30 demandeurs d’asile expulsés par la municipalité de Montreuil survivent grâce à la solidarité des voisins. Mais l’hiver sous la tente s’annonce froid.
Rue Gambetta, Montreuil (93) – Derrière une rangée de tentes, une silhouette apparaît, casserole fumante entre les mains. Françoise, femme élancée de 56 ans, habite au coin de la rue Gambetta. Son truc c’est le café et le thé. Ce soir, emmitouflée dans son grand manteau en laine, elle amène une infusion d’hibiscus à la trentaine de demandeurs d’asile, originaires d’Afrique de l’Ouest, réfugiés depuis plus d’un mois sur ce bord de trottoir.
Le 6 octobre dernier, ils ont été expulsés de leur domicile, au numéro 30 de la rue, après avoir été escroqués par un homme qui se disait propriétaire des lieux. Aujourd’hui ils vivent à la même adresse, mais dehors. « C’est la Mairie qui nous a expulsés », raconte en colère Ami, petite femme forte de 32 ans, originaire de Côte d’Ivoire. Elle ajoute, soudainement apaisée :
« C’est grâce aux voisins qu’on vit. »
« On nous a arnaqués »
Depuis leur expulsion, le trottoir déborde de tentes multicolores. Au-dessus de la nouvelle porte blindée de l’immeuble s’affiche une banderole rouge : « Relogez les expulsés ! ».
Les femmes du camps sont accueillies par des Montreuillois. / Crédits : Marion Vercelot
La trentaine de personnes aujourd’hui à la rue se sont rencontrées dans cet immeuble, après avoir été flouées par le même homme. « Il nous a arnaqués », s’étrangle Neituna. La trentenaire a les traits fins, le regard triste. Originaire elle aussi de Côte-d’Ivoire, elle se rappelle avoir croisé celui qui se disait bailleur au foyer où elle logeait avec son copain. Il leur promet un appartement dans la ville de Seine-Saint-Denis :
« Il nous a pris 800 euros et nous a donné les clefs et les papiers. »
Mais l’immeuble appartient en fait à la municipalité. Et le vendredi 6 octobre, cette dernière les a mis à la rue, à la grande surprise des locataires, comme le raconte Ami :
« On leur a montré le bail. Ils nous ont fait sortir, comme des moutons. »
« Et ça se dit mairie de gauche après ! », s’insurge Françoise en donnant un gobelet à Neituna. Une situation insupportable pour ces riverains qui se sont organisés pour leur venir en aide.
« Ça ne se passe pas en Méditerranée, mais dans notre rue »
Depuis, les hommes sont à la rue. La dizaine de femmes restent sur le camp la journée. Le soir, des Montreuillois les accueillent pour la nuit. Une riveraine prête un lit à Venam, enceinte de 3 mois. Avant, il y avait aussi les 3 enfants de Méité, âgés de 4, 10 et 16 ans. Une autre voisine a accueilli la petite famille. « La dame les a mis à l’école », raconte Ami.
Moïse, Malien de 35 ans au visage doux, ne cache pas sa reconnaissance :
« On mange grâce à eux. Ils nous ont donné les tentes, les couvertures, les habits, des médicaments… Ils viennent tous les jours ! »
Des colocs déploient tous les matins une table et servent le petit déjeuner. Thé, café, confiture, tout est issu d’une collecte qu’ils organisent dans leur école. Du matin au soir, il n’y a pas un moment sans qu’un habitant du quartier ne traîne dans les parages pour donner un coup de main. « On est une vingtaine à s’occuper d’eux », assure Jean-Pierre, leur voisin de palier. Le sexagénaire a les bras chargés de baguettes de pain, lorsqu’il arrive sur le campement de fortune :
« Chacun agit selon ses moyens. C’est spontané. Ça ne se passe pas en Méditerranée, mais dans notre rue. »
A Montreuil. / Crédits : Marion Vercelot
Les allers-retours chez les voisins pour se doucher ou passer aux toilettes donnent du rythme. Les soirs de semaine, quand les bénévoles improvisés ne peuvent pas s’en charger, les femmes du camp préparent à manger au Jardin d’Alice — un collectif de squatteurs qui leur ouvre ses cuisines. Au menu ce soir, c’est Mafé. Devant une des tentes, un couple du quartier vient partager une bière.
« Éparpillez-vous et appelez le 115 »
Le jour de l’expulsion, la Mairie n’a rien dit. « Éparpillez-vous et appelez le 115 », a déclaré la police. Selon les services de la Mairie, cette dernière a alerté les services de l’État qui sont « les seuls responsables et compétents pour la mise à l’abri ». Claire, une riveraine, lève les yeux au ciel, agacée :
« On sait que le 115 n’a plus de places d’hébergement. »
Grâce aux voisins qui ont fait appel au DAL, les expulsés de la rue Gambetta ont pu bénéficier du soutien d’une avocate. Vendredi 27 octobre, le tribunal d’instance a décidé que la mairie de Montreuil avait 72 heures pour réintégrer Ami, Neitouna, Moïse et les autres dans l’immeuble. « On était heureux, heureux ! On allait enfin rentrer chez nous ! », insiste Neituna. Mais la Mairie a déclaré l’état de péril du bâtiment, empêchant tout relogement, et a fait appel.
L’audience a eu lieu le 23 novembre. Mais la décision du tribunal sera, selon Awa, prise le 21 décembre. La perspective d’un relogement s’éloigne et l’hiver est déjà là.
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