12/12/2017

« Ici c’est un peu notre centre de rencontre »

Le Mandeeq, resto-épicerie des réfugiés somaliens

Par Jeanne-Marie Desnos

Le Mandeeq est bien plus qu’un simple resto. Dans cette petite épicerie qui fait aussi restaurant, à deux pas de la Chapelle, les réfugiés somaliens viennent chercher conseil et coups de main.

Paris (18e) – Placardée en plein centre de la vitrine du resto, l’affiche attire l’œil. Le texte, rédigé en trois langues, français, anglais et somali, lance aux passants un sobre appel à la générosité. Depuis le pire attentat jamais perpétré en Somalie, plus de 300 morts le 14 octobre dernier à Mogadiscio, la communauté somalienne française tente comme elle peut d’aider les familles restées au bled.

Abdi, propriétaire du Mandeeq, a quitté le pays en 2003. De longues années d’attente à Malte plus tard, il finit par obtenir son visa de réfugié et débarque à Paname en 2009. « Mon père tenait une épicerie à Mogadiscio, c’est comme ça que j’ai appris le métier », lance le grand gaillard de derrière sa caisse. Après plusieurs expériences dans la grande distribution, à 32 ans, le jeune homme plutôt discret, vêtu ce jour-là d’une chemise bleue à carreaux sous un bombers kaki, a ouvert son commerce en avril dernier et il n’en est pas peu fier. Il faut dire que l’échoppe, située à quelques pas du métro Marx Dormoy, ne désemplit à aucune heure de la journée. Elle est devenue le point de rencontre d’une bonne partie des réfugiés somaliens qui vivent à Paris.

Salon de thé et épicerie / Crédits : Jeanne-Marie Desnos

BIEN PLUS QU’UN SIMPLE RESTO

Il est 15h en cet après-midi d’automne. La salle principale du commerce est bondée. Dans l’angle du fond à gauche, Abdi a déposé un drapeau français. La grande pièce carrelée et éclairée par des néons blafards est cernée de murs gris. S’y exposent, au-delà des produits habituels de toute épicerie parisienne, une poignée de références typiques de l’Afrique de l’Est, importées depuis un grossiste en Angleterre : des épices spéciales pour le riz, des bidons d’huile de sésame, et diverses sortes de haricots exotiques.

Une bonne trentaine d’hommes ont investi le lieu. Certains sont installés sur des tables en plastique blanc et rouge, disposées çà et là autour du comptoir réfrigéré du coin cuisine. Chez Abdi, on mange somalien : de grandes assiettes blanches sont remplies de Federation, un plat typique composé de riz safrané, pommes de terre, spaghettis, cuisses de poulet et morceaux de viande de bœuf en sauce.

Comme à la maison / Crédits : Jeanne-Marie Desnos

« Je viens ici tous les week-ends, le samedi et le dimanche ». Ali, 29 ans, grand mec à la silhouette longiligne, jean délavé et polo gris, bosse dans le transport et la logistique à Mitry-Mory :

« La semaine, au travail, je ne vois que des Français. Au Mandeeq, on parle somali et on prend des nouvelles du bled. C’est un peu notre centre de rencontre ».

LITTLE MOGADISCIO

La petite rue où est installé Mandeeq prend, depuis quelques années, des allures de « Little Mogadiscio ». Trois commerces d’origine somalienne ont déjà ouvert. Et un quatrième ne devrait pas tarder à s’installer. Au 84 de la rue Philippe de Girard, soit la porte adjacente au Mandeeq, se trouve l’épicerie-salon de thé Banadir. Hassan, le propriétaire, a fondé sa boutique en 2015. Fort de son succès, il prévoit déjà d’ouvrir une deuxième adresse : ce sera un restaurant, cette fois.

Non loin de là, rue Marx Dormoy, le Som Café a ouvert ses portes en 2016. Là aussi, on trouve une salle comble. Le salon de thé, avec sa devanture vert-blanc-rouge, est aux couleurs du Somaliland, une région somalienne autoproclamée État indépendant depuis 1991 et toujours pas reconnu par la communauté internationale.

Des trois échoppes, le Mandeeq est la plus récente. Mais le resto d’Abdi a rapidement su décrocher la place de numéro 1 dans le cœur de ses clients. « La différence ? », lance Adam, 26 ans, client du Mandeeq depuis ses débuts. « Ici c’est grand, c’est spacieux, mais surtout c’est bon parce que c’est pas du surgelé ».

AIDE AUX NOUVEAUX

En réalité, la plupart des clients ne sont pas là que pour manger. « On accueille environ 60% de demandeurs d’asile », indique Abdi :

« Ils viennent ici pour chercher de l’assistance, dans leurs démarches administratives notamment. »

Adam fait partie des anciens. Arrivé en France en 2009, il habite le quartier et travaille dans la métallurgie. Le jeune homme, blagueur et souriant, se rend au Mandeeq plusieurs fois par semaine. « Quand j’ai un creux dans mon emploi du temps », explique-t-il. Tout comme nombre de réfugiés plus expérimentés, il passe avant tout pour venir en aide aux nouveaux. « Je pense à l’intérêt général », confie-t-il :

« Quand on arrive en France, on est complètement livré à soi-même, j’essaie tant que je peux d’aider les personnes en détresse. Je les aide avec le français, à faire leurs demandes de visa, de CMU ou de CAF. J’aide aussi pour les CV et la recherche d’emploi. Je fais ce que je peux mais je ne suis pas non plus les restos du cœur. »

Outre l’aide et le réconfort que la diaspora somalienne peut offrir, le Mandeeq présente un autre avantage non-négligeable pour les nouveaux arrivants : contrairement au Franprix, certes moins cher, Abdi fait crédit. Adam plussoie l’initiative :

« Les gens qui viennent ici sont des demandeurs d’asile. Ils vivent en foyer, ils doivent survivre avec moins de 200€ par mois. La possibilité d’obtenir un crédit leur assure une certaine stabilité. »