04/09/2017

« On va bien rigoler dans le hall »

Au Raincy, 3 jeunes, 3 passages à tabac, toujours le même policier mis en cause

Par Aladine Zaïane ,
Par Aurelie Garnier

Maxen, 16 ans, s'est fait « éclater » l’arcade. Ikael, 15 ans, témoigne de baffes, coups de poing et coups de pied. Hamza, lui, aurait notamment reçu un coup de poing américain. Dans ces 3 affaires, les 3 jeunes mettent en cause le même policier.

Vendredi 20 janvier 2017. Maxen, 16 ans, se fait contrôler en marge d’une rixe à laquelle il n’a pas pris part. L’un des policiers l’aurait poussé par derrière. « Là je lui mets un tchip », raconte le lycéen à StreetPress dans un témoignage publié deux jours plus tard :

« J’étais assez surpris, je savais pas que c’était lui. Et là, il me dit : “c’est moi que tu tchipes là ?” Et il me pousse deux fois avant de me prendre en étranglement. »

Maxen attrape le bras du policier pour desserrer l’étau, se souvient-il :

« Et là il me dit “tu veux jouer du pieds-poings ?”, comme si je voulais vraiment me taper avec lui. Et il m’a mis une golden [un gros coup de poing, ndlr] en pleine arcade, en plus il portait une bague. »

L’ado commence à saigner. Avant de l’embarquer au commissariat le policier lui aurait lancé :

« Jackie Chan, il fait le chaud. »

Cette version, livrée par Maxen, nous est confirmée par plusieurs autres témoins. Le jeune homme, qui a porté plainte, décrit avec précision l’agent qui l’aurait passé à tabac : un homme très grand, massif, le crâne rasé et surnommé « Lolo » ou « Skoll », une marque de bière. Des éléments qui permettent aux forces de l’ordre d’identifier Laurent D., que Maxen reconnaît lors d’une confrontation.

Selon nos informations, Maxen n’est pas le seul qui accuse Laurent D. de l’avoir passé à tabac. Deux autres jeunes mettent en cause ce même fonctionnaire pour des faits de violence, en octobre 2016 et en avril 2017. Par ailleurs, l’intéressé est un habitué des prétoires. En 10 ans, celui-ci s’est constitué partie civile dans 24 affaires d’outrages, de violences ou d’insultes à agent.

Western dans le 93 / Crédits : Aurelie Garnier

Second passage à tabac

Au mois d’avril, c’est au tour d’Ikael, 15 ans, de croiser la route de Laurent D. Arrêté pour avoir gribouillé son surnom, « Moogli », sur un mur de la ville, il aurait reçu une première gifle alors qu’il est en route pour le commissariat du Raincy. Sur place, un autre agent le prend à partie raconte-t-il dans un témoignage que nous publiions en mai 2017 :

« Ses collègues lui ont raconté que j’aurais essayé de mémoriser sa plaque. Une pluie de baffes s’abat alors sur moi. Tout ça devant mes potes et les autres policiers. Et surtout la caméra qui filmait toute la scène. Il doit y avoir une trace, forcément. »

Son calvaire ne fait que commencer. En cellule, Ikael aurait subi un long passage à tabac : baffes, étranglement, coups de pied dans l’abdomen… StreetPress a pu consulter les certificats médicaux qui font état de nombreuses blessures et de 3 jours d’ITT. Plusieurs témoins confirment les violences subies avant son entrée en cellule. Ikael est finalement mis en examen pour détention de cannabis (20 grammes). Le jeune homme conteste les faits et accuse les policiers d’avoir « sorti » les stupéfiants après le passage à tabac.

L’ado nous décrit en détail le policier à qui il a eu à faire. Un homme au physique imposant, très grand, crâne rasé. Comme dans le cas de Maxen, il serait appelé par ses collègues « Lolo » ou « Skoll », surnoms que nous n’avions pas donnés quand nous avions publié le témoignage de Maxen.

En cellule, Ikael aurait subi un long passage à tabac : baffes, étranglement, coups de pieds dans l’abdomen / Crédits : Aurelie Garnier

Troisième passage à tabac

StreetPress a pu recueillir le témoignage d’un troisième jeune qui accuse ce même policier de violences. L’affaire date du mois d’octobre 2016. Au quartier de la Sablière à Villemomble (93), une brigade de la BAC intervient au pied d’un bâtiment. Au pied de l’immeuble, les policiers accostent Oussama, 15 ans. Les pandores soupçonnent le jeune homme de porter une montre volée. Ils décident de monter à son domicile pour vérifier sa provenance auprès de sa mère. Au même moment, Hamza, son grand frère, la vingtaine, arrive sur place. Il demande aux fonctionnaires ce qu’il se passe.

