À Aulnay, les habitants se mobilisent pour sauver le Galion, une galerie commerciale promise à la destruction. Depuis plusieurs mois, ils peuvent compter sur le soutien d’une poignée de militants de Notre-Dame-des-Landes. Récit de ces échanges.
Cité de la Rose-des-Vents, Aulnay-sous-Bois (93) – « Dédicace à mes amis de Notre-Dame-des-Landes ! », lance de sa voix grave Hadama Traoré, au micro de la grande scène installée en bas des tours du Galion. Au pied du grand gaillard de 32 ans, une foule compacte. Plusieurs centaines de personnes ont répondu ce dimanche 28 octobre à l’appel du collectif La révolution est en marche, pour contester la destruction programmée du Galion, une galerie commerciale, cœur battant du quartier. Sur scène, personnalités et artistes montent tour à tour pour apporter leur soutien à la cause mais aussi réclamer la vérité sur la mort de Yacine, un jeune Aulnaysien décédé quelques semaines plus tôt. Dawala, le manager iconique de la Sexion d’Assaut est là. Quand Sofiane, le rappeur star du Blanc Mesnil, s’empare du micro, le public chauffé à blanc reprend en chœur le refrain de Mon ptit loup, l’un de ses succès vu près de 50 millions de fois sur Youtube.
À l’arrière du terrain vague transformé en showcase à ciel ouvert, une dizaine de zadistes emmitouflés dans leurs écharpes hochent la tête en rythme. Pour soutenir Hadama Traoré et son combat contre la mairie, ils ont fait le déplacement depuis Notre-Dame-des-Landes. Dans les rues de ce quartier populaire d’Aulnay, depuis qu’une poignée d’habitants a mis les pieds dans le bocage le plus désobéissant de France, on commence peu à peu à savoir ce qu’est une zone à défendre (ZAD).
L'équipe au Galion. / Crédits : Facebook La révolution est en marche
FORÊT VS. CITÉ
Samedi 27 octobre, à la veille du concert, les habitants de la Rose-des-Vents déambulent autour des stands militants. Milo, comme il se fait appeler, se roule une clope tout en regardant une conférence gesticulée, sorte de théâtre politique, qui a lieu sous le préau du Galion. « On ne vient pas à Aulnay au nom de la ZAD, on a tous des raisons différentes d’être là », précise le zadiste de 23 ans au visage doux. Sourire aux lèvres, il s’amuse à imaginer les squats qu’il pourrait monter dans les logements vides aux fenêtres cassées qui l’entourent :
« Moi, ça me permet de sortir de ma bulle, de voir ce qu’il se passe ailleurs. »
Un peu plus tard, on rencontre l’énergique Lisa, 44 ans, et la grande Sacha, 33 ans, dans un salon de thé où des chibanis, ces travailleurs immigrés retraités, tapent le carton. Par peur de donner le sentiment de s’approprier la lutte des habitants d’Aulnay, elles ont d’abord hésité à nous répondre. « On n’est surtout pas là pour donner des leçons, c’est avant tout une amitié qui s’est créée », prévient la plus jeune, originaire d’une banlieue au nord de Paris et vivant « sur zone » depuis cinq ans.
À Aulnay, les zadistes multiplient les rencontres grâce à Hadama qui les accueille à bras ouverts. Il les invite à casser la graine chez ses parents mais aussi chez la famille du jeune Yacine, décédé mi-septembre. Son corps a été retrouvé dans une cave, le pantalon baissé. Ses proches contestent la version officielle : un décès par overdose. Une enquête est en cours. Autant de rencontres qui permettent à ces habitants de zones rurales de découvrir des problématiques qu’ils ne connaissent pas tous. « Ça me permet aussi de dire à mes potes : “Regarde la gueule des bâtiments, regarde comment ils leurs parlent, comment ils les traitent. Tu comprends pourquoi on est énervés ?” », explique Sacha, qui a monté un collectif de racisés sur la ZAD.
Sa voisine, Lisa, raconte sa première venue dans la ville de Seine-Saint-Denis, le 25 mai, à l’occasion de la fête des voisins. « Il y avait plein d’enfants, un peu comme aujourd’hui, et on était les seuls blancs. Et puis il y a une espèce de porte-manteau en costard qui s’est pointé. » Il s’agit du député socialiste Daniel Goldberg, en campagne pour les législatives. Lisa, poursuit :
« Hadama m’a dit “Tu vois pourquoi on veut la mairie ? Parce que ces mecs-là ne nous représentent absolument pas.” À Notre-Dame-des-Landes, on est en dehors des institutions, pourtant ici j’ai compris pourquoi certains pouvaient avoir envie de les prendre. Contrairement à eux, nous, on n’a pas besoin de dire qu’on est français. »
Zad - Aulnay connexion. / Crédits : Facebook La révolution est en marche
Le fondateur de La révolution est en marche, garde un souvenir amusé de cette fête des voisins. « Il y avait aussi les bailleurs sociaux qui sont passés faire du zèle. Je leur ai montré nos potes zadistes et je leur ai dit “Vous savez ce que c’est leur spécialité à eux ? Les ouvertures de squats” », se marre l’ancien gérant d’une antenne jeunesse.
Pour lui, aucun doute, les points en commun sont plus importants que les différences. « Alors, ouais, eux ils vivent dans leur forêt et nous dans notre cité mais ils ne votent pas, on ne vote pas non plus. Ils voient la politique comme de la merde, on voit la politique comme de la merde. Ils n’aiment pas les keufs, on n’aime pas les keufs. » Même son de cloche chez Lisa, pour qui les petites divergences ne sont pas un obstacle. « J’ai fait une petite remarque à Hadama quand j’ai vu tout le bleu, blanc, rouge sur le site de La Révolution en marche, parce que c’est vraiment pas notre culture. Mais je sais qu’on est sur des réalités très différentes », admet celle qui vient à Aulnay pour la quatrième fois.
DEUX MECS FEST NOZ
Retour plusieurs mois en arrière. Début avril, Hadama Traoré qui, avec son collectif, mène depuis deux ans de nombreux combats pour les habitants des quartiers populaires, est contacté sur Facebook par un occupant de la ZAD qui souhaite soutenir son combat. Le natif de la cité des 3000 à la carrure de sportif est au départ un brin déconcerté :
« Dans ce quartier, on ne connaissait pas la ZAD ou alors on me disait “Qu’est-ce que tu vas faire avec ces gens qui prennent des champignons et qui ne se lavent pas?”»
Le militant écologiste lui envoie le lien du documentaire La bataille de Notre-Dame-des-Landes. « J’ai regardé et j’ai kiffé », rembobine Hadama. La vidéo, filmée en 2012, montre les affrontements entre les forces de l’ordre venues détruire les cabanes et les opposants au projet d’aéroport :
« C’est la première fois que je voyais une émeute citoyenne, toutes les générations qui se mettent face aux policiers et qui essaient de discuter avec eux. C’est ça qu’on doit faire pour Yacine ! »
Le 28 avril, Hadama et le cofondateur du collectif La Révolution est en marche, Omar N’Diaye, répondent à l’invitation de leur contact zadiste. Ils prennent un train direction Notre-Dame-des-Landes pour célébrer un fest-noz, une fête traditionnelle organisée dans la zone humide. Les militants anti-aéroport prêtent aux deux mecs des 3000 un petit chalet construit au cœur de la ZAD. Pendant trois jours, c’est repas végétarien, visite des installations et danse bretonne. Quand on demande à ces potes d’enfance ce qu’ils ont retenu de leur week-end, ils n’ont qu’un seul mot à la bouche : « Magnifique ! ».
Omar, gardien d’immeuble et pur produit d’Aulnay, avait quelques a prioris. Il est revenu emballé :
« Tout est bien organisé, bien construit. Ils produisent eux-mêmes leurs fruits et légumes, des buffets à prix libre, une bibliothèque en plein milieu d’une forêt… On a même croisé des migrants qui se sentaient mieux que dans les centres d’accueil car ils pouvaient cultiver la terre, un peu comme au bled. »
Un autre détail retient son attention… L’absence de policiers :
« Attention, je ne suis pas en train de dire qu’il ne faut pas de flics dans les quartiers, mais c’est beau de voir qu’ils règlent leurs problèmes eux-mêmes. En gros, ce sont des personnes libres. »
Les militants d'Aulnay à la zad. / Crédits : Facebook La révolution est en marche
« Les zadistes ont changé notre vie », renchérit Hadama, qui dit désormais s’inspirer de l’organisation horizontale découverte là-bas pour organiser ses réunions au Galion. « On est tous égaux, pas de chef ».
C’est d’ailleurs pendant ce séjour à la fraîche qu’ils prennent la décision de se battre pour ce large ensemble de logements traversé par une galerie marchande, que la mairie a prévu de détruire en 2018 pour y construire des appartements flambant neufs :
« Les zadistes ont réussi à prendre 1.500 hectares à l’État et ils protègent ces terres. Ça nous a motivés de fou ! »
Second week-end de juillet, une petite délégation retourne à la ZAD. Hadama accompagné de deux autres Aulnaysiens et d’un élu de Tremblay participent à des conférences sur les violences policières et le racisme d’État en présence de plusieurs milliers de participants. « C’était encore mieux que la première fois », assure Hadama.
ÉCHANGE DE BONS PROCÉDÉS
Depuis cette première rencontre, les zadistes de NDDL et le militant d’Aulnay vivent leur idylle au grand jour. Le 22 mai, à la sortie d’un show de l’humoriste Zgary à Aulnay, Hadama se prend des tirs de flashball dans la salle et se retrouve en garde à vue après avoir voulu porter plainte. « Tout le monde s’est mis à courir, les flics ont tiré un truc qui explose. J’ai dit aux habitants : “On n’a rien fait, arrêtez de courir !” On a voulu discuter et puis d’autres flics sont arrivés par derrière et nous ont chassés comme jamais. Moi j’ai pris trois balles [de flashball] dont une dans le dos », bouillonne le meneur de troupe. « Ça fait six mois qu’on fait un travail d’apaisement que personne ne fait en France et ils font ça. » Il met rapidement ses potes de la ZAD au courant. Ces derniers confectionnent une banderole « De la ZAD à Aulnay-sous-Bois, Solidarité-Révolution » et postent un message de soutien sur leur site.
« On a des forces de frappes différentes, complémentaires. On a besoin d’être ensemble si on veut vraiment faire bouger les lignes. Nous, ça fait dix ans qu’on se bat donc forcément on a accumulé des connaissances aussi bien en termes d’organisation qu’au niveau juridique. Autant les transmettre », complète Lisa. Les zadistes ont ouvert aux militants d’Aulnay, leur petit carnet de contacts dans les médias et ont filé le numéro de l’avocat de la ZAD de Bure, un spécialiste en droit de l’environnement et de l’urbanisme. Maître Etienne Ambroselli voit ces liens d’un très bon œil. « Ça fait longtemps qu’on parle de convergence des luttes, mais on a du mal à voir sa mise en oeuvre », commente l’homme de droit joint par Streetpress :
« En soi, les deux luttes n’ont pas grand-chose à voir. À Notre-Dame-des-Landes et à Bure, il y a un rapport à la nature qui est spécial. Historiquement, la forêt n’est pas complètement asservie aux règles du droit. Mais ce sont aussi des endroits où les gens essaient de créer autre chose, et c’est également le cas à Aulnay ».
De la zad à Aulnay ! / Crédits : Facebook La révolution est en marche
OBJECTIF GALION VERT
L’avocat écolo fourbit ses armes : il a prévu d’attaquer la mairie d’Aulnay dès qu’elle obtient son permis de démolir. De leur côté, les membres de La Révolution en marche ont un nouveau projet, directement inspiré de la ZAD. Ils ont décidé de construire une ferme pédagogique sur le terrain de moto-cross abandonné de la Rose-des-Vents. Une manière de sensibiliser les jeunes au respect de l’environnement. Et pourquoi pas, à terme, un potager collaboratif qui permettrait aux habitants de cultiver leurs propres légumes. « L’écologie, c’est la base », affirme Hadama :
« On ne veut plus de constructions en béton ici. À la place, il faudrait faire des réquisitions des nombreux logements vides. »
En attendant le Galion vert, le porte-voix de la contestation aulnaysienne prévoit de retourner à Notre-Dame-des-Landes dans les semaines à venir. « On va être cinq ou six cette fois. Forcément, plus on en parle, plus les gens ont envie de connaître », détaille le jeune père qui envisage d’y emmener sa femme et ses trois petites filles. « Une bonne idée pour les prochaines vacances en famille », complète son associé :
« Bientôt ce sera un truc : les mecs des quartiers populaires iront à la ZAD. Ça va juste être normal. »
Toutes photos DR, utilisées avec l’aimable autorisation d’Hadama Traoré.
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