En politique, on n’a que peu d’amis mais on peut compter sur sa famille: malgré l’interdiction des emplois familiaux, de nombreux (ex)députés et sénateurs continuent de placer leurs enfants auprès des copains.
La Macronie l’avait promis : désormais plus de piston, façon Fillon. La République sera exemplaire. Vraiment ? La loi de confiance dans la vie publique adoptée le 15 septembre a mis fin aux emplois directs des conjoints et des enfants de députés et sénateurs, mais elle est loin, très loin d’avoir enterré les pratiques d’entre-soi de « l’ancien monde ». En novembre, Streetpress avait révélé le goût de certains députés marcheurs pour les embauches croisées.
Aujourd’hui, nos investigations attestent que, du Palais Bourbon à celui du Luxembourg, en passant par quelques collectivités territoriales, nombre de parents et de proches de politiques continuent à tranquillement officier. Licenciés au nom de la moralisation ou privés de boulot par le raz-de-marée jupitérien des législatives, beaucoup se sont recasés à la faveur des réseaux de leurs chères familles. Bref, sous les ors de notre méritocratique République, le copinage bouge encore. Martelée à grand renfort de com par la fanfare macronienne, l’opération transparence a proscrit le népotisme à la Fillon, mais la vertu des Marcheurs a des limites et la loi qu’ils ont pondue n’empêche en rien le favoritisme à l’embauche. La preuve par plusieurs exemples de recrutements légalement admissibles mais moralement urticants.
Après la défaite, il faut recaser sa famille
Jusqu’aux législatives de juin 2017, Stéphanie Boisserie oeuvrait comme attachée parlementaire de son député de beau-père, le socialiste Daniel Boisserie. Battu dans son fief de Haute-Vienne par Jean-Baptiste Djebbari, candidat LREM issu de la société civile, le briscard socialiste n’a pas entraîné Stéphanie dans sa chute. Dotée d’un vrai sens du rebond, cette dernière met aujourd’hui ses compétences au service du tombeur de son beau-père : « Je n’ai bénéficié d’aucune aide d’aucune manière pour ce nouveau poste » affirme sans rire la nouvelle petite main du député Djebbari.
Variation sur le même recyclage avec Anne-Charlotte Brandt-Bailly : fille et collaboratrice de Dominique Bailly, sénateur PS défait lors du scrutin de septembre 2017, Anne-Charlotte n’a pas longtemps fait campagne pour retrouver un job. Elle s’est tout naturellement reclassée auprès de deux collègues de son paternel, les sénateurs socialistes Marie-Françoise Pérol-Dumont et Bernard Lalande. Questeur comme papa en son temps, Bernard Lalande n’ignore rien de la gestion du budget et du personnel de la Chambre Haute et sait pertinemment que le repêchage d’ « une fille de », aussi contestable soit-il, ne l’expose ni à sanction ni à déclaration à la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP). Membre de l’indulgent Comité de déontologie parlementaire du Palais du Luxembourg, le sénateur de la Somme Jérôme Bignon ne s’émeut pas de ces passe-droits. Il assume à mots choisis :
« Au Sénat, on lave notre linge sale en famille. »
Impunité donc pour Marie-Pierre Monier : sénatrice PS de la Drôme depuis 2014, elle a recruté Auriane Besson, fille et ex-collaboratrice du socialiste et Drômois Jean Besson. Faute d’avoir remis son mandat de sénateur en jeu en 2014, ce père attentionné a pris soin de ne pas laisser sa progéniture sur la touche.
Comme chacun sait enfin, à la Ligue du Sud, on préfère sa famille à ses amis, ses amis à ses voisins etc…Alors en bon soldat de l’extrême droite, Jacques Bompard, contraint à démissionner de son poste de député du Vaucluse pour cause de cumul des mandats, n’a pas lâché son fiston Yann : après l’avoir employé comme collaborateur à l’Assemblée jusqu’en août 2017, il l’a bombardé au même poste aux côtés de Marie-France Lohro, son ex-suppléante devenue députée. Que les emplois familiaux réapparaissent aujourd’hui sous une forme déguisée ne défrise étonnamment pas les syndicats de collaborateurs parlementaires : « Sur un plan moral et déontologique, cela peut poser question », concède Florence Faye de l’Unsa (Union nationale des syndicats autonomes). « Mais le vrai problème, c’est le contrôle de l’effectivité du travail, qu’on soit de la famille ou pas ».