« Ferme ta gueule c’est pas ton problème », aurait répondu Laurent D. Hamza renchérit sur le même ton :

« C’est toi ta gueule ! »

Tandis que l’un des policiers accompagne Oussama au domicile familial, les deux autres auraient conduit Hamza dans le hall, à l’abri des regards. Laurent D. lui aurait chuchoté à l’oreille :

« On va bien rigoler dans le hall. »

Toujours selon Hamza, le policier enfile discrètement « un poing américain ». A l’abri des regards, il plaque Hamza contre le mur et lui décoche un coup au visage. Voyant que le jeune homme saigne, il retire son arme et continue à le frapper à mains nues. Ce dernier reconnaît s’être « défendu » face à la violence du policier.

« Nous avons affaire à un policier qui ne fait pas honneur à la fonction de gardien de la paix. C’est un cowboy qui emploie des méthodes violentes. Il n’en est pas à son coup d’essai malheureusement », commente Maître Menzel, l’avocat d’Hamza. Après avoir été ausculté par un médecin, Hamza obtient 3 jours d’ITT. Dans la foulée, le jeune homme décide de porter plainte contre le policier. Laurent D. lui aussi porte plainte pour violences.

Laurent D., policier et habitué du tribunal / Crédits : Aurelie Garnier

Dossiers en cours

Dans ces 3 dossiers, seul le cas d’Hamza a été jugé. Le jeune homme a été relaxé pour les faits de violence, mais condamné à 500 euros d’amendes pour outrage. Son avocat détaille :

« Dans le dossier médical [que StreetPress a pu consulter] il est précisé que notre client se plaint d’une douleur au front et au visage. Le policier, lui, évoque une douleur au poing. En faisant le rapprochement entre les deux on comprend qu’il s’est passé quelque chose… »

Hamza ne s’est pas arrêté là. Il a effectué un signalement auprès de l’IGPN dont il attend toujours les suites. De son côté, Maxen a lui aussi déposé plainte auprès de l’IGPN, assorti d’un courrier au procureur de la République. L’instruction est en cours. L’ado et le policier se sont rencontrés à l’occasion d’une confrontation tendue. « Nous étions présents au commissariat du Raincy avec Maxen pour une confrontation avec le policier incriminé », raconte Maître Curt, l’avocat de l’adolescent :

« A la fin, lorsque son avocat et le commissaire sont sortis de la pièce, il a tenté de m’intimider en me disant que je racontais “n’importe quoi” et qu’on était dans sa “maison”. »

Quant à la mère d’Ikael, elle a aussi effectué un signalement par internet auprès de l’IGPN. Comme dans le cas d’Hamza, pas de nouvelles :

« On ne sait pas où en est notre dossier. Une fois envoyé, on a reçu une notification par mail pour nous dire qu’ils ont bien reçu notre plainte. Puis plus rien. »

Depuis les faits, Ikael a recroisé le policier en patrouille :

« Il s’est arrêté à mon niveau en voiture et m’a appelé pour que je vienne vers la voiture. Il m’a demandé mon nom et quand je lui ai dit il m’a dit “tu fumes du shit, toi”. Il a tenté de me provoquer peut-être mais je suis resté calme. »

S’en suit un banal contrôle d’identité. « C’est resté respectueux on va dire. » Ce changement de comportement du policier, Hamza l’a également constaté :

« Il sent que c’est chaud pour lui donc il cherche à se faire oublier en étant plus gentil avec nous. L’autre jour, il a laissé partir quelqu’un en moto qui n’avait pas son permis. »

« Il s’est arrêté à mon niveau en voiture. Il a tenté de me provoquer peut-être mais je suis resté calme. » / Crédits : Aurelie Garnier

De nombreuses affaires d’outrage

Laurent D. est par ailleurs un habitué des salles d’audience. Selon nos informations, en 10 ans, l’homme s’est constitué partie civile dans 24 affaires d’outrages, de violences ou d’insultes à agent avec, dans la plupart des cas, des dommages et intérêts à la clef. Si rien ne nous permet de contester la réalité du préjudice, la pratique est loin d’être isolée et pose certaines questions.

En 2014, StreetPress publiait une enquête intitulée Le business des outrages. Chaque année, 19.000 plaintes pour outrage, rébellion et violence volontaire sont déposées par des fonctionnaires. Un système bien huilé, avec à la clé des dommages et intérêts que dénonçait un rapport… du ministère de l’intérieur. Mais que fait la police ?

Contacté par StreetPress, ni l’avocat de Laurent D. ni le commissariat du Raincy, ni l’élu en charge de la sécurité, ni la préfecture de Police n’ont donné suite à nos demandes d’interview.