Marie Dasylva est « en guerre » contre le sexisme et le racisme. Avec son agence Nkali, la militante endosse le rôle de coach en entreprise pour ces banquières, avocates, secrétaires ou encore étudiantes, victimes de discriminations au quotidien.
Café Comptoir des Arts, Paris 5e – « Je suis un peu la bonne copine qui te dit la vérité, celle que tu n’as pas envie d’appeler parce que tu sais qu’elle va te tuer. Je suis la no-bullshit friend », lance Marie Dasylva, assise dans l’un des confortables sofas de son QG, un bistrot du 5e arrondissement. Une tasse de café sur la table, l’auto-entrepreneuse parle vite, avec la verve des convaincus. Depuis presqu’un an, elle joue les coachs de vie en entreprise pour femmes racisées, soit celles qui partagent l’expérience sociale qu’est le racisme. Ces dernières sont banquières, avocates, secrétaires ou encore étudiantes. Elles viennent demander conseil à Marie en prévision d’un entretien d’embauche, de litige, de demande d’augmentation, de harcèlement ou de malaise persistant au travail. Déterminée, elle balance sans détours :
« À l’intersection du racisme et du sexisme, la racisée est en guerre. »
Raison pour laquelle elle a fondé son « agence d’empowerment » il y a un an, baptisée Nkali. « C’est un mot igbo qui veut dire ‘se réapproprier sa narration’. » Elle est régulièrement contactée sur Twitter, où elle se fait appeler SnatcheuseDeFranges. Ses threads #JeudiSurvieAuTaf sont attendus chaque semaine par sa communauté. Elle y raconte les expériences de ses clientes et solutions trouvées ensemble à grand renfort de gif.
C'est jeudi . pic.twitter.com/dIxm12SMcf
— SnatcheuseDeFranges (@napilicaio) 30 novembre 2017
Figure connue de la communauté afro-féministe, la militante estime avoir « trouvé un métier où il y a du taf ». Coaching perso – entre 35 et 75 euros la séance, selon les moyens de chacun -, workshops, conférences, tweets, la jeune femme de 34 ans espère pouvoir toucher le plus de femmes possible :
« Asseyons-nous ensemble et essayons de trouver des moyens pour survivre. Il serait temps. »
REDONNER DU POUVOIR
Marie parle de ses clientes comme de ses propres filles, en faisant de grands gestes et en ne tarissant pas d’éloges. Une vraie maman poule. « Parfois, je leur mets des gros coups de pression. Et dès qu’elles partent mettre en pratique ce qu’on a dit, je suis en stress ! J’hyper-ventile en attendant qu’elles me rappellent pour me dire que tout s’est bien passé. » Elle les appelle « pépite » :
« Pépite ? Parce que c’est beau, ça brille et c’est quasiment indestructible. Les femmes que je rencontre sont de véritables pépites. Mon job, c’est de leur montrer. »
La coach se souvient que l’une d’elles l’a un jour appelée très tard, paniquée :
« Pépite est noire et lesbienne. Et elle avait croisé une de ses collègues en sortant du cinéma, alors qu’elle était avec sa copine. »
Manque de bol, elle n’est pas out dans son entreprise et la collègue en question n’est pas connue pour sa bienveillance. « Je lui ai dit de se détendre et d’arriver avec sa meilleure robe et son meilleur rouge à lèvres en hot lesbienne le jour suivant. » Marie lui conseille d’aller rencontrer la fameuse collègue à la machine à café et de lui parler du film qu’elle a vu ce soir là. « Je lui ai dit : “Tu n’as rien à te reprocher donc tu n’as pas à l’esquiver. Et tu ne rases pas les murs !”. » Ce qu’elle a fait, non sans hésiter un million de fois. Une question sur sa petite amie ? « C’est ma vie privée, je ne préfère pas la mêler à ma vie professionnelle », a-t-elle rétorqué droite dans ses bottes. La collègue lui a promis qu’elle ne dirait rien.
"Et tu ne rases pas les murs !" / Crédits : Inès Belgacem
Dans le jargon de Marie Dasylva, ce type de situation revient à « reprendre le pouvoir ». Soit verbaliser les situations discriminantes et reprendre confiance en soi :
« Parfois on perd du pouvoir. Comme ce moment où ton collègue Jean-Mich’ se permet de mettre sa sale main dans tes cheveux, que tu as envie de le tuer, mais… si tu le tues tu vas en prison et à 16h il faut aller chercher ton gamin à l’école. Alors tu ne dis rien. Là, tu as perdu du pouvoir. »
« JE SUIS MON PROPRE DIPLÔME »
Les femmes qui viennent la voir sont parfois angoissées à s’en rendre malades. La coach travaille avec une avocate et une psychologue pour accompagner ses clientes, si nécessaire. Elle poursuit, le regard perdu dans le vague :
« Il est si facile de se dévaloriser, de minimiser une situation injuste et d’en venir à la conclusion que c’est notre faute et qu’on l’a mérité. »
La jeune femme sait de quoi elle parle. « Quand on me demande mes qualifications, j’aime répondre que je suis mon propre diplôme. » Avant Nkali, elle travaillait pour des marques de luxe. Un burn out plus tard, elle est licenciée et s’est reconvertie. « Je ne me sentais pas légitime. J’avais un poste à responsabilité et j’avais l’impression de ne pas avoir le droit à l’erreur. » Une sensation renforcée par les commentaires de ses collègues et patrons. C’est plus tard, pendant une longue période de remise en question, qu’elle s’est interrogée sur le racisme et le sexisme en entreprise :
« À 34 ans, on ne m’a jamais traité de négresse. On ne va pas se mentir, on n’est pas non plus au temps béni des colonies. Mais les micro-agressions perpétuelles qui te remettent à ta place et te rappelle que tu n’es pas comme tout le monde n’aide pas à la confiance en soi. »
À l’époque, elle est la seule femme noire de son entreprise :
« Toutes les erreurs sont racialisées. Nous n’avons pas le luxe d’être solo. Quand nous gaffons, c’est toute la communauté noire qui gaffe. Preuve en est, on entend encore ‘plus jamais je n’embauche de noire – ou d’arabe, au choix -, le dernier était comme ci’… »
Au bureau, elle assure être la seule à recevoir certains commentaires et questions gênantes : « Tu as un mec blanc ? », « Mais comment tu as eu ce poste en fait ? », « Tu es née ici ou là-bas ? ». « À cette dernière question j’aime répondre “je suis née en France et toi”. Ça met toujours ton collègue blanc très mal à l’aise », rigole celle qui n’hésite plus à créer des situations embarrassantes pour dénoncer les discriminations :
« Nous, les femmes, sommes conditionnées à faire attention aux sentiments de l’autre. Quand tu parles de sexisme ou de racisme, tu casses l’ambiance. Pourquoi devrions-nous faire attention aux émotions d’autrui quand personne ne se soucie des nôtres ? »
Marie Dasylva a décidé de casser l’ambiance pour encore quelques années. Radicale, en colère, cynique, elle considère être « en guerre », « parce que le racisme et le sexisme attaque notre santé mentale de manière énorme ». Une mission qui rend aussi fière qu’elle inquiète sa mère :
« Elle n’arrête pas de me répéter ‘tu vas finir en prison’. Secrètement, je crois qu’elle se prépare à garder mon fils. »
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