Et si accueillir les JO était une fausse bonne idée ? C’est l’avis de la revue Frustration, qui dénonce en quatre points les dérives de l’événement. StreetPress publie une partie de leur coup de gueule, paru dans leur numéro 11.
Sur le papier, devenir le temps d’un été le centre mondial des sports serait une bonne idée : nouvelles infrastructures, afflux massif de touristes, un pays sous les feux de la géopolitique sportive, etc. En bref, des retombées économiques et politiques intéressantes. En réalité, la propagande autour de ces Jeux 2024 masque bien des catastrophes.
1. Un transfert d’argent public vers le privé
Rappelons tout d’abord qu’aucun des Jeux olympiques d’été, depuis ceux d’Atlanta en 1996, n’a été rentable. À l’exception tout de même de ceux de Pékin en 2008 qui ont coûté la bagatelle de 44 milliards de dollars. (…) Les porteurs du projet français annoncent que ces Jeux seront financés par l’achat des billets, les « opérations marketing » et une contribution directe du CIO. Outre le fait que le CIO baigne dans divers scandales de corruption et de manque de transparence quant à l’élection des membres de son jury, le financement des Jeux est lui aussi opaque. Le CIO aurait gagné 8 milliards de dollars sur la période 2008-2012. Ses fonds viennent, d’après ses propres déclarations, en intégralité de « fonds privés », qui sont pour moitié issus de la vente des droits de retransmission aux médias, et pour l’autre moitié des sponsors (McDonald’s, Coca-Cola, General Electric, Visa, Samsung Electronics, etc.) et des bénéfices liés à la vente des tickets. Ces droits de retransmission sont financés par les taxes audiovisuelles que vous payez, l’argent des sponsors de la bouteille de coca qui accompagne votre pizza du samedi soir. Les infrastructures sont financées par vos impôts. Et on vous demande encore d’acheter les billets d’entrée au stade. Dans cette histoire, le citoyen est une vache à lait. Et l’argent public sert à démultiplier les bénéfices du secteur privé. (…)
2. Le mythe de la « création d’emplois pérennes »
Pour maquiller le business, les États usent et abusent du mythe du « retour sur investissement » qui profiterait à la population. Mais qui empochera le gros lot ? Selon le CDES de Limoges, outre le secteur de la construction qui devrait gagner 1 à 1,8 milliard d’euros, celui du tourisme devrait en profiter largement, à hauteur de 1,4 à 3,5 milliards d’euros.
La quinzaine d’entreprises partenaires de Paris 2024 qui contribueront à l’organisation des JO, pourraient empocher de 2,9 à 5,4 milliards d’euros. Pour justifier ces gains faramineux, l’excuse toute trouvée est celle de la « création d’emplois pérennes ». On nous apprend qu’entre 119 000 et 247 000 emplois pérennes pourraient être créés en Île-de-France. Mais qu’appelle-t-on « pérenne » quand on sait que ces Jeux ne durent qu’un mois ? (…)
3. Des bénéfices pour les riches
Autres gagnants des JO : les propriétaires d’appartements en Île-de-France. Ceux-ci verront une bonne occasion d’augmenter leurs tarifs. Lors des JO de 2012 à Londres, certains loyers ont été multipliés par cinq dans le quartier de Stratford, à proximité du village olympique. Pendant ceux de 2016 à Rio, la flambée des prix avait été tout aussi spectaculaire : 185 euros (205 dollars) en moyenne, pour une nuit à Rio. Sur la plateforme d’hébergement Airbnb, Rio était devenue la destination la plus chère, devant Miami, San Francisco et Paris. Pour louer à Paris, encore faut-il être propriétaire, ou bien un locataire culotté, et avoir de quoi se payer un appartement autrement plus grand qu’un studio de 25 m2 à 800 euros par mois. Les bénéfices iront aux fortunés, une fois de plus.
4. Label écologique ou Greenwashing ?
Pour s’inscrire dans l’ère du temps, le comité français a développé un projet qui se veut à impact social et environnemental positif. Paris 2024 vise « une réduction de 55 % de l’empreinte carbone par rapport aux Jeux olympiques et paralympiques de Londres en 2012 », indique le WWF, partenaire du comité Paris 2024, sur son site internet. Ce « label écologique » auto-décerné est plein de bonnes intentions. Une fois décortiquées, elles relèvent en réalité davantage du Greenwashing, la pratique qui consiste à repeindre en vert des entreprises ou des projets pour les rendre plus estimables. Il est prévu une gestion écologique de l’événement lui-même. Les spectateurs se déplaceront uniquement en transports en commun et vélos, tous les sites proposeront une collecte et un tri des déchets minutieux. C’est louable mais c’est un peu l’arbre qui cache la forêt. Tous les ingrédients d’un projet non-écologique sont là : construction d’infrastructures importantes (dont un village olympique de 3 500 appartements en bord de Seine, le centre aquatique de 15 000 places à Aubervilliers et l’Arena II Bercy de 7 000 places), coûts qui seront difficilement maîtrisés, mais aussi manque de consultation de la population (rappelons que la maire de Paris, Anne Hidalgo, avant son élection, disait ne pas vouloir des JO).
Rappelons également que les sponsors du CIO ne sont autres que de grandes multinationales au paroxysme du consumérisme, chefs de file des atteintes environnementales et champions de l’esclavage moderne. Regardons de plus près les partenaires français. Il est évident que le petit épicier du coin n’est pas de taille à contribuer. Aubaine pour les investisseurs privés de notre pays, membres d’un « cercle des partenaires » voué à s’agrandir : BNP Paribas, Française des Jeux, JCDecaux, la MAIF, Orange, La Poste, Bouygues Construction, LVMH et Vivendi. (…)
Les opposants à ce projet n’auront de cesse de rappeler les aberrations sociales et écologiques de ce qui s’annonce une fois de plus comme une orgie dispendieuse aux frais de la population. Gardons bien à l’esprit le slogan choisi par la France pour ces JO 2024 : « Venez partager » (votre argent). À ceux qui comme le président du Comité français du sport international (CFSI), clament qu’un « grand événement sportif, c’est un outil de promotion sociétal extraordinaire pour dégager de l’emploi, de l’intégration, de la cohésion », vous disposez maintenant d’arguments à opposer.
L’intégralité de cette tribune se trouve dans le nouveau numéro de Frustration. Au sommaire – aussi – un article sur la révolution numérique et “pourquoi elle ne rend pas obsolète le droit du travail”, un dossier sur pour “Agir contre l’agro-business”, un retour sur l’histoire de la famille Mulliez, et bien plus encore !
Pour en savoir plus sur Frustration, par ici.