Chef de cabinet et fils ou fille de
Fils de Nicolas About, ancien sénateur Modem des Yvelines, Quentin About ne détecte aucune malice dans ces petits arrangements. « Il y a une forme de cercle qui se fait bizarrement, naturellement. Ce n’est pas désagréable » admet-il benoîtement. Pur produit du renvoi d’ascenseur, il doit tout au centriste Michel Laugier, qui lui-même ne serait rien sans …Nicolas About ! Rembobinons, le piston est compliqué : en 1993, About senior est maire de Montigny-le-Bretonneux et recrute Michel Laugier comme chef de cabinet. Dix ans plus tard, Laugier succède à son mentor à la tête de la ville. En 2014, il devient président de la communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines et propulse tout naturellement About junior au poste de chef de cabinet. Et quand Laugier est élu sénateur sous la bannière de l’UDI en 2017, qui croyez-vous qu’il nomme attaché parlementaire ? Le fils, Quentin About, bien sûr !
« Quand on est UDI, c’est plus facile de travailler sur un territoire UDI ! Ce n’est pas très grand, il n’y a pas pléthore d’élus », commente Valentine Vercamer, fille et ex-assistante parlementaire de Francis, député centriste du Nord. Obligée à la démission par la loi de moralisation, elle a vite raccroché les wagons. En octobre dernier, elle est nommée directrice de cabinet par Olivier Henno, maire UDI de Saint-André-Lez-Lille. « Mon père et Olivier se connaissent bien, ils se côtoient notamment à la Métropole Européenne Lilloise (Mel), c’est un petit monde », concède Valentine Vercamer sans faux-semblant. Depuis, Olivier Henno a rejoint le Sénat, mais Vercamer fille travaille toujours pour Elisabeth Masse, qui lui a succédé.
En Corrèze aussi, on sait ce que « microcosme » signifie. Frédéric Soulier, maire LR de Brive-la-Gaillarde, n’a jamais fait mystère de sa proximité avec Claude Nougein, sénateur LR de son territoire. Témoignage de cette belle amitié : le contrat d’attachée parlementaire qui lie Paula Soulier, conjointe de Frédéric, à Claude Nougein. Histoire de minorer son rôle, l’intéressée précise :
« Je gère l’agenda, les invitations… La partie politique, c’est l’autre assistante qui s’en occupe. »
Une petit job à la région
Maryll Guilloteau, elle, affiche des états de service moins anecdotiques. Attachée parlementaire de son père, député LR du Rhône jusqu’en 2016, la jeune fille a su rentabiliser son carnet d’adresses. Quand Christophe Guilloteau a quitté l’Assemblée où il employait aussi sa compagne (!), elle a intégré la région Auvergne-Rhône-Alpes. Son job ? Chargée de mission au sein de la Direction des Assemblées et des Relations aux Élus (Dares), une section stratégique où manoeuvre Ange Sitbon, l’ex « Mr Élections » de l’UMP reconverti en éminence grise de Laurent Wauquiez, dont StreetPress dressait le portrait. Expert du découpage électoral, l’homme pilote une cellule officieuse chargée d’attribuer des subventions aux collectivités locales. Sachant que Christophe Guilloteau dirige aujourd’hui le Conseil Départemental du Rhône, les fonctions de sa fille posent au mieux la question du mélange des genres, au pire celle du conflit d’intérêts. Sollicités par Streetpress, ni le père ni la fille n’ont retourné nos appels.
Non exhaustif, cet inventaire des mini combines et des méga privilèges atteste que si la moralisation est en marche, c’est à tout petits pas qu’elle avance. Et cinq mois après son entrée en vigueur, la loi de la confiance dans la vie publique sent bon le pétard mouillé.
Enquête réalisée par Laure Dandolo, Manon Marc, Marion Vanmansart, Florian Domergue, Chloé Demarais, Assia El Kasmi, Axel Lambert, Jérémy Piot, Inès Edel-Garcia, Merima Huasenbasic, Manon Walquan, étudiants à la StreetSchool et encadrée par Nathalie Gathié .