. Il écope d’une interdiction de gérer une boîte pendant cinq ans. L’intéressé dit ne jamais avoir vu de prostitution dans son établissement. Plusieurs habitués de l’époque interrogés par StreetPress disent pourtant avoir évité les nuits glauques du Ruby’s, où l’on croisait des hommes blancs, souvent âgés, avec des jeunes femmes noires. « Naïvement, il ne voyait pas les soucis, ou trop tard. C’est quelqu’un d’innocent et d’honnête. Il ne se mêle pas des affaires des autres », défend « Monsieur Kane ». « Sa naïveté peut lui causer quelques préjudices, il fait confiance rapidement aux gens », renchérit Ibrahima Diawadoh N’Jim, qui l’a invité à plusieurs reprises à Matignon lors du précédent quinquennat.
Omar Diawara est toujours là / Crédits : Yann Castanier / Hans Lucas
Booba en guest-star à l’Albarino
Cette tâche sombre, ne sonne pas pour autant la fin de la carrière de « Monsieur Omar ». En 2005, il prend la direction de l’Albarino, un restaurant africain haut de gamme du 16e arrondissement. La présence de cet homme de réseaux incite de célèbres clients à venir déjeuner ou dîner, comme le rappeur Booba. « C’est Omar qui fait tourner la boutique », précise Cheickh Oumar Kane.
Avec le boss de l’OM
« L’Albarino, c’est le lieu où beaucoup de gens de l’élite africaine se voient », souligne Ibrahima Diawadoh N’Jim. Les deux hommes, originaires de la même région de Matam, à la frontière entre le Sénégal et la Mauritanie, se sont rapprochés ces dernières années. « Monsieur Omar » a « un parcours exceptionnel, sans faute » vante l’ancien conseiller de Manuel Valls.
« Avec Omar, on partage toujours quelque chose avec lui : la culture, la musique africaine… Et quand il crée un restaurant, on est toujours dans le partage », déclare pour sa part Nji Modeste Mfenjou. Il ajoute :
« Il inspire les jeunes et leur montre que quand vous êtes déterminés, vous y arrivez ».
Cette longue carrière, à la confluence du monde de la nuit, de la politique, des relations internationales et des affaires de gros sous, Omar Diawara l’évoque avec ses mots. « Oui, j’ai bien réussi ma vie. Quand tu es correct, les gens te font confiance », estime-t-il. Il livre une anecdote :
« Un jour, un ami m’a dit : ‘tu viens de la brousse et ton premier logement en France c’est dans le 8e, c’est pas mal. Tu as bien réussi’ ».
On n’en saura pas plus.
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