30/10/2017

« On m’a reproché d’évoquer des choses dont il ne fallait pas parler »

L’underground parisien n’est pas mort

Par Mathieu Molard

Combats clandestins, partouzes et soirée opium avec des réfugiés afghans, dans Paname Underground l’écrivain Johann Zarca nous fait découvrir les bas-fonds de la capitale. Il raconte à StreetPress les coulisses de son livre, entre réalité et fiction.

Belleville, Paris 19e – Enfoncé dans son canap’, hoodie sur le dos, Johann Zarca se roule méticuleusement un splif. « C’est pas dans mon intérêt de détailler ce qui est vrai ou faux dans le bouquin », prévient le romancier des bas-fonds. Il vient de publier Paname Underground aux éditions Goutte d’Or, une plongée dans les marges de la capitale où se mêlent réel et fiction (livre finaliste pour le prix de Flore!) :

« Je suis attiré par ces milieux, donc je me retrouve entouré de mecs extrémistes. »

Soit des toxicos en tout genre, partouzeurs addicts au sexe, talonneuses sous coke et skins qui le guident dans le Paris interlope.

Donc malgré la gentrification, il reste un underground parisien ?

Oui, on n’est pas encore dans une ville complètement bourgeoise. Même si l’underground s’éloigne de plus en plus vers la périphérie, il reste de l’underground à Paname.

C’est quoi l’underground ?

L’underground dont je parle dans le bouquin, c’est des pratiques extrêmes ou marginales. C’est les bas-fonds. Je raconte le milieu underground des Afghans, des faf [France Aux Français, l’extrême-droite], du sexe, de la drogue… pas mon voisin qui se met de la came dans le pif.

Paname underground /

Si on reprend ta définition, est-ce qu’il peut y avoir un underground de la rive gauche ?

Ouais, bien sûr. L’underground de la rive droite, c’est des gagne-petit : scarlas, dealers au détail, talonneuses… Et la rive gauche, c’est l’underground en col blanc : le grand banditisme ou les skins du 15e, certains mecs du Gud [Groupe Union Défense, groupuscule nationaliste radical et violent].

En quoi les Faf sont-ils underground ?

Ce n’est pas LES faf, mais il y a une faf-connexion dans l’underground. Dès lors que tu planques des armes, que tu vas régler tes comptes avec des mecs en souterrain, qu’il y a une omerta, tu touches à l’underground. Ceux que je décris, c’est des bandits qui sont proches de milieux indépendantistes ou de mafias. Certains sont d’anciens keufs ou des anciens militaires de hauts rangs, passionnés d’armes.

Comment tu t’es connecté avec ce milieu-là ?

Comme toujours, c’est des rencontres un peu par hasard, mais je raconte surtout l’histoire de Seb, un pote d’enfance qui, avant tout, m’a sauvé la vie. Lui, c’est pas un gudar, c’est presque un skin à l’ancienne. Ce qu’ils appellent dans le milieu un « gogol 88 », c’est-à-dire un débile, sauf que lui n’est pas trop débile. Crâne rasé, Barbour et tout l’attirail… Mais à partir du moment où j’ai une dette de vie envers quelqu’un, je ne m’interroge pas sur son bord politique. Je n’allais pas mettre un underground de côté.

Dans ton livre, il est également souvent question de sexe. En quoi le cul peut-il être underground ?

Ce n’est pas le sexe qui est underground mais il y a des existences underground dans le sexe. Le sadomasochisme ça peut être très mainstream, mais j’ai vu des mecs se « crocheter », c’est à dire se mettre des crochets sous la peau et saigner. Ça mon pote, si tu me dis que c’est mainstream… Ou des partouzes dans des endroits dont on ne connaît pas l’existence.

Posé dans la nezo. /

Il y a une scène où tu fumes de l’opium avec des Afghans dans un square. Comment tu t’es retrouvé là-bas ?

Il s’avère qu’un mec qui fait presque partie de ma famille connaît tous les Afghans qui squattent le square Villemin. Ça c’est l’underground de l’underground ! Ils viennent dans ce square pour chercher un passeur, essayer de se faire de la thune et effectivement, t’as des vendeurs d’opium.

C’est un milieu qui t’as bien accueilli ? Parce qu’on se dit qu’ils n’en ont peut-être rien à foutre de l’écrivain.

Je ne suis allé dans aucun milieu en disant que j’écrivais un bouquin. Ça ne se passe pas comme ça. J’étais avec mon pote qui les connaissait. On est juste arrivés en mode « On peut fumer de l’opium ? On peut se tiser ? ».

De l’opium, t’en as vu en dehors du milieu afghan ?

Non, j’en ai fumé qu’avec des Afghans ou des Iraniens. Il doit y avoir des Chinois qui sont dans ces bails là, mais je ne les connais pas.

Est-ce que les cames changent selon les undergrounds ?

Ouais, carrément. Les Afghans, c’est les opiacés. Chez les gays c’est le GHB et les Cathinone [drogues de synthèses]. Ça te donne énormément envie de ken mais t’arrives pas à bander. Dans les milieux tox’, mais vraiment durs, ça va être le skenan ou le crack, mais vous aviez un bête de papier là-dessus. Au bois de Bou-bou ça peut potentiellement tout consommer. Je dirais que la came qui est le moins représentée dans l’underground, c’est la MD. T’es sur un truc plus étudiant, la classe moyenne un peu branchée ou la petite bourgeoisie. Je te dis ça, mais après si t’es dans une logique de consommer de la came, tu ne vas pas non plus cracher dessus.

Dans ton bouquin, tu te ballades d’un milieu à l’autre, mais c’est des univers très cloisonnés, non ?

Ouais, soi-disant. Mais en réalité, ça ne m’étonnerait pas qu’un faf ou un mec de téc’ baise avec un trav’ ou un dep’. C’est soi-disant un truc divisé, mais de l’intérieur il y a cette attirance entre les extrêmes. J’ai vu des mecs d’extrême-droite très attirés à l’idée de rencontrer un Rémès [écrivain dont StreetPress publiait le portrait ici ], qui est pédé…

Qu’est ce qui les attire là-dedans ?

Justement son côté extrême. T’as des gens qui sont extrémistes de milieux qui n’ont rien à voir et qui s’entendent très bien. Il y a une attirance réciproque.

Tu parles de plein d’undergrounds mais pas de musique ou d’arts underground, ils n’existent plus ?

Dans le docu [documentaire en tournage, adapté du roman ou se mêlent fiction et réalité] qu’on est en train de faire, t’as Eric Rémès qui dit « l’underground, c’est la norme ». Je comprends parfaitement ce qu’il veut dire. La scène underground, on l’a mise en avant : le punk, le hip-hop, même si ça joue sur le côté populaire, c’est devenu mainstream. Cette culture underground est entrée dans le commerce, a trouvé un public. Alors que finalement pour moi la définition de l’underground, c’est justement « qui ne veut pas trouver de public ». Après, tu vas forcément trouver des contre-exemples.

Tu ne parles pas des undergrounds religieux, c’est parce que c’est tabou ?

Je pourrais en parler… Je ne m’interdirais pas de parler de mafia feuj, comme les escrocs à la taxe carbone, ou n’importe quoi. Ouais, il y a un underground religieux.

Globalement, il reste plein d’undergrounds que tu n’as pas abordés…

J’ai pas écrit un dico, j’ai écrit un livre de 250 pages. Attends la suite.

Donc il y aura une suite ?

Ce n’est pas impossible du tout, du tout, du tout… Je crois que j’ai envie d’écrire la suite de tous mes bouquins un jour.

Et t’as eu des retours des milieux dont tu parles ?

Tu peux dire tout ce que tu veux du blanc bec qui écrit. N’empêche, j’en ai rien à foutre, jusqu’à présent on ne m’a pas reproché d’avoir raconté n’importe quoi. Personne, ni les travailleurs du sexe, les transexuels, les homos barebackeurs, ni même les lascars de téc’ ou les natios… Et parmi eux, il y en a qui ont lu mes livres. Il y a eu un respect général de l’underground, jusqu’à présent.

L'underground n'est pas mort. /

T’as pas eu des mecs mécontents ?

Si, mais on ne m’a pas reproché de les avoir mal représentés. On m’a reproché d’évoquer des choses dont il ne fallait pas parler. C’est le cas du gouffre [lieu à partouzes extrêmes, secret], des combats clandestins, de la cache d’arme… Dans les 3 cas, on m’a un peu cassé les couilles. Mais je sais que le livre a plu à des mecs bien implantés dans ces univers-là.

L’auteur de l’article reconnaît avoir fait une interview complaisante d’un pote, par ailleurs chroniqueur sur StreetPress sous le pseudonyme du Mec de l’underground